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Actualités - REPORTAGE

DROITS DE L’ENFANCE - Délinquance juvénile : deux experts internationaux prônent la prévention plutôt que la punition Jaap Doek : Ces tabous qui empêchent les choses de bouger au Liban Stewart Asquith : Une justice pour l’enfant et non une justice juvénile(photos)

Le congrès «Pour une meilleure protection de l’enfance au Liban», organisé par neuf ONG libanaises en collaboration avec l’Unicef, a vu la présence de nombreuses personnalités internationales œuvrant officiellement pour l’enfance. Au cours d’une entrevue exclusive avec «L’Orient-Le Jour», le professeur Jaap E. Doek, de l’Université d’Amsterdam, président du Comité de la convention des droits de l’enfance (CRC) aux Nations unies, a rappelé les grandes lignes de la Convention internationale des droits de l’enfant telle qu’adoptée par les Nations unies en 1989. Entrevue qui a plus particulièrement mis en relief les problèmes de l’enfance en situation de risque ou en conflit avec la loi. De même, le professeur Stewart Asquith, de l’Université de Glasgow, expert spécial sur l’enfance auprès du Conseil de l’Europe, a insisté sur l’importance de la prévention plutôt que la répression, sur l’éducation plutôt que la punition, dans les cas précis de mineurs en situation de délit ou d’enfants à risque. Certes, de nombreux progrès ont été réalisés dans le domaine des droits de l’enfance au Liban, qui a été le premier pays arabe à avoir ratifié la Convention des droits de l’enfant, en 1990. Mais tant l’esprit général de la législation libanaise concernant l’enfance que son application effective sur le terrain nécessitent encore de gros efforts à tous les niveaux. Car les résistances sont fortes et l’évolution de la situation de l’enfant continue à se heurter à des tabous d’ordres religieux, sociaux, culturels et même politiques. Résistances qui font que l’on continue à envisager de construire des prisons pour mineurs au lieu de traiter les véritables causes de la délinquance. Résistances qui consistent à punir le délinquant ou même l’enfant à risque, issu de milieux défavorisés, plutôt que de l’aider à devenir un être social à part entière. Anne-Marie EL-HAGE Il est président du Comité de la convention des droits de l’enfance aux Nations unies (CRC). Comité qui contrôle la bonne application de cette convention par les gouvernements. À l’occasion de sa participation à Beyrouth au congrès «Pour une meilleure protection de l’enfance», Jaap Doek, également professeur à l’Université de droit d’Amsterdam, explique le rôle du CRC et dresse un bilan mitigé de la situation de l’enfance au Liban. Une situation d’autant plus compliquée qu’elle est régie par de nombreux tabous religieux et communautaires. «Les problèmes de base comme la santé et l’alimentation des enfants, l’éducation ou la discrimination, mais aussi l’enfance à risque et la délinquance juvénile, en conflit avec la loi libanaise constituent notre souci primordial», explique Jaap Doek. Malheureusement, reprend le professeur, la situation est compliquée au Liban, et cela rend la tâche du gouvernement plus difficile, d’autant plus que le statut de chaque individu dépend de son appartenance religieuse et communautaire. «On se demande comment le gouvernement peut gérer toutes ces communautés», dit-il, ajoutant que non moins d’une douzaine de groupes ont chacun ses propres lois, concernant notamment le mariage, l’héritage, le statut personnel, etc. Et le professeur d’affirmer que bien que conscientes de la difficulté de cette initiative, les Nations unies encouragent le gouvernement à harmoniser cette situation. Emprisonner les enfants n’est pas une solution à la délinquance La façon répressive avec laquelle le gouvernement traite l’enfance à risque, au même titre que les mineurs en conflit avec la loi, constitue un des problèmes de taille ayant mené, entre autres, à la tenue de ce congrès. En effet, explique Jaap Doek, il est important, dans un premier temps, que le gouvernement parvienne à établir une nette distinction entre ces deux situations, car on ne peut assimiler l’enfant à risque, c’est-à-dire celui dont les conditions de vie favorisent la délinquance, à un délinquant juvénile, qui a eu des démêlés avec la justice. Par ailleurs, le professeur s’étonne «qu’on veuille systématiquement construire des prisons et mettre en détention l’enfance à risque et les mineurs délinquants !», d’autant plus que construire des prisons nécessite d’importants investissements. «Au contraire, insiste-t-il, non seulement la prison n’est pas un moyen efficace de lutte contre la délinquance, mais il a été prouvé qu’elle ne peut qu’empirer la situation de chacun». Car elle prive l’enfant d’éducation et l’empêche de se tailler une place dans la société, tout en le menant à la récidive. «Pourquoi ne pas trouver une alternative