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Actualités - RENCONTRE

RENCONTRE - Spécialiste en droit public, il donne un cours à la faculté de droit de l’USJ Le Pr Philippe Ardant : Il faut relativiser la victoire de Le Pen (photo)

C’est aux étudiants libanais de la faculté de droit de l’USJ que le Pr Philippe Ardant a réservé la primeur de son analyse des résultats du premier tour de la présidentielle française. Invité au Liban pour donner un cours conjoint avec le Pr Antoine Kheir, ce spécialiste du droit public, ancien conseiller culturel près les ambassades de France au Maroc et en Chine, ancien doyen de l’université de Nanterre, puis d’Assas, et ancien directeur de l’Institut du monde arabe, tient d’abord à relativiser la victoire de l’extrême droite. Les ombres s’allongent dans la salle des professeurs de la faculté de droit, rue Huvelin. C’est une heure calme, propice à la réflexion, et le Pr Ardant cherche à analyser le scrutin du premier tour de la présidentielle française. A Paris comme à Beyrouth, le sujet est sur toutes les lèvres et le Pr Ardant a déjà donné une conférence aux étudiants sur ce thème, mais pour L’Orient-Le jour, il veut aller plus loin. «Je mentirais en disant que je n’ai pas été surpris par les résultats, déclare d’emblée le professeur. Mais il faut relativiser le succès de Le Pen. Sa grande réussite est d’avoir sorti Jospin de la course. C’est en fait le couronnement de sa longue carrière politique. Mais si on analyse les résultats du scrutin, on se rend compte qu’il n’y a pas eu une grande poussée de l’extrême droite. Elle a obtenu 400 000 voix de plus qu’en 1995. Sur un total de 40 millions d’électeurs, le phénomène reste marginal. Ce qui est plus spectaculaire, c’est la chute du parti communiste. Il avait une fonction de tribun du peuple et aujourd’hui, il est en voie de disparition et l’extrême droite a repris les aspirations populaires à son compte». Philippe Ardant est convaincu que les électeurs de l’extrême droite ne sont pas des fascistes et il ne croit pas qu’il y a une menace fasciste en France. «Le pourcentage ne compte pas vraiment. Dans la réalité politique, l’important, c’est le nombre de suffrages». Pourtant, le Front national affirme recevoir chaque jour des dizaines de demandes d’adhésion. «Cela n’a aucune importance, rétorque t-il. Les socialistes disent en recevoir autant. Ce qu’il y a, c’est qu’aujourd’hui, le FN est devenu légitime, alors qu’avant ses électeurs n’osaient pas se montrer, tant ce parti était diabolisé». La France ne peut accueillir toute la misère du monde Qui sont ces électeurs ? «J’en connais pas mal, répond Ardant. Ce sont des Français comme les autres qui pensent qu’il existe de nombreux problèmes que nul n’ose évoquer. Il est vrai aussi que nous avons échoué dans notre politique d’immigration et d’intégration. Michel Rocard disait lui-même : “La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde”. Certes, nous avons besoin de gens, mais certaines décisions ont agacé. À mon avis, il faudrait peut-être établir un cérémonial pour l’obtention de la nationalité, mais la gauche avait trouvé cela infâmant». Selon le Pr Ardant, une victoire de Le Pen est à écarter totalement. «À moins que les électeurs de gauche ne suivent pas les consignes de leurs dirigeants, car il ne s’agit pas de choisir Chirac, mais de voter contre Le Pen. On ne peut pas avoir une attitude de Ponce Pilate». Pourtant, le professeur Ardant est convaincu que Le Pen n’est ni un fasciste ni un xénophobe, mais un nationaliste. «Un de ses proches, Jean Claude Martinez, s’est installé pendant plusieurs années à Rabat. Il n’est donc pas du tout xénophobe». Dans ce cas, pourquoi le combattre avec tant de violence ? «Parce que les idées qu’on lui fait incarner donnent une mauvaise image de la France. En vérité, c’est Mitterrand qui a “fait” Le Pen, en instituant la proportionnelle, permettant ainsi au FN d’entrer dans l’Assemblée avec 35 élus. Aujourd’hui, “ce fils spirituel” de Mitterrand a sorti la gauche du second tour de la présidentielle». Que pense-t-il du refus du président Chirac de débattre avec son rival au second tour ? «Sur le plan démocratique, j’aurais souhaité qu’il y ait un débat. Mais je comprends la position du président sortant. Il a voulu rester conséquent avec lui-même. Comme il n’a jamais pactisé avec le FN, il a eu peur qu’un tel débat ne heurte certains». Ne pense-t-il pas qu’il y a un malaise dans la société française ? «C’est certain. Que les trotskistes obtiennent 10% des voix ne s’était jamais produit auparavant. Le centre est laminé. Il faut reconnaître que nous n’avons pas été capables de renouveler la classe politique et les candidats sortants étaient incapables de formuler des projets. L’extrême droite et l’extrême gauche ont obtenu un tiers des voix. C’est le signe de vote contestataire. Les électeurs ont voulu montrer à la classe politique que les vrais problèmes ne sont pas posés». Selon le professeur Ardant, le danger actuel est un repli sur un individualisme corporatif. À ce moment-là, le gouvernement renoncera à appliquer ses décisions, à cause de la pression des corporations, qui pensent plus à leurs intérêts qu’à l’intérêt général. «Certaines, toutefois, parviennent à s’entendre pour dépasser leurs intérêts propres. Mais si on peut changer les textes, il est plus difficile de modifier les mentalités». Le Pr Ardant revient sur le thème qui le passionne : la victoire de Le Pen au premier tour. Selon lui, ce dernier ne veut pas renvoyer tous les étrangers chez eux, mais il est pour une politique d’immigration et d’accueil contrôlée. Son grand conflit avec les idées du candidat FN c’est au sujet de l’Europe. «Dans le monde tel qu’il est en train de s’organiser, il n’y a d’autre solution qu’une Europe fédérale, d’autant que nous partageons beaucoup de valeurs avec les autres nations européennes». Le Pr Philippe Ardant refuse de se laisser entraîner sur une comparaison entre les corporations en France et les communautés confessionnelles au Liban. Bien qu’il ait passé deux ans à Beyrouth, de septembre 1958 à septembre 1960, et bien que son fils aîné y soit né, il ne souhaite pas se prononcer sur la situation libanaise. «Je garde un merveilleux souvenir de ce pays et à partir de Beyrouth, j’ai circulé dans toute la région. Au Liban, j’ai même été membre de la commission préparatoire du décret n° 112 sur la fonction publique. Depuis, je me suis toujours intéressé à ce qui se passe dans votre pays…». C’est pourquoi c’est aux jeunes Libanais qu’il a voulu parler de démocratie, de valeurs et d’intégration. Scarlett HADDAD
C’est aux étudiants libanais de la faculté de droit de l’USJ que le Pr Philippe Ardant a réservé la primeur de son analyse des résultats du premier tour de la présidentielle française. Invité au Liban pour donner un cours conjoint avec le Pr Antoine Kheir, ce spécialiste du droit public, ancien conseiller culturel près les ambassades de France au Maroc et en Chine, ancien...