Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINION

L’ostentatoire singularité de Bachar el-Assad

Dans la forme comme dans le fond. C’est effectivement à tous les niveaux que la Syrie s’est ostentatoirement singularisée avant, pendant et après le sommet arabe de Beyrouth. Se lançant dans un impressionnant et très remarqué cavalier seul avec, en apparence du moins, une seule règle : dire noir à chaque fois que le Saoudien disait blanc. Ou presque. Et en entraînant avec elle Beyrouth – comme de bien entendu. Tout commence il y a quelques semaines, après que le prince héritier saoudien, dont le pays s’est lancé ardemment dans la reconquête d’une crédibilité aux yeux de Washington, eût offert à Thomas Friedman du New-York Times l’exclusivité – avant même qu’un quelconque dirigeant arabe n’en ait vent – de ce que l’on appelle aujourd’hui l’initiative Abdallah. Dont le seul réel intérêt était la nouveauté et la netteté de son terme-clé : la «normalisation» avec Israël. Et ne voilà-t-il pas que Damas s’empresse d’imposer un amendement à la formulation saoudienne, au nom de l’unité de vues officielle arabe. Obligeant ainsi quelques jours plus tard Ryad à céder en remplaçant cette «normalisation» par le concept de «paix globale». Et autorisant Beyrouth à se lancer dans sa toute légitime croisade anti-implantation – une croisade qui continue de faire grincer les dents de la majorité des pays arabes. L’étape suivante a été celle de la rencontre au Caire entre Bachar el-Assad et Hosni Moubarak. Un autre contempteur – en privé cette fois (le pouvait-il qu’il n’aurait jamais pu le dire haut et fort) mais avec bien plus de hargne et pour bien d’autres raisons – de l’initiative saoudienne, venue rompre des décennies de suprématie diplomatique égyptienne. Les deux présidents s’étaient officiellement mis d’accord sur le principe de la proposition Abdallah, même si certaines sources affirment qu’en réalité, cela s’était très mal passé entre eux. Quoi qu’il en soit, il est indéniable que le docteur Bachar a marqué un nouveau point dans la capitale égyptienne. Et l’absence du Raïs à Beyrouth a donné un sacré relief à l’intervention syrienne. Pour comprendre la rancœur de Damas à l’égard de Ryad, il suffit de garder en tête le fait que, cette dernière décennie durant, l’Arabie saoudite a toujours soutenu l’exigence syrienne – et donc libanaise – pour que soit traité en premier, avec Israël, le volet bilatéral (la récupération des terres) et, «ensuite», le volet multilatéral (la normalisation). Un soutien qui a été clairement remis en cause par la proposition Abdallah. Et cette rancœur, politiquement, concrètement, s’est traduite par deux discours radicalement opposés. C’est-à-dire que juste après que le prince héritier wahhabite eût lancé, en plein sommet de Beyrouth, un solennel et historique appel «au peuple israélien», exhortant même les dirigeants israéliens «à parier, pour une fois depuis cinquante ans de guerre, sur la paix», Bachar el-Assad proposait rien de moins que «la rupture des relations arabes avec Israël», et aux dirigeants réunis à Beyrouth de «poursuivre le soutien matériel et moral à l’intifada». On ne peut pas être plus clair, et le n°1 syrien, non content de prendre l’exact contrepoids du prince héritier, a prouvé, avec beaucoup de talent, certes, et de maestria, à quel point il pouvait être le plus démagogue et le plus ultraroyaliste des dirigeants arabes : en se posant en défenseur de la cause palestinienne et de la lutte finale (au moment même où Yasser Arafat lui-même – et que le régime syrien est loin de porter dans son cœur – applaudissait, bon gré mal gré, l’initiative saoudienne), et en n’hésitant pas à comparer les souffrances des Palestiniens «à celles des juifs sous le nazisme». S’érigeant donc, pour le Palestinien lambda, en ultime rempart contre la volonté «des autres» d’imposer au peuple palestinien une paix à n’importe quelle décision. Alors que la politique régionale du docteur syrien s’inscrit directement dans celle de son père, qui a toujours voulu contrôler la carte palestinienne. Et tout le reste est à l’avenant. À l’issue du sommet de Beyrouth, et alors que le monde entier saluait l’initiative saoudienne, le président syrien le relativisait sans ambages, affirmant que «la différence entre nous et les autres, c’est que nous croyons qu’il ne s’agit que d’un premier pas». Et demandait