aux institutions et utiliser cet argent de manière plus adéquate, propose-t-il, en assurant à ces enfants l’éducation dont ils sont privés. Pourquoi ne pas essayer d’élucider les causes de leur mendicité, de leur délinquance, de leur pauvreté ?». Et d’ajouter que la résolution de cette question représente un défi de taille pour le gouvernement libanais et serait la preuve d’une remarquable évolution. Certes, reprend-il, mettre les idées sur papier sous forme de loi n’est pas la difficulté majeure. «La véritable difficulté, à ce stade, note-t-il, réside dans le fait d’éloigner de la rue les enfants à risque et les délinquants, sans pour cela les traiter comme des criminels, ni les enfermer dans des institutions ou dans des prisons». Car, ajoute-t-il, ce n’est pas un crime d’être dans la rue. Le crime est de les laisser dans la rue, livrés à eux-mêmes et à l’exploitation des adultes, à la mendicité et même à la prostitution, en grandissant. Et cela est la responsabilité tant de leurs parents que de l’État. Un État qui, selon l’expert, doit assurer les fonds nécessaires et construire une infrastructure pouvant aboutir à la résolution de ce problème, comme notamment l’éducation de tous les enfants du pays et l’embauche d’éducateurs spécialisés, d’assistants sociaux ou autres, pour s’occuper des jeunes à risque. Si Jaap Doek insiste particulièrement sur le problème de la délinquance juvénile, c’est parce qu’il craint que ce problème ne devienne chronique dans la société libanaise, surtout si le gouvernement n’adopte pas une politique plus adéquate concernant les mineurs délinquants ou à risque. Certes, admet-il, il est parfois nécessaire de placer certains enfants en institutions fermées, mais uniquement dans des cas très précis et très limités. Car la réhabilitation de l’enfant dans la société doit être l’objectif principal de sa mise en détention. De plus, remédier à la délinquance nécessite d’autres mesures que la construction de prisons qui risquerait d’encourager les juges à emprisonner davantage de jeunes. Le problème des enfants palestiniens Découlant directement des enjeux et complications politiques, le problème des réfugiés palestiniens va en s’amplifiant, note, par ailleurs, le professeur Doek. Tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des camps, ils sont privés de leurs droits les plus essentiels. En effet, les enfants palestiniens n’ont accès ni à l’éducation ni aux soins, ce qui est contraire à la Convention des droits de l’enfant. Et le professeur Doek de préciser que si le règlement de ce problème est la responsabilité partagée du gouvernement libanais et de l’Unrwa, le CRC, lui, s’adresse directement au gouvernement libanais, car son rôle est de s’assurer que chaque enfant au Liban a droit à la santé et à l’éducation. «Nous sommes conscients qu’au Moyen-Orient on défend le droit de retour des Palestiniens, mais ces enfants sont nés au Liban et le fait de prôner leur retour dans leur terre n’est pas une excuse pour les priver de soins et d’éducation, et pour en faire des délinquants en puissance». Tout en insistant sur le devoir du gouvernement d’étudier les problèmes de la délinquance, de l’enfance à risque et de l’enfance palestinienne de manière approfondie, Jaap Doek met en garde contre l’effet boule de neige que pourraient avoir ces problèmes sur l’ensemble de la société. «Prévenir la délinquance, ajoute-t-il, implique aussi pour le gouvernement de ne plus continuer à ignorer certaines réalités, comme notamment le statut des mères célibataires, des veuves ou des divorcées, ainsi que les problèmes de discrimination des enfants nés hors mariage, de garde d’enfants ou autres». Conscient des tabous relatifs à ces questions délicates, le professeur préconise une éducation communautaire et religieuse de la population conforme à la Convention des droits de l’enfant. «Briser les tabous est une initiative progressive qui pourrait prendre 30 voire 40 ans, prévient-il. Mais cette transition est nécessaire car il faut faire bouger les choses». Les problèmes de l’enfance au Liban sont sérieux. Mais les choses peuvent évoluer, conclut le président du Comité de la convention des droits de l’enfance, glissant dans ses propos une note d’optimisme. En effet, nombreuses sont les ONG qui s’activent, en collaboration avec l’Unicef, pour amener le gouvernement à prendre conscience et à améliorer les conditions de l’enfance, tant au niveau de la législation que sur le terrain. Des problèmes qu’il est devenu impossible de cacher tant ils sont présents dans la société. A-M H. La prévention sous toutes ses formes, notamment le soutien aux familles défavorisées, est le moyen le plus efficace que préconise Stewart Asquith, professeur à l’Université de Glasgow, pour lutter contre la délinquance juvénile, alors qu’il réfute les méthodes dures comme l’emprisonnement des délinquants ou