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Actualités - REPORTAGE

SOCIÉTÉ - Des heures d’attente, des justificatifs à la pelle, mais une solution serait déjà à l’étude La demande de visa pour la France, bête noire des Libanais Faire la queue dès l’aube, une aberration selon le consul Michel Pipelier(photos)

Aux portes de l’Espace des lettres français, rue de Damas, c’est bien avant l’aurore que se forment les queues pour les formalités de visas. Queues de plus en plus longues à l’approche de la saison estivale. Les interminables heures d’attente, mais aussi les tonnes de paperasses et de justificatifs à présenter afin d’obtenir le visa sont montrées du doigt par les candidats au voyage pour l’Hexagone qui dénoncent la mauvaise organisation. Racontées, commentées, critiquées dans les salons libanais, ces formalités sont même devenues sujet à plaisanterie : « Pour faire une demande de visa pour la France, autant aller camper sur place » , ou même : « Il faut se résoudre à perdre deux journées de travail, si ce n’est plus »..., entend-on ici et là d’un ton sarcastique. Conscient du problème, le consul général de France au Liban, Michel Pipelier, répond avec humour, diplomatie et précision aux questions de « L’Orient-Le Jour », étoffant ses réponses par des conseils pour obtenir un visa dans les meilleures conditions. Il parle même d’un plan à l’étude pour améliorer la capacité de traitement des demandes, compte tenu de l’augmentation de celles-ci de 60 % en dix ans. Tout en précisant que les justificatifs demandés par le consulat de France sont les mêmes pour les quinze États Schengen. Mais il demeure perplexe face aux irréductibles, de plus en plus nombreux, qui se postent dès deux heures du matin devant l’entrée de l’Espace des lettres, afin d’être les premiers à entamer leurs formalités, dès l’ouverture des portes du consulat à sept heures trente. Anne-Marie EL-HAGE La demande de visa pour la France, bête noire des Libanais Sept heures quinze du matin, rue de Damas, tous les jours ouvrables de la semaine. Sur le trottoir longeant l’Espace des lettres français, deux files de personnes s’étalent sur plusieurs dizaines de mètres, sous la surveillance des gardiens du service de sécurité. Dans l’une, les demandeurs de visas, dans l’autre, les personnes venant retirer leurs visas. Plus que quelques minutes avant de pénétrer dans l’enceinte. On se prépare. On range tabourets et thermos de café. On se serre contre son voisin pour empêcher les resquilleurs de passer. « Je suis là depuis deux heures du matin », raconte la tête de file, Ali, habitué des lieux et chargé par la société qui l’emploie des formalités de visas des membres du personnel. « Pourquoi je viens si tôt ? Parce que je n’ai pas que ça à faire. Je passe mes journées à courir d’une ambassade à l’autre et je risque de tout rater si je ne termine pas les formalités du consulat de France assez tôt », précise-t-il. Et d’ajouter que c’est l’ensemble de l’organisation du consulat qui devrait être remanié, tout en saluant néanmoins les efforts entrepris par le consul pour accélérer les procédures. À chacun est indiqué l’heure de sa formalité Attendant patiemment son tour, une dame d’un certain âge, Mme Rizk, fait la queue depuis six heures du matin. Elle doit retirer son visa et espère terminer sa formalité vers dix heures, comme les deux fois précédentes. « C’est la troisième fois que je viens et que je fais la queue, avoue-t-elle, car, au départ, je n’avais pas tous les documents requis ». « Certes, l’attente est normale et inévitable, comme dans la majorité des grandes ambassades, reprend-elle, mais ici les conditions sont particulièrement éprouvantes. Nous attendons longtemps debout, dehors, par tous les temps et devons nous battre contre les resquilleurs qui tentent sans cesse de contourner la file pour passer devant nous ». Mme Rizk n’est pas la seule à avoir écopé de ces allées et venues inutiles. En effet, comme tant