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Actualités - CHRONOLOGIE

ÉLECTIONS - Partisans du courant du chef du gouvernement et opposants s’affrontent La privatisation des permis de construire divise les ingénieurs, rude bataille en perspective pour la présidence de l’Ordre

Quelque six à huit mille ingénieurs et architectes éliront demain un président à leur Ordre ainsi que deux présidents de sections (celles des ingénieurs civils et des ingénieurs agronomes) et trois membres de l’Assemblée générale de l’Ordre. Dans ce regroupement professionnel, la bataille politique fait rage entre partisans du courant du Futur, dans la mouvance du chef du gouvernement Rafic Hariri, et opposants à ce courant. À 24h du scrutin, des rumeurs persistantes courent autour d’éventuelles pressions sur les ingénieurs en faveur du candidat «proche du pouvoir», rumeurs fortement niées par la partie adverse. Le schéma se présente comme suit : des quatre candidats toujours en lice, l’un représente le courant du Futur, Bilal Hamad, doyen de la faculté de génie civil à l’AUB et président de l’Association des diplômés de la Fondation Hariri. Il est également appuyé par le Hezbollah, le mouvement Amal, le Parti socialiste progressiste (PSP), les Forces libanaises et le Baas. Un second candidat, Sobhi Bsat, qui se définit comme étant un indépendant, est appuyé par certains mouvements majeurs de l’opposition, le Courant patriotique libre (CPL) de mouvance aouniste, le Parti national libéral (PNL), le Parti communiste libanais (PCL) et les divers courants indépendants, dont le «Groupe du choix professionnel» qui évolue au sein de l’Ordre et se veut aconfessionnel et apolitique. Les deux autres candidats, Abdel Nasser Qadiri et Rifaat Saad, se présentent comme indépendants. Par ailleurs, les listes électorales (vu que le vote porte sur six postes en fait) ont tardé à se former avant la date du scrutin. Des observateurs notent que la bataille se déroulera le plus certainement entre les deux premiers candidats et qu’elle prendra une tournure d’opposition au pouvoir en place et à certains des projets qu’il veut promouvoir. D’aucuns, cependant, refusent la répartition opposants et loyalistes, considérant que des alliances se font et se défont à la veille des élections. Certains pôles de l’opposition, toutefois, comme Nemr Chamoun, chef de la section des ingénieurs au PNL, n’hésitent pas à qualifier cette bataille de «survie de l’Ordre et de lutte contre l’hégémonie». Ils redoutent l’approbation, par un éventuel président de l’Ordre proche du Premier ministre, de projets de lois «très nuisibles aux ingénieurs». Quelles sont ces craintes ? M. Bsat les résume de la façon suivante : des projets de loi «modernes» sur la construction, sur la sécurité publique (un décret celui-là) et sur une régularisation fiscale des ingénieurs, qui seraient appuyés par les milieux du Premier ministre. Le premier projet préconise la création de bureaux privés d’octroi des permis de construire, sous prétexte que les autorités chargées de ce dossier ne se montrent pas actuellement à la hauteur. Le second projet implique également une privatisation, celle des bureaux de surveillance celle-là, pour ôter ce monopole aux bureaux étrangers. Peur du clientélisme C’est la privatisation que rejettent aujourd’hui les représentants de l’opposition. «Les projets de loi sur la construction et sur la sécurité publique cachent une intention de mainmise sur le secteur», affirme M. Bsat. «Des bureaux privés d’octroi de permis priveraient la Direction générale de l’urbanisme et les municipalités de leur rôle. Cela est très dangereux parce que les ingénieurs se trouveront dépendants de ces bureaux dont la répartition, comme il se doit dans ce pays, obéira à une logique de clientélisme. Les personnes qui ne sont pas d’une certaine mouvance politique ne pourront plus travailler». Il a également critiqué le décret de la sécurité publique tel qu’il se présente, c’est-à-dire avec l’idée de bureaux de contrôle privés. «Nous sommes tous favorables à un renforcement des mesures de sécurité publique, mais nous sommes contre les mécanismes proposés, poursuit-il. Les bureaux de surveillance technique de niveau