leur placement en institutions. Expert spécial des problèmes de l’enfance auprès du Conseil de l’Europe, notamment dans les problèmes d’ordre pratique des droits de l’enfance, de la justice juvénile et de l’exploitation sexuelle des jeunes, M. Asquith développe également un programme pour le Pnud à l’intention des enfants de Lettonie. «Garder dans leurs familles et dans leur communauté les enfants à risque ou en conflit avec la justice au lieu de les placer dans des prisons ou des institutions, telle est la ligne de conduite préconisée par la Convention des Nations unies sur les droits de l’enfant», explique Stewart Asquith. Car la réinsertion de ces enfants dans leur communauté et dans la société est prioritaire et deviendrait hypothétique voire quasiment impossible pour l’enfant en milieu carcéral. Une justice basée sur la prévention «Protéger l’enfance est notre but primordial, insiste le professeur, et priver l’enfant de sa liberté est une mesure qui ne devrait être utilisée qu’en dernier recours, pour une période très limitée et dans des cas exceptionnels». D’autant plus que la frontière entre la délinquance juvénile et l’enfant en manque de protection est très mince. «C’est d’ailleurs dans le but de protéger l’enfance que nous prônons une justice pour l’enfant au lieu d’une justice juvénile», dit-il à ce propos. Une justice basée sur la prévention précoce de la délinquance, s’adressant non seulement aux délinquants juvéniles mais aussi et surtout aux enfants à risque, autrement dit à ceux que leurs conditions de vie prédisposent à la délinquance. Une justice qui fournit aux enfants santé et éducation tout en protégeant leurs parents des affres du chômage. C’est la raison pour laquelle nous considérons que construire des prisons pour mineurs représenterait un pas en arrière, précise-t-il, faisant ainsi allusion à la proposition du gouvernement libanais de bâtir une prison pour enfants. Certes, ces mesures préventives nécessitent un investissement à long terme de la part du gouvernement. Mais plutôt que d’investir dans des prisons et des institutions, plutôt que d’avoir recours à la punition, qui n’est qu’un investissement à court terme et qui ne résout pas le problème, il serait certainement plus efficace, pense Stewart Asquith, de supporter financièrement les familles pauvres et à risque, minées par le chômage, les séparations, la violence, la drogue et les abus en tout genre. Des familles dont les enfants peuvent facilement sombrer dans l’univers de la délinquance. De même, serait-il nécessaire d’embaucher des travailleurs sociaux qui pourraient jouer le rôle de superviseurs de ces enfants délinquants. Car explique le professeur Asquith, «il a été prouvé qu’enfermer l’enfant ne l’aide aucunement à devenir un être social. Bien au contraire. Emprisonné durant une période déterminée, ce dernier en sort sans la moindre éducation, sans formation professionnelle et avec une image fort négative de lui-même». Pourquoi ne pas chercher à donner à ces enfants une image positive d’eux-mêmes, insiste ce spécialiste de l’enfance ? «Ignorer leur pauvreté et les jeter en prison est une façon de les blâmer, de les rendre responsables de leur situation et de les faire expérimenter l’injustice sociale». Réinsertion, non-exclusion Et de préciser que les ONG et le gouvernement doivent travailler dans le même but afin de chercher des solutions aux nombreux problèmes de l’enfance au Liban. Solutions qui iraient dans le sens du développement social. «Malheureusement, déplore-t-il, de nouvelles lois sont en passe d’être adoptées par le gouvernement sans consultation préalable des ONG et sans coordination entre les deux parties». Lois qui risquent d’aggraver la marginalisation, l’aliénation et l’exclusion des délinquants et des enfants à risque, car elles impliquent des stratégies qui ignorent les composantes familiales et sociales comme facteurs pouvant mener à la délinquance juvénile. Dans tout pays où la crise économique est grave, les premières victimes sont les enfants, conclut Stewart Asquith, tout en mettant l’accent sur les efforts déjà entrepris par les ONG, l’Unicef et le gouvernement libanais pour faire évoluer les choses et pour une meilleure application de la loi protégeant l’enfance. La volonté et la motivation existent. Ratifier la Convention des Nations unies des droits de l’enfant est une chose. L’appliquer correctement est une autre chose. Encore faudrait-il savoir à quel niveau le Liban place l’enfance dans ses priorités… A-M H.
Le congrès «Pour une meilleure protection de l’enfance au Liban», organisé par neuf ONG libanaises en collaboration avec l’Unicef, a vu la présence de nombreuses personnalités internationales œuvrant officiellement pour l’enfance. Au cours d’une entrevue exclusive avec «L’Orient-Le Jour», le professeur Jaap E. Doek, de l’Université d’Amsterdam, président du...