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Actualités - OPINION

Vie politique - Taëf produit trop de contre-performances La majorité silencieuse commence à murmurer

Réunis en cénacle privé, pour faire le point, des sages de toutes confessions sont facilement arrivés à cette conclusion commune : Taëf a fait son temps. Ce pacte du pis-aller, fabriqué pour faire taire le canon, reste par trop déficient sur le plan politique. Il génère en effet un hiatus ingérable au niveau des institutions. En dotant l’État de trop de têtes pour qu’il puisse marcher droit. Il faut donc, estiment en chœur ces pôles légalistes, s’accorder sur un nouveau système. Qui fasse la part des choses, en traçant de nettes frontières entre les pouvoirs, qui doivent en tout cas être rééquilibrés. De manière à réduire les risques de frictions que provoquent les empiètements de prérogatives. Eux-mêmes issus du flou des textes. Dont l’un des péchés mignons, outre leurs multiples omissions, est de ne jamais prévoir des mécanismes précis pour régler les différents différends. Qui opposent tantôt les présidents, tantôt les institutions, tantôt divers départements étatiques. La réforme, ajoutent ces personnalités de tous bords communautaires, n’a que trop tardé. Les querelles cycliques entre les dirigeants, qui se sont plus particulièrement multipliées ces derniers mois entre Baabda et Koraytem, éreintent économiquement le pays. La déstabilisation, la perte de confiance attaquent la monnaie nationale, affaiblissent la Banque centrale autant que le secteur bancaire, bloquent les investissements. Le manque à gagner, ajouté aux pertes sèches, se chiffre en dix ans à des milliards de dollars. Les capitaux fuient un pays qui ne sait sur quel pied danser politiquement et où les contrats, les accords ne sont pas solidement respectés. Ainsi, au lieu que l’on ne voie affluer des fonds d’émigrés, l’argent local va se placer ailleurs. Le mal est en réalité ancien. En effet, comme le relèvent les personnalités assemblées, la transmission initiale à la présidence de la République des pouvoirs régaliens du Haut-Commissaire français a créé d’entrée de jeu un déséquilibre marqué entre les pouvoirs. Ce qui engendrait de fréquentes crises aiguës, notamment entre le chef de l’État et le Premier ministre. La longue lutte revendicatrice livrée au nom de ce que l’on appelait alors «la participation», a fini par déboucher sur une refonte totale de la Constitution. Mais l’opération, effectuée dans l’urgence à Taëf, a débouché sur un système encore plus bancal. Inversant en quelque sorte les déséquilibres, elle a en outre introduit dans le corpus étatique le virus de la confusion. Rien n’est clair, rien n’est tranché, nul ne sait où s’arrêtent ni où commencent les pouvoirs de chaque institution ou de chaque instance. Pour peu que les personnes placées à leur tête, et c’est fréquemment le cas, ne sont pas sur la même longueur d’onde, les parasites s’en donnent à cœur joie. Avec des couacs qui laissent libre champ, entre autres syndromes, à la corruption, à l’impéritie, à l’irresponsabilité administratives ou politiques. En d’autres termes, et l’expérience l’a bien montré, sans révision de l’ordre établi, aucune réforme administrative n’est possible. Aucune harmonisation durable entre les dirigeants non plus. La preuve en est qu’ils en sont venus à se disputer gravement, même pour des questions protocolaires. Or, soulignent les modérés, l’entente entre le chef de l’État et le président du Conseil est un élément indispensable dans un pays convalescent. Usant d’une image culinaire, ces vétérans notent que lorsqu’on mange dans un même plat, on finit toujours par se chamailler. Chacun doit donc avoir sa propre assiette, sans lorgner vers celle du voisin. Ce qui signifie en termes pratiques qu’il serait tout à fait utile, pour commencer, de réduire les cas trop nombreux pour lesquels Taëf exige une décision prise en commun par le chef de l’État et le président du Conseil. Certes, leur accord de principe va de soi quand il s’agit, par exemple, de tracer une ligne de politique étrangère. Mais pour arrêter des dispositions intérieures concrètes, c’est-à-dire pour gouverner, il n’est pas certain qu’il faille deux signatures au lieu d’une. Car on risque alors, et c’est bien ce que l’on constate depuis des années de paralysie mutuelle, qu’il n’y en ait aucune. Cela étant, le pouvoir de décision, tout en étant simplifié, résulterait en définitive d’un consensus collectif, comme le veulent les règles démocratiques. Qui précisent que le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale et non devant une autre instance. Cependant, en pratique, l’instauration d’une procédure de consultations parlementaires impératives, lors de la désignation d’un Premier ministre, est source de problème. En effet, comme on l’a vu dès l’avènement du nouveau régime, pour peu que le choix n’agrée pas beaucoup au chef de l’État, le choc de volontés devient inéluctable. Et la cohabitation qui s’ensuit se révèle désastreuse. Mais une solution est-elle possible ? Les intéressés répondent par l’affirmative. En prônant une abolition évolutive du confessionnalisme politique. On commencerait par allouer la présidence de la République aux chrétiens, et non plus spécifiquement aux maronites. Puis on ferait élire le chef de l’État au suffrage universel, pour un mandat de quatre ans renouvelable une fois. Une procédure qui permettrait à la majorité musulmane démographique de se rassurer, en désignant elle-même une personnalité chrétienne lui convenant. Le président du Conseil, désigné parmi les musulmans et non plus seulement parmi les sunnites, serait lui aussi élu par le peuple, également pour quatre ans. Il aurait quartier libre pour former son gouvernement à sa guise. La présidence de la Chambre irait à la communauté musulmane qui n’aurait pas obtenu la présidence du Conseil et aurait pareillement une durée de quatre ans. Émile KHOURY
Réunis en cénacle privé, pour faire le point, des sages de toutes confessions sont facilement arrivés à cette conclusion commune : Taëf a fait son temps. Ce pacte du pis-aller, fabriqué pour faire taire le canon, reste par trop déficient sur le plan politique. Il génère en effet un hiatus ingérable au niveau des institutions. En dotant l’État de trop de têtes pour...