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Actualités - REPORTAGE

Séminaire - Mondialisation et changements dans les sociétés méditerranéennes L’intégration des pays de la région ne se fait pas sans entraves(photos)

Décriée par ses détracteurs, célébrée par ses partisans, la mondialisation continue de susciter des réactions contradictoires. Aux contours encore imprécis, elle inspire aussi bien l’enthousiasme que la méfiance à travers le monde. Source de menaces pour les uns, elle est synonyme de richesse et de coopération pour les autres. Cette ambivalence se reflète notamment au niveau des débats publics de plus en plus partagés sur la question. Toujours est-il que les transformations induites au sein des sociétés sont énormes. C’est ce qu’a voulu démontrer le Lebanese Center for Policy Studies (LCPS) lors d’un séminaire sur les effets de la mondialisation organisé en collaboration avec la Fondation Konrad Adenauer et le Centre d’intégration européenne de l’Université de Bonn. Ce congrès, le premier d’une série de rencontres sur ce thème, visait à explorer l’impact de la mondialisation au sein des sociétés de la région méditerranéenne ainsi que les mutations opérées dans ces pays. Le débat, auquel ont pris part des experts et responsables politiques libanais et étrangers, devait notamment soulever les questions de la stratification et de la mobilité sociale, de la culture démocratique, du secteur privé face à la culture institutionnelle, des médias et des réformes au niveau de l’enseignement, ainsi que des transformations juridiques. Autant de domaines affectés d’une manière ou d’une autre par la mondialisation. «Une évidence s’impose à qui étudie le discours arabe contemporain : sa focalisation sur un thème-leitmotiv, porteur d’une grande charge de négativité qu’il s’emploie à diaboliser», affirme Georges Tarabichi, écrivain et éditorialiste au journal al-Hayat. Chez la majorité des intellectuels arabes, la mondialisation serait le «fléau par excellence du troisième millénaire», dit-il. Après avoir ciblé le «colonialisme» dans les années 40, «l’impérialisme» dans les années soixante, puis l’invasion culturelle dans les années quatre-vingts, l’intelligentsia arabe «brandit l’épouvantail» de la mondialisation, que les auteurs arabes s’emploient à dénigrer de toute leur force, explique l’intervenant. «Viol culturel», «agression symbolique perpétrée à l’encontre de toutes les cultures», «impérialisme financier», «idéologie hégémonique», ou encore «conspiration occidentale permanente», autant de qualificatifs utilisés pour dénigrer ce phénomène indésirable. Citant Hassan Hanafi, penseur égyptien, M. Tarabichi démontre l’excès réactionnaire que suscite la mondialisation dans l’inconscient collectif de certains intellectuels : «La mondialisation incarne le désir qui anime le Nord (…) de soumettre le Sud et de le mettre sous sa coupe». Elle est «l’intérêt de l’autre au détriment du moi, la supériorité de l’autre à l’infériorité du moi, et l’unification de l’autre en contrepartie du morcellement du moi». Un phénomène d’ordre mental Analysant ce qu’il qualifie de «représentations catastrophiques» ou de «vision apocalyptique», Georges Tarabichi rappelle que la mondialisation en tant que phénomène socio-économique n’a pas encore réalisé une incursion dans le monde arabe. Par conséquent, dit-il, elle relève uniquement de l’ordre mental. «Elle ne s’est guère manifestée dans les Bourses du monde arabe, ni dans ses marchés ouverts, et a fortiori dans ses marchés hermétiquement fermés, ni dans les portefeuilles de ses grandes firmes (…) ni dans les usines délocalisées. La mondialisation s’est surtout manifestée dans les esprits des intellectuels arabes». Tel n’est certes pas l’avis de tous les intellectuels dans la région, dont certains voient dans ce mouvement universel des promesses d’avenir incarnées notamment par les multiples accords de partenariat. «Il est clair que les nouvelles exigences de la globalisation concernant l’État de droit ne font pas l’unanimité», affirme Ahmed Driss, professeur à l’Université de Tunis, qui intervenait sur le thème de la «mondialisation, l’État de droit et l’action des élites». « Les élites aux pouvoir voient dans cette nouvelle conception une porte largement ouverte à l’ingérence, et tiennent de ce fait un discours qui prône la spécificité rattachée à chaque société ». Le conférencier définit la globalisation – ce «phénomène d’universalisation des modèles» – comme étant «une concentration de la décision au niveau mondial, se propageant au-delà des frontières, au-delà des nations, au-delà des États», et cela sur plusieurs plans : sur le plan économique, au niveau du marché financier et monétaire, au plan des normes politiques constitutionnelles, morales et culturelles qui s’imposent aux États et à la société civile, et enfin au plan scientifique et technologique . Évoquant la notion de « gouvernance » – un terme essentiellement utilisé par la Banque mondiale –, le professeur met en exergue le lien qui existe entre ce qu’il appelle les exigences de la globalisation au niveau politique et l’élaboration de l’État de droit . «Vue par la Banque mondiale, la gouvernance signifie l’art de gouverner pour