d’autres, deux religieuses venues la veille à six heures et reparties bredouilles ont dû, ce jour-là, se plier aux exigences d’une nouvelle attente, la dernière, espèrent-elles. Sept heures vingt-cinq. Les gardiens donnent le signal. Chaque personne passe par le détecteur de métaux, alors que les hommes sont fouillés et les sacs inspectés. Sécurité oblige. En file indienne, les personnes pénètrent dans la cour de l’Espace des lettres et se dirigent vers le bâtiment du consulat de France. Sous le préau du consulat, rebelote. Il faut de nouveau faire la queue devant le distributeur de tickets afin d’obtenir un numéro. Mais là, l’attente est déjà moins longue et surtout moins pénible. Des bancs ont été placés à l’ombre, le long du mur, pour accueillir les personnes fatiguées. En moins d’une demi-heure, l’adjoint du vice-consul, Alain Richez, assimilé par certains au consul, distribuera ce jour-là cent quatre-vingt-dix numéros (105 pour les demandes et 85 pour les retraits) et indiquera à chacun l’heure approximative de sa formalité, tout en veillant à donner la priorité aux personnes âgées ou malades. « Je préfère personnellement distribuer les tickets numérotés, histoire d’éviter les fraudes », dira-t-il plus tard d’un air entendu. Répondant aux questions des uns, écoutant patiemment les doléances des autres, exprimées dans un français souvent approximatif, il rejoint ses bureaux vers huit heures après avoir guidé les personnes âgées vers les guichets, à l’intérieur du consulat. Une attitude à laquelle l’assistance ne reste pas indifférente. En effet, malgré la contrainte que représente cette attente pour la majorité des personnes présentes, celles-ci ne tarissent pas d’éloges à l’égard de celui qu’elles appellent « le consul », « un homme humain, bûcheur, soucieux d’aider les gens et de faciliter les formalités ». Prendre son numéro avant d’aller travailler On peut alors se reposer sur un banc, lézarder au soleil, prendre un café ou vaquer à ses occupations professionnelles jusqu’à l’heure où l’on sera appelé à rentrer à l’intérieur du consulat. Naïm, qui est arrivé à sept heures trente et pense être convoqué à quinze heures, a préféré aller travailler afin d’éviter de rater sa journée. Quant à Jean, il a décidé d’attendre son tour sur place, espérant passer vers dix heures. « Ce n’est pas la première fois que je viens et, systématiquement, je rate une demi-journée de travail, d’autant plus qu’il faut compter encore une heure d’attente à l’intérieur du consulat », précise-t-il avec résignation. Assise sur un banc, Nazhat, une dame âgée de Tripoli, attend que son fils, qui fait la queue devant le distributeur de tickets, obtienne un numéro pour eux deux. « Nous sommes là depuis quatre heures du matin, dit-elle. Nous préférons venir tôt, car nous devons retourner à Tripoli dans la journée. Nous avons maintes fois voyagé et demandé des visas pour le Canada et les États-Unis, mais jamais nous n’avons été contraints de faire une telle queue dès l’aurore ni d’attendre aussi longtemps, » constate-t-elle. « Nous pensions que l’organisation s’était améliorée, renchérit son fils, mais cela ne fait qu’empirer ». Huit heures. Une quinzaine de personnes sont invitées à se diriger vers les guichets, après avoir éteint leurs téléphones portables. Pour certains, cette formalité ne sera qu’une question de minutes. D’autres devront compter encore une bonne heure d’attente à l’intérieur du consulat. Quant aux retardataires qui sont arrivés trop tard pour obtenir un numéro, autrement dit après huit heures, parfois même huit heures moins dix, ils devront revenir le lendemain ou alors espérer une hypothétique convocation vers les guichets, le jour même. L’attente est inévitable, comme dans la majorité des grandes ambassades. Et selon les propos du consul, celui qui obtient un numéro pourra entreprendre sa formalité dans la journée. Alors, au lieu de venir compter les étoiles et longer le mur de l’Espace des