un, c’est-à-dire ceux qui devraient prendre en charge les immeubles de plus de trente mètres, doivent, selon le texte, être fondés avec un budget de 300 millions de livres au moins. Nous ne savons pas pourquoi ce chiffre a été retenu alors que tout ce dont ont besoin ces contrôleurs est leur expertise. Mais le plus grave, c’est que, selon le texte, ces bureaux doivent être agréés par des compagnies en Europe de l’Ouest ou en Amérique. Or personne ne va vous doter d’une agrégation tout en vous permettant de rester chez vous. Ça veut dire que, pratiquement, les contrôleurs seront étrangers, surtout que peu d’ingénieurs libanais répondent aux critères imposés, c’est-à-dire cinq ans d’expérience dans ce domaine». Mais l’intention du gouvernement n’est-elle pas, justement, de créer des bureaux libanais capables d’entrer en compétition avec les bureaux étrangers actuellement opérationnels au Liban ? «Nous ne pouvons nous baser sur des intentions, mais sur ce qui est écrit dans le texte du décret», répond M. Bsat. M. Hamad, pour sa part, nie avoir jamais préconisé la privatisation des autorités d’octroi de permis bien qu’il soit favorable à celle des bureaux de contrôle. «Ce sont des mensonges de période électorale, s’exclame-t-il. Le nouveau projet de loi sur la construction comporte un article sur la création de bureaux privés pour l’octroi de permis. Le courant du Futur n’a rien à voir avec cette décision prise par des ingénieurs de tous bords. Je suis personnellement hostile à cette mesure qui pourrait mener à un monopole de l’octroi des permis». M. Hamad insiste cependant sur le renforcement de la sécurité publique dont l’instrument peut se présenter sous forme de bureaux privés «chargés d’effectuer un second contrôle et capables de priver les bureaux étrangers de leur monopole sur le marché libanais» ou de renforcement des capacités des municipalités dans le même objectif, «une mesure qui devrait dans tous les cas être prise». Il cite d’autres priorités comme l’élaboration de normes libanaises par Libnor, la création d’emplois pour les ingénieurs par l’organisation, au sein de l’Ordre, de sessions de formation continue selon les besoins du marché du travail, l’institutionnalisation de l’Ordre des ingénieurs, la réglementation des universités qui enseignent la matière, le développement des services offerts par les caisses de retraite des ingénieurs et «la défense des libertés publiques». De sérieuses critiques ont été formulées à l’encontre du candidat Hamad pour sa suggestion de sessions de formation pour ingénieurs. «Ce n’est pas la compétence des ingénieurs qui est en cause, mais bien l’absence de lois claires, de contrôle sur les universités…», souligne M. Chamoun. Le troisième projet controversé porte sur la régularisation fiscale des ingénieurs selon l’impôt de revenu imposé aux professions libérales. «Ce projet n’est pas équitable puisqu’il traite à égalité les ingénieurs qui ont payé leurs dus et ceux qui ne l’ont pas fait, et qu’il ne tient pas compte des différences de revenus», fait remarquer M. Bsat. Pour sa part, M. Hamad récuse avoir jamais adopté ce projet de régularisation fiscale. «Qu’ils trouvent une alternative pour épauler l’Ordre dans ce domaine au lieu d’en faire un sujet de surenchère, lance-t-il. L’Ordre des ingénieurs s’est réuni récemment avec les autres Ordres de professions libérales pour demander de repousser le délai de trois mois, ce qui a été fait, en vue d’étudier ce projet de loi. Je pense que, d’une part, il ne faut pas traiter à égalité ceux qui ont fait une déclaration d’impôts et ceux qui ne l’ont pas fait, ceux qui ont payé leur dû et ceux qui ont fui l’échéance. D’autre part, il convient de prendre en considération la situation économique difficile». Tiraillements au sein de l’AUB Par ailleurs, l’accusation la plus grave formulée contre le candidat du courant du Futur consiste à dire qu’il sera un outil entre les mains du pouvoir s’il est jamais élu. Comment M. Hamad répond-il à cela et envisage-t-il d’exercer ses fonctions à la tête d’un Ordre professionnel alors qu’il représente un mouvement au pouvoir ? «Nous sommes dans un pays très politisé, et, si je suis appuyé par des forces politiques, mes