obtenir un développent économique social et institutionnel». Par conséquent, des notions telles que la lutte contre la pauvreté, le respect de l’environnement et de la démocratie sont mises en avant, souligne l’intervenant en rappelant que ce sont ces «valeurs» qui établissent «le champ d’action de la Banque mondiale». Cette implication progressive dans la vie des États, illustrée par les exigences de «bonne gouvernance», entraîne un phénomène de «mondialisation du droit», poursuit l’intervenant. «Construire un régime fondé sur l’État de droit devient désormais une obligation», le socle de l’État de droit étant constitué «par un ensemble de droits fondamentaux, qui sont inscrits dans des textes de valeur juridique supérieure qui les placent hors d’atteinte des pouvoirs institués» et «bénéficiant d’une reconnaissance et d’une protection internationales». Des clauses secrètes La position de Chibli Mallat, directeur du Centre d’études sur l’Union européenne à l’USJ, reflète les contradictions d’un modèle qui se cherche encore. Pour ce juriste, la mondialisation a entraîné des conséquences positives tant au niveau juridique – la multiplication des instruments internationaux – que sur le plan économique et culturel, avec un effacement de plus en plus notoire de l’État et des acquisitions substantielles au plan de la démocratie. «Les conventions représentent un enrichissement indéniable que les juristes devraient mettre à profit», dit-il. «L’important pour chaque pays est de s’engager sur ses intérêts, quitte à tenter d’adoucir une loi injuste par la suite». Commentant le récent paraphe du traité de partenariat euro-méditerranéen par le gouvernement libanais, M. Mallat dénonce l’hermétisme dont a été entouré cet accord, les responsables politiques en ayant gardé les clauses secrètes. «C’est une approche infantile qui consiste à éviter les débats publics sur ce traité pour des raisons politiques». «Le terrorisme» – «un concept flou et juridiquement instable» – est l’un des aspects négatifs de cette mondialisation, estime Chibli Mallat. Il explique en outre comment l’affaire de Jénine reste intrinsèquement liée au procès Sharon : «Les Israéliens ont peur de l’action judiciaire menée sur la base de crimes contre l’humanité, ce qui explique d’ailleurs le refus du (Premier ministre israélien ) Ariel Sharon d’accepter la mission de l’ONU sur Jénine». Sélim Nasr, directeur général du LCPS, analysera à son tour l’impact de la mondialisation sur le Liban en constatant que ce pays n’a pas réussi à mettre en place les structures adéquates pour accueillir les changements nécessaires. Soulignant que la présence de l’État libanais s’est accrue à travers une ingérence directe dans les sphères économique et sociale, Sélim Nasr constate que cette intervention a résulté en une politique de gaspillage. «Il y a un besoin urgent de revoir ce processus et d’opérer les ajustements nécessaires afin de permettre au gouvernement et aux services publics de fonctionner de manière plus efficace, souligne M. Nasr. En l’absence d’un secteur redynamisé, l’intégration du pays dans l’économie mondiale sera entravée». Le Liban doit par ailleurs rectifier sa politique de développement, les disparités entre les communautés, les classes sociales et les régions étant énormes. «Le Liban a été et continue d’être le pays des contrastes sociaux, mettant face à face des modes de consommation et un style de vie similaires à ceux des classes privilégiées dans les sociétés développées et des niveaux de privation semblables à ceux que l’on retrouve dans les sociétés les plus déshéritées». Absence de structures mais aussi de vision économique et politique à long terme, non seulement de la part de l’État, mais surtout du secteur privé, constate, quant à lui, l’ancien ministre des Finances, Georges Corm, qui tente «de faire le procès du secteur privé» dans l’intérêt même du capitalisme comme il dit. «Je vais être un procureur très dur vis-à-vis du secteur privé qui, jusqu’à présent, n’a réussi à jouer aucun rôle dans le processus démocratique», dit-il. Après avoir dressé un historique exhaustif de l’histoire du capitalisme dans la région méditerranéenne, le ministre revient à la charge en préconisant un assainissement des relations entre les secteurs public et privé. Évoquant le capitalisme parasitaire qui a marqué pendant longtemps les économies de la région, Georges Corm dénonce les systèmes fiscaux, notamment au Liban, qui ont encouragé ce type de capitalisme. «Un pays sans fiscalité ne saurait parvenir à un développement équitable», affirme le ministre en évoquant l’écart qui existe entre les revenus du secteur public et ceux du secteur privé. Et M. Corm de dénoncer enfin «cette course démente», déclenchée par les institutions financières internationales, «pour effriter ce qui reste de la présence étatique». Jeanine JALKH
Décriée par ses détracteurs, célébrée par ses partisans, la mondialisation continue de susciter des réactions contradictoires. Aux contours encore imprécis, elle inspire aussi bien l’enthousiasme que la méfiance à travers le monde. Source de menaces pour les uns, elle est synonyme de richesse et de coopération pour les autres. Cette ambivalence se reflète notamment au...