lettres dès deux heures du matin, pourquoi ne pas se présenter à sept heures trente pour retirer son ticket et se résoudre à consacrer quelques heures pour obtenir ce visa si précieux ? A.M.H. Faire la queue dès l’aube, une aberration selon le consul Michel Pipelier Avec humour, doigté et diplomatie, le consul général de France, Michel Pipelier, analyse le problème des formalités de visas, chiffres à l’appui. Il avoue que l’été, et plus précisément les mois allant de juin à septembre, est considéré comme une période de grande affluence, au cours de laquelle l’attente devant les bureaux du consulat est très importante. « Certes, constate-t-il, à partir du moment où plus de cent personnes viennent présenter leur demande de visa en une même matinée, une queue se forme obligatoirement. Mais toute formalité administrative n’exige-t-elle pas qu’on lui consacre un minimum de temps ? », demande-t-il. Quant au message qu’il adresse aux demandeurs de visa, il est clair et sans ambages : « Il est inutile de se présenter à l’entrée de l’Espace des lettres, rue de Damas, à des heures si matinales. Il suffit simplement d’être présent à sept heures trente afin de retirer son numéro avant huit heures ». Et de dénoncer la « rumeur » ou le « mythe » qui poussent les gens à se pointer dès deux heures du matin aux portes du consulat, agissant comme des moutons de Panurge. « Toute personne qui se présente avant huit heures peut être assurée que son cas sera traité le jour même, la capacité d’accueil se situant autour de 130 individus », insiste-t-il. « Ayant pris connaissance de l’heure de sa formalité, elle pourra vaquer à ses occupations professionnelles, s’attabler à la terrasse du “ Café des lettres ” ou patienter simplement en se reposant sur un banc sous le préau du service des visas. Ce qui est plus agréable que de faire la queue, debout sur un trottoir, bien avant l’aube », note-t-il d’un air amusé. Les formalités incomplètes, une perte de temps pour tous Quant aux « tonnes de paperasses et de justificatifs à présenter » dont se plaignent les candidats au voyage pour la France, ce sont exactement les mêmes pour les quinze États de l’espace Schengen, rétorque Michel Pipelier. Et d’ajouter que la liste des pièces à fournir est affichée à l’entrée et à l’intérieur du service des visas, en langues arabe et française. De même, précise-t-il, pendant les périodes d’affluence, un huissier, de permanence à l’extérieur du service des visas, distribue cette liste ainsi que les formulaires de demandes. Pièces qui sont d’ailleurs disponibles sur le site Internet du consulat : www.ambafranceliban.org.lb/ consulat/index.htm. « Malgré l’effort que nous faisons pour informer les gens des pièces à fournir, nombreux sont ceux qui se présentent avec des papiers manquants ou des formulaires qui n’ont pas été remplis, déplore le vice-consul, Françoise Puig-Inza, également responsable du département des visas. La formalité qui nécessite en moyenne cinq à dix minutes dure alors non moins d’une demi-heure ». Et le vice-consul de préciser que l’agent de guichet perd un temps précieux à expliquer à la personne en face de lui quels papiers doivent encore être fournis ou à l’aider à remplir le formulaire, retardant ainsi l’ensemble des formalités. « Généralement, il suffit de présenter la pièce manquante au moment du retrait du visa », explique Mme Puig-Inza. « Mais lorsque des pièces essentielles du dossier font défaut, nous ne pouvons instruire la demande. C’est la raison pour laquelle de nombreux demandeurs de visas font la navette plusieurs fois », regrette-t-elle à ce propos. Avec 32 000 demandes de visas en 2001, le consulat de France au Liban traite près de 60 % des demandes des quinze États Schengen, relève Michel Pipelier. Demandes qui ont par ailleurs augmenté de 60 % en dix ans, précise-t-il. Cinq guichets sont ouverts quotidiennement, un pour le retrait des visas, un pour le traitement des dossiers de long séjour, deux