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CONFéRENCE - Célébration de la Faculté orientale André Roman aborde les rives du langage, de la langue et de la culture (photo)

Dans le cadre des célébrations du centenaire de la Faculté orientale (1902), André Roman, professeur de l’Université Lumière (Lyon II) et ancien professeur à l’Institut de lettres orientales de Beyrouth, a donné une conférence intitulée «Vers le langage, la langue, la culture», dont voici quelques extraits : «L’homme, longtemps, a cru que la langue qu’il parlait lui avait été donnée par une divinité. Et lorsqu’il a cherché à sa langue une origine humaine il a imaginé que les hommes qui l’avaient inventée avaient nommé les êtres et les choses du monde en leur attribuant des noms sonores qui leur correspondaient : le nom français “coucou” donné à l’oiseau, le nom, arabe qabqâb, donnée au sabot de bois... Puis l’homme aurait combiné ces onomatopées dans des phrases. Cependant si les langues sont le produit de l’effort de l’homme, un effet de sa capacité, cette capacité ne peut être la capacité initiale de produire des onomatopées. En effet, une onomatopée est une nomination chaque fois singulière qui ne connaît qu’elle-même. Elle exprime toujours une expérience saisie dans l’instant, dans son unicité et dans sa totalité. Elle est faite d’un seul élément, toujours différent, irréductiblement, de ce qui n’est pas lui. C’est une entité absolue, hors temps, hors grammaire, un “hors-la-loi”. Une langue onomatopéique est un ensemble inorganique de phrases dont chacun exprime une expérience appréhendée comme singulière dans l’ignorance des expériences semblables. En conséquence le “boire du lait” ne peut être nommé d’après le “boire de l’eau”, car, dans une telle langue onomatopéique, ni “eau”, ni “lait” ne peuvent être nommés hors phrase, ne peuvent donc exister de par eux mêmes. La combinaison d’onomatopées supposée aurait donc été une combinaison de phrases, ce qui est, en soi, également impossible. Une organisation binaire harmonieuse Le premier moyen d’expression de l’homme ne peut avoir été cette langue onomatopéique. Il a été, nécessairement, une structure, prégnante de combinaisons. Or la combinatoire binaire est la seule combinatoire qui jamais ait été accessible à l’homme. En fait, la combinatoire binaire s’est imposée à l’homme. Sa démarche est donc “binaire”, fatalement. Ainsi il invente par oppositions binaires dans son monde les entités qui, à ses yeux, le composent. Il établit leurs identités sur leurs différences successives telles qu’il les perçoit. Le même mode d’agir, fait de lui l’artisan de la création parallèle d’un monde et de sa nomination, d’un monde indissociable de sa nomination. Et il compose en unités de message, binairement, les unités de nomination ainsi créées et mémorisées. De fait, la première organisation, générale de la langue arabe peut être reconstituée, exemplairement, comme une organisation binaire harmonieuse. Cette organisation, qui a été commune à toutes les langues sémitiques, a été conditionnée par leur système syllabique primitif, composé des deux seules syllabes /CV/ et /CVC/. En effet, ce système syllabique, que seule la langue arabe a conservé, a déterminé la disjonction du sous-ensemble de ses consonnes, (C), et du sous-ensemble de ses voyelles, (V). En conséquence, chaque langue sémitique a pu construire sur des racines de consonnes son système de nomination et sur des voyelles désinentielles son système de communication. Inventer un « hors temps » Le choix binaire de l’homme, ce choix pourtant contraint en fait un être de liberté, découvreur d’entités et d’expériences nouvelles qui réalisent un temps nouveau. Être d’histoire, l’homme ne peut qu’échafauder des “valeurs” temporelles, “séculières”. Les valeurs, qu’il se donne, même si elles apparaissent nécessaires à sa vie, ne peuvent être “naturelles” – elles tireraient leur légitimité de la “Nature” ! – car cette fin “naturelle” est une fin mortelle. Elle assure sans doute sa vie mais non pas sa survie. Aussi l’homme, pour s’affranchir du temps, tente-t-il d’inventer un “hors temps”. Il a admis, il admet, des êtres hors temps, multiples, une mythologie, ou, allant jusqu’au bout de sa démarche d’exploration de l’Autre, un être parfait, un “Être Un”, source de dépassements, de valeurs éternelles». Poème « ouvert » et nomination divine Par ailleurs quatre professeurs de l’Institut de lettres orientales (Ahyaf Sinno, Mitri Boulos, Louis Pouzet, s.j. et Joseph Chraim) ont pris la parole pour rappeler brièvement les contributions de M. Roman dans les domaines de la littérature et de la pensée arabes, dans sa syntaxe, dans sa traduction et dans sa stylistique : «Les travaux du professeur André Roman sur la littérature et la pensée arabes attirent notre attention à plus d’un titre. En littérature arabe, ses recherches ont porté, particulièrement sur le poète aveugle Bashshâr Ibn Burd (m. 784 