à son bras armé, le Hezbollah, d’annoncer que ce plan n’était rien moins que «mort-né». Cela, sans oublier le refus, signé Émile Lahoud, de la transmission satellitaire du discours de Yasser Arafat. Une décision que le chef de l’État n’aurait jamais prise seul – comprendre par là qu’il ne l’aurait jamais prise si Damas ne le lui avait suggéré. Les motivations de Bachar ? Pour l’instant, ce ne sont que pures spéculations, dont la plus plausible est cet entêtement syrien à refuser toute autonomie de décision en ce qui concerne les Palestiniens eux-mêmes. Et la médiation de Bachar el-Assad avec Farouk Kaddoumi, qui est loin, lui aussi, d’être un afficionado d’Arafat, est assez significative. Cette pratique d’infliger tour à tour la blessure et le baume, toute singulière qu’elle soit, est loin d’être une nouveauté – il suffit de se souvenir de ces otages étrangers kidnappés à Beyrouth pour être ensuite relâchés à Damas. Tout aussi singulière, la forme. Bachar el-Assad est arrivé par la route, alors que son avion-leurre atterrissait sur le tarmac de l’AIB. Plus grave : la très longue improvisation de l’héritier de Hafez durant le sommet, le ton véritablement didactique de l’intervenant, beaucoup plus «maître de conférence qui fait comme à la maison» que chef d’État. Quoi qu’il en soit, il est impossible de ne pas (pré)voir les conséquences libano-libanaises de la singularité du docteur Bachar. L’empêchement d’Arafat orchestré par ce dernier a permis à Rafic Hariri de jouer un de ses rôles préférés de go-between-grâce-à-qui-le-sommet-est-sauvé, et à entraîné tant les télévisions étrangères à railler le «ridicule» de l’explication fournie par le locataire de Baabda (le principal allié de Damas au Liban), que le Quai d’Orsay à condamner ou que les palestiniens de Gaza à brûler des portraits d’Émile Lahoud, aux côtés de drapeaux israéliens et américains. Sauf que d’un autre côté, l’acharnement syrien à torpiller l’initiative saoudienne met le Premier ministre dans une drôle de situation. Quant à Nabih Berry, lui aussi vexé par sa mise à l’écart mardi dernier (et qui a semblé avoir compris qu’il ne fallait pas mélanger l’habit du chef de parti avec celui de n° 2 de l’État), il reste condamné à errer, à la recherche d’alliances, entre le premier et le second membre de la troïka. Et comme l’heure du début des règlements de compte semble approcher à pas de géants, Bachar lui-même a réuni autour de lui et des membres de sa délégation, hier à Baabda, le président de la République, le Premier ministre et le chef du Parlement. Tout s’est parfaitement bien passé, assure-t-on du côté de Baabda, et on ne parle même plus de remaniement – ou de changement – ministériel. Mais au Liban plus qu’ailleurs, demain est véritablement un autre jour. Le numéro un syrien relativise le plan de paix saoudien Le président syrien Bachar el-Assad a relativisé hier le plan de paix saoudien, unanimement adopté par le sommet arabe de Beyrouth, estimant qu’il marquait un pas en avant mais restait de l’ordre des grands principes. «Nous avons accepté cette initiative et d’autres l’ont soutenue. Les différences entre nous et les autres, c’est que nous croyons qu’il ne s’agit que d’un premier pas», a-t-il dit, en évoquant la nécessité d’un «mécanisme» d’application. «Cette initiative n’est constituée que de principes. Nous nous interrogeons sur la suite. Si nous ne décidons pas des mesures qui suivent, Israël et d’autres le feront pour nous», a ajouté le n°1 syrien, cité par Reuters. Bachar el-Assad a également exclu un accord de paix avec l’actuel Premier ministre israélien Ariel Sharon, précisant que l’initiative saoudienne, devenue celle de tous les pays arabes, ne s’adressait pas à un dirigeant israélien en particulier. «Sharon a rejeté hier, et déjà il y a deux semaines, cette initiative, et continuera à le faire. Nous proposons la paix comme principe général et nous le ferons toujours pour que le monde n’oublie pas que nous voulons la paix», a-t-il déclaré. Ziyad MAKHOUL
Dans la forme comme dans le fond. C’est effectivement à tous les niveaux que la Syrie s’est ostentatoirement singularisée avant, pendant et après le sommet arabe de Beyrouth. Se lançant dans un impressionnant et très remarqué cavalier seul avec, en apparence du moins, une seule règle : dire noir à chaque fois que le Saoudien disait blanc. Ou presque. Et en entraînant avec...