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Actualités - INTERVIEWS

Rencontre - Le nouveau chef des Kataëb estime que Gemayel se trompe de parti et d’époque Karim Pakradouni : Si mon pari réussit, il aura un effet boule de neige

Entré en fonctions il y a moins d’une semaine, Karim Pakradouni se trouve face à un énorme défi, dont l’enjeu le plus important est de réapprendre aux Kataëb à croire en eux-mêmes. Les années de guerre et surtout leur issue, ainsi que les années de mauvaise application de Taëf ont ébranlé le parti encore plus sûrement que les luttes intestines. Le laisser-aller a fait le reste et aujourd’hui, c’est une structure vieillie et épuisée que le nouveau président prend en charge. «Je fais un pari, celui de renouer avec la tradition instaurée par le fondateur, lorsque le parti Kataëb était celui du pouvoir et plus précisément du président de la République. Je le crie haut et fort». Pakradouni espère être entendu. En ce vendredi saint orthodoxe, le siège central des Kataëb ressemble à une maison hantée. Des lieux presque déserts, des portes qui claquent, des volets décrépits et une terrible impression d’abandon. Le gardien ne prend même plus la peine de poser des questions aux rares visiteurs, mais la secrétaire fait de son mieux pour donner le change, alors qu’à côté d’elle, les appareils de téléphone sont le plus souvent débranchés. Même le dynamisme de Karim Pakradouni ne parvient pas à redonner vie à ce lieu jadis très fréquenté. Pakradouni est pourtant décidé à rendre au siège central son animation d’antan. Le chantier de rénovation commencera mardi, mais déjà, tout le monde est mobilisé pour faire le ménage. Le nouveau président s’est entouré des portraits de ses prédécesseurs, parmi lesquels il a insisté pour mettre celui du Dr Élie Karamé, enlevé il y a quelques années, pour cause de divergences. Faire respecter la légitimité du parti Karim Pakradouni souhaite certes une réconciliation interne, mais les derniers propos de l’ancien président Amine Gemayel ne lui facilitent pas la tâche. Les Libanais ont eu l’occasion de le voir à la télévision menacer de «reprendre par le sang ce qui a été usurpé». Pakradouni ne répond pas directement à ces accusations. Il a déjà annoncé qu’elles seront à l’ordre du jour de la première réunion du bureau politique sous sa présidence, lundi. «Il faut défendre la légitimité du parti et la faire respecter. Les sanctions seront étudiées dans le calme et la sérénité». Toutefois, Pakradouni analyse l’attitude de l’ancien président. «Cheikh Amine considère que ce bâtiment fait partie de l’héritage de son père. Pour lui, nous sommes tous des usurpateurs. Il croit aussi que tout le monde lui doit la même obéissance qu’à cheikh Pierre, qui, pour les Kataëb, est un mythe. Mais ce que les membres pouvaient accepter du fondateur, ils ne l’acceptent pas forcément de son fils, qui, de surcroît, n’a jamais cherché à gagner leurs cœurs ou leurs esprits». Pour Pakradouni, Amine Gemayel se trompe de parti et d’époque, et il est très difficile de se réconcilier avec lui. «Car, en plus du conflit personnel qui a trait à son attitude, il y a aussi des divergences politiques claires». Pour Pakradouni, les chrétiens ne peuvent plus rester en dehors du pouvoir et de l’État. «Ils sont en train de perdre ce qu’ils avaient d’essentiel, c’est-à-dire d’être les seuls chrétiens de la région à être au sein du pouvoir, avec l’accord des autres communautés libanaises». Or, depuis dix ans, les chrétiens sont en dehors du circuit, «d’abord parce qu’ils ont boycotté les élections et l’appareil étatique – ce qui je le reconnais maintenant était une terrible erreur – et ensuite parce qu’on a voulu les punir d’avoir eu cette attitude, en adoptant une politique systématique d’évincement». Selon le chef des Kataëb, le Liban est une démocratie consensuelle, une seule majorité ne suffit pas pour gouverner, même si le président du Conseil a cru pouvoir le faire. En 1992, 85 % des chrétiens ont boycotté les élections législatives et toutes les tentatives pour les remplacer ont échoué. Je n’ai pas peur pour le Liban «Aujourd’hui, affirme Pakradouni, je n’ai pas peur pour le Liban, il a passé le cap de la guerre interne et celle de la guerre dans la région, mais j’ai peur pour la coexistence. Les chrétiens sont de plus en plus marginalisés. Ils n’ont plus d’influence directe sur le pouvoir, se dépolitisent et ne songent plus qu’à émigrer. Pendant la guerre, c’était une attitude compréhensible, parce qu’il y avait un risque physique, mais aujourd’hui, c’est plus grave. C’est un manque de confiance dans l’avenir». Pakradouni fait l’analyse suivante : Avant la guerre de 75, les musulmans ne se considéraient pas représentés. Ils réclamaient la participation au pouvoir, alors que d’importantes personnalités musulmanes s’y trouvaient. La raison réside dans le fait que leurs partis étaient écartés du pouvoir : les nassériens, le Baas, le PC, etc. Aujourd’hui, c’est la situation inverse : tous les partis musulmans sont représentés au gouvernement, mais pas les partis chrétiens. Ceux-ci doivent donc être présents au pouvoir pour que les chrétiens se sentent représentés. Selon Pakradouni, sur le plan national, on commence à réaliser que l’absence des chrétiens est un handicap, que ce soit sur le plan politique ou sur le plan économique. «Toute la dynamique libanaise que l’on appelait le miracle libanais n’existe plus. Tous les dirigeants et même les Syriens en sont désormais conscients et le président Lahoud en particulier est déterminé à rééquilibrer la situation». Au sujet de l’élection partielle au Metn, Pakradouni annonce que le bureau politique se réunira aujourd’hui. Il comporte six personnalités originaires de cette région. «Il n’est pas question que nous appuyions Gabriel Murr, même si c’est un ami. À mon avis, il a agi avec trop de précipitation». Pakradouni raconte qu’il était à l’école avec Amine Gemayel et Nassib Lahoud. Il connaît bien les deux hommes et devine leurs motivations. Il n’est donc pas loin de croire que tous deux ont poussé Gabriel Murr à présenter sa candidature aussi rapidement. Quant au Rassemblement de Kornet Chehwane, Pakradouni révèle qu’il a établi des contacts pour que le parti y soit représenté. «Mais on nous a poliment répondu que le Rassemblement n’a pas prévu un système d’adhésion». Pakradouni reste convaincu que ce Rassemblement se réclamant de Bkerké, il ne doit pas être transformé en club fermé, ou en un parti comme les autres. Au contraire, sous la houlette du patriarche Sfeir, tous les partis chrétiens doivent se regrouper et il ne doit pas y avoir d’exclus dans le dialogue interne. «À partir de là, tous les points sont négociables». Scarlett HADDAD
Entré en fonctions il y a moins d’une semaine, Karim Pakradouni se trouve face à un énorme défi, dont l’enjeu le plus important est de réapprendre aux Kataëb à croire en eux-mêmes. Les années de guerre et surtout leur issue, ainsi que les années de mauvaise application de Taëf ont ébranlé le parti encore plus sûrement que les luttes intestines. Le laisser-aller a fait...