adversaires le sont aussi, répond-il. Personnellement, je ne peux réussir que si j’ai une liberté de mouvement à l’intérieur de l’Ordre, et mes alliés politiques ne peuvent bénéficier de ma présence que si je représente réellement tous les ingénieurs. Tel est le défi. Je promets que, si je suis élu, aucune loi ne sera approuvée au sein de l’Ordre que si elle reflète l’avis de la grande majorité des ingénieurs et si elle assure leurs droits». Il qualifie les accusations portées contre lui de «surenchère électorale» surtout que «les décisions prises au sein de l’Ordre ont toujours un caractère professionnel, rarement politisé». Par ailleurs, la bataille électorale de dimanche se déroulera sur fond de tiraillements au sein d’une institution à laquelle appartiennent trois des quatre candidats (Hamad, Bsat et Qadiri), le comité des ingénieurs à l’Alumni, association des anciens de l’AUB. La décision de l’Alumni de soutenir un des trois candidats, en l’occurrence M. Hamad, a fait des vagues. «Cette institution a outrepassé ses prérogatives, souligne M. Bsat. Un tel comité n’est pas élu pour prendre une décision à la place des ingénieurs de l’AUB. Il aurait dû rester neutre, comme il l’a fait à chaque fois que l’AUB avait plus d’un candidat en lice. Il est impensable que ses membres aient cédé aux pressions exercées contre eux». M. Hamad assure qu’il n’en est rien. Une réunion avait été tenue par les comités des ingénieurs civils et agronomes et, selon lui, il avait obtenu la majorité écrasante des voix (onze contre une pour M. Bsat), «bien que ces personnes n’appartiennent pas au courant du Futur», fait-il remarquer. Qu’en dit Sami Alameddine, président du comité des ingénieurs à l’Alumni ? «Si les candidats de l’AUB étaient seuls en lice, nous ne serions pas intervenus, répond-il, Mais vu qu’ils ne le sont pas, nous avons eu peur d’une répartition des voix entre les trois qui aurait favorisé d’autres candidats. Voilà pourquoi nous avons décidé d’en soutenir un seul». Pourquoi le choix a-t-il porté sur M. Hamad ? «Nous avons invité chacun des trois candidats à présenter son programme électoral aux comités d’ingénieurs civils et agronomes, et M. Hamad a obtenu la majorité des voix, explique M. Alameddine. De plus, il est professeur à l’AUB depuis de nombreuses années et a beaucoup de compétence». Il s’empresse d’ajouter que «notre décision n’a qu’une influence morale sur les ingénieurs et n’engage aucun d’eux en rien». A-t-on exercé des pressions sur eux ? «De quelles pressions veut-on parler ? dit-il. Il y a un mois, lors des élections de délégués, nous avons soutenu une liste de l’université qui s’était présentée contre la liste de M. Hariri. Les alliances électorales n’ont pas d’effet sur le travail ultérieur, et M. Hamad a catégoriquement nié que son appartenance politique aura un effet quelconque sur son travail s’il est élu. Par ailleurs, la privatisation des bureaux d’octroi de permis est refusée par tous». Mais ce n’est pas de cet œil que M. Bsat voit les choses. Il dénonce non seulement les «pressions exercées sur des institutions respectables pour les pousser à servir de couverture à la candidature de certaines personnes» mais aussi «des agissements qui ne sont pas dignes du corps des ingénieurs, comme l’envoi de courriers électroniques à certains d’entre eux pour les encourager à placer leur CV au stand électoral d’un certain candidat de l’AUB». Quelles sont les attentes des candidats pour la journée de demain ? «J’espère que les ingénieurs me choisiront pour mon passé d’ingénieur et ma compétence, pas pour mon appartenance politique», dit M. Hamad. Pour sa part, M. Bsat considère que «le temps des rouleaux compresseurs est passé» et espère «des élections libres et démocratiques». Une chose est sûre, selon les observateurs, la bataille sera rude. Suzanne BAAKLINI
Quelque six à huit mille ingénieurs et architectes éliront demain un président à leur Ordre ainsi que deux présidents de sections (celles des ingénieurs civils et des ingénieurs agronomes) et trois membres de l’Assemblée générale de l’Ordre. Dans ce regroupement professionnel, la bataille politique fait rage entre partisans du courant du Futur, dans la mouvance du chef...