ou 785), considéré par la critique arabe ancienne comme étant le premier parmi les poètes “modernistes”. L’attention du chercheur a été attirée par les vers des yeux et du regard dans l’œuvre de Bashshâr, par les thèmes de son œuvre inspirée par Abda, par la traduction des vers qui lui ont été dédiés (1 195 vers), et puis par un poème “ouvert” du même poète. Ces études ont été menées à partir d’un inventaire exhaustif du lexique, ce qui a permis de bien délimiter les thèmes, et de contrôler la traduction (…). Dans le domaine de la pensée arabe, et celui de la pensée linguistique en particulier, le professeur André Roman a publié de nombreuses études approfondies dont on retient : ses études sur le mystique al-Muhâsibî (…). Ses études sur l’origine de la langue et la nomination divine d’après le Coran, la relation de l’homme avec Dieu à travers la langue et la stabilité de la langue arabe (…)». «À vrai dire, André Roman n’a cessé de réfléchir sur les faits de style. Il y revient, après avoir jeté les fondements solides de la systématique de la langue arabe. Les questions qui se posent donc dans ce contexte et en s’inspirant de la troisième partie de la Systématique de la langue arabe, sont les suivantes : quels sont les problèmes de style qu’il a abordés ? Quelle est la méthodologie qu’il a suivie ? Quels sont les ouvrages de référence, auxquels il a eu recours ? Quels sont les résultats auxquels il a abouti ?». Un parcours dense et une œuvre de pionnier Dans son allocution, Ahyaf Sinno, directeur de l’Institut de lettres orientales, rappelle le parcours d’André Roman : «(…) La relation de l’Institut de lettres orientales avec le pr André Roman ne date pas d’aujourd’hui : il a été détaché à l’Institut le 1er novembre 1967, et il y a enseigné pendant six années universitaires, de 1967 à 1971, puis de 1973 à 1975, la traduction (du français vers l’arabe et de l’arabe vers le français), l’étude de textes arabes, et la linguistique arabe. En collaboration avec le directeur de l’Institut, le père Michel Allard, il a initié, dès 1970, le cursus d’études linguistiques générales, pour la première fois au Liban et dans les pays de la région. Aidé par Jacques Piolle qui enseignait, alors, à l’École supérieure des lettres, et avec l’appui du père Michel Allard, il a entrepris, de 1968 à 1971, des recherches sur le traitement automatique des textes qui ont mené à l’établissement d’un lexique exhaustif du livre des Fins Dernières (Kitâb al-Tawahhum) de Muhâsibî, et qui étaient supposées aboutir, en collaboration avec le mnistère libanais de l’Éducation nationale et l’Institut de lettres orientales, à l’établissement d’un arabe fondamental dont on aurait profité pour rénover l’enseignement de l’arabe dans le primaire. Au cours des six années passées à Beyrouth, les étudiants et les collègues d’André Roman ont pu tirer profit de ses qualités humaines, intellectuelles et professionnelles. Ce qui attirait le plus l’attention, c’était sa modestie, son ouverture d’esprit, sa vaste culture, sa haute compétence en langue arabe, son dynamisme, son dévouement, son exigence et sa conscience professionnelle allant jusqu’au scrupule. Il s’est imposé à ses étudiants, leur a donné le sens du travail et de la recherche, et, parmi eux, il a formé de futurs professeurs qui continuent à rendre service aux études arabes, soit à l’Institut de lettes orientales, soit dans les autres institutions universitaires du pays. Avec ses collègues, il entretenait d’excellentes relations fondées sur la collaboration et la franchise. Il a à son actif de nombreuses publications, dont huit livres et 118 articles et comptes-rendus critiques. C’est la linguistique arabe qui occupe le premier plan dans ses recherches : son dernier ouvrage, paru en 2001, la Systématique de la langue arabe, est une œuvre monumentale qui est l’aboutissement d’une réflexion longtemps mûrie, par un fin connaisseur de la langue et de la littérature arabes. L’on aperçoit clairement l’intérêt d’une entreprise pareille, et les services qu’elle est appelée à rendre aux spécialistes et aux étudiants, aussi bien qu’à la langue arabe en particulier, et aux études linguistiques dans leur ensemble (…). M. André Roman a fait œuvre de pionnier, non seulement dans les domaines que l’on vient de mentionner : il a fondé la Formation doctorale et le Centre de recherches en traduction et terminologie de l’Université Lumière – Lyon 2, et cofonde le Comité interuniversitaire (français) d’Études arabes. Il est chevalier de l’Ordre du Cèdre depuis 1971 et Officier des Palmes Académiques».
Dans le cadre des célébrations du centenaire de la Faculté orientale (1902), André Roman, professeur de l’Université Lumière (Lyon II) et ancien professeur à l’Institut de lettres orientales de Beyrouth, a donné une conférence intitulée «Vers le langage, la langue, la culture», dont voici quelques extraits : «L’homme, longtemps, a cru que la langue qu’il parlait...