pour les courts séjours et un pour les visas diplomatiques, de services et les cas particuliers. Guichets qui, en période de grande d’affluence, ont déjà délivré jusqu’à 330 visas en un jour et instruit 250 demandes. Quant au nombre quotidien de demandes, il varie entre 50 et 250, au gré des saisons. « Certes, remarque-t-il, l’amélioration des conditions d’attente et de traitement des formalités est sensible, au fil des ans, mais nous sommes soucieux de perfectionner encore la capacité de traitement des visas, compte tenu de l’augmentation de la demande ». Et de préciser que si la comparution personnelle est de rigueur pour déposer une demande de visa, de nombreuses personnes ont la possibilité de se faire représenter au guichet par un coursier habilité par le consulat, notamment les titulaires de passeports diplomatiques et de service, les personnes ayant des relations fréquentes avec les différents services de l’ambassade, de même que celles ayant déjà bénéficié de visas de circulation ainsi que les employés de certaines grandes sociétés. De même, reprend-il, toute personne peut se faire représenter pour le retrait de son visa. M. Pipelier espère, par ailleurs, avoir la possibilité de mettre en place un plan, actuellement à l’étude, plan qui impliquerait une augmentation du nombre de guichets durant la pleine saison. Éviter de présenter la demande en dernière minute Conscient de la contrainte que peut représenter l’attente pour de nombreuses personnes, Michel Pipelier donne quelques conseils aux demandeurs de visas, afin que leurs formalités se fassent dans les meilleures conditions possibles. L’été étant une période de grande affluence, et vu que l’accord donné à une demande de visa est valable trois mois, il suggère à toute personne voulant partir durant les vacances estivales de se présenter dès le mois d’avril. Il encourage, de plus, les personnes désireuses d’obtenir un visa de circulation, d’une validité d’un an minimum, de présenter leur demande durant les mois de janvier et février, mois creux et au cours desquels les files d’attente sont réduites, voire inexistantes. « Cela pourrait diminuer les queues en période d’affluence de près de 20 % », note-t-il. Par ailleurs, mardis et vendredis étant des jours de grande affluence, il serait préférable de se présenter en milieu de semaine, où l’attente est moins longue et donc moins pénible. Et de préciser que vendredi est un jour de pointe pour les retraits, car les gens voyagent généralement durant le week-end. « En fait, constate M. Pipelier, nombreux sont ceux qui présentent leur demande de visa en dernière minute et tentent de l’obtenir dans des délais record ». Mais il est important de savoir, remarque le consul, que « le délai entre le dépôt de la demande et l’accord est de 15 jours incompressibles », ajoutant que les exceptions sont limitées à des cas bien précis. « L’organisation actuelle est pour l’instant la meilleure que l’on puisse mettre en place, compte tenu du personnel et des locaux dont nous disposons », conclut Michel Pipelier, précisant que des progrès remarquables ont été réalisés depuis la période où le consulat se trouvait à Mar Takla. « Nous avons certes essayé d’envisager d’autres systèmes, mais celui qui prévaut actuellement est nettement plus performant. Nous ne cherchons pas la petite bête, notre souci principal est la cohérence de chaque dossier, car nous tentons de limiter les refus dans la mesure du possible ». Refus qui ne dépassent d’ailleurs pas 6 % et qui sont la conséquence d’attestations fausses ou de risques migratoires. A.M.H.
Aux portes de l’Espace des lettres français, rue de Damas, c’est bien avant l’aurore que se forment les queues pour les formalités de visas. Queues de plus en plus longues à l’approche de la saison estivale. Les interminables heures d’attente, mais aussi les tonnes de paperasses et de justificatifs à présenter afin d’obtenir le visa sont montrées du doigt par les...