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Actualités - REPORTAGE

Assises arabes - Les réunions préparatoires se multiplient et l’Irak se rapproche du Koweït À 24 heures de son ouverture, le sommet reste à la merci de l’inconnue Arafat

Sharon s’est invité au sommet arabe et c’est lui qui décidera si Arafat viendra ou non à Beyrouth. Cette phrase, pour cynique qu’elle est, cache mal la déception de nombre de journalistes présents depuis trois jours au centre de presse. 22 États arabes n’ont pas pu assurer la participation du chef de l’Autorité palestinienne, c’est dire leur poids international, chuchotent les vétérans qui ont déjà couvert plusieurs sommets. Mais d’autres, proches de la délégation palestinienne, sont plus nuancés. Pour eux, Arafat a beaucoup à perdre en venant à Beyrouth, alors qu’à Ramallah, sa sécurité est assurée et il dispose d’une carte maîtresse, celle de son peuple déterminé à mourir jusqu’à la reconnaissance d’un État palestinien. Pour le millier de journalistes qui campent au centre de presse, c’est la question majeure, mais tout le monde est sûr que s’il ne vient pas à Beyrouth, il participera au sommet par une liaison satellitaire à partir de Ramallah. Depuis vendredi, le centre de presse bruisse de rumeurs et de chuchotements. De loin, les baraquements ressemblent à un camp de vacances avec vue sur gazon et sur la mer, mais de près c’est une ruche où la pêche à l’information occupe la majorité des présents. Le service d’ordre relevant de l’armée libanaise fait de son mieux pour gérer la situation, ayant même mobilisé des jeunes filles pour garantir un accueil aimable mais les mesures restent strictes et les réclamations énormes. À l’intérieur du centre, les journalistes bénéficient d’un traitement de faveur. Écrans, téléphones, ordinateurs, journaux, dépêches et bénévoles prêts à répondre à toutes les questions, toutes les facilités leur sont assurées. Mais la véritable aubaine pour eux reste le porte-parole du sommet, le ministre Ghassan Salamé. Jamais sans doute un sommet arabe n’a eu un porte-parole aussi ouvert et accessible. À lui seul, il fournit une grande partie des informations, donnant à chacun ce qu’il souhaite entendre, multipliant les points de presse, façon sommets européens, et cherchant à combler les lacunes du service d’ordre. C’est sans doute cela la grande exception libanaise, un climat de liberté et une transparence vis-à-vis de la presse, inconnue dans le reste du monde arabe... Les idées de Kadhafi... Samedi soir, Salamé pousse la simplicité jusqu’à s’asseoir sur les marches du restaurant pour une pause bavardage. Les plaisanteries fusent concernant notamment le gazon environnant qui pourrait servir de nourriture aux chamelles du colonel Kadhafi qui tient à boire chaque jour du lait frais ! No comment du ministre. En fait, si samedi soir, la balance penchait en faveur de la venue du colonel libyen à Beyrouth, lundi, cette arrivée semblait compromise. Selon les informations recueillies au hasard des rencontres, Kadhafi aurait été outré par le sort réservé à l’initiative de paix qu’il avait lancée au sommet de Amman. Son projet qui prévoyait, entre autres, une normalisation totale avec Israël moyennant un retrait total des territoires arabes occupés, une solution équitable pour les réfugiés palestiniens et la neutralisation des armes de destruction totale que possède Israël, aurait dû être étudié pendant l’année écoulée par une commission spéciale arabe. Or, il a été pratiquement jeté aux oubliettes et l’initiative séoudienne l’a totalement occulté. D’où l’irritation du bouillant colonel qui estime que ses idées sont aussi valables que celles de ses pairs arabes. Il a chargé son émissaire Ahmed Kazzafeddam de transmettre ses protestations au président Émile Lahoud qui lui a promis que son initiative sera étudiée au cours de la réunion des ministres arabes des Affaires étrangères. Ce qui a donc été fait, sans toutefois aboutir à des résultats concluants, certains ministres arabes refusant de prendre au sérieux les idées de Kadhafi, critiqué d’ailleurs par certains de ses pairs arabes. Entre le Liban qui veut lui faire plaisir et d’autres pays qui préfèrent concentrer les efforts sur l’initiative du prince Abdallah, le choix semble difficile et Kadhafi pourrait donc renoncer à participer au sommet, même si tous les préparatifs pour l’accueillir sont prêts. Interrogé sur la question, Ghassan Salamé a estimé que l’initiative séoudienne et les idées libyennes ne font pas double emploi et qu’elles seront étudiées séparément. L’Irak conciliant Autre écueil devant le sommet, ce que la Ligue arabe appelle pudiquement «la situation entre l’Irak et le Koweït». Il a été convenu d’adopter cette terminologie pour éviter les termes de conflit, crise ou même divergence. Normalement, cette situation aurait due être réglée avant la tenue du sommet de Beyrouth, mais visiblement, le roi Abdallah de Jordanie qui avait entamé des négociations avec les deux parties s’est retrouvé devant une mission quasi impossible. Résultat : aux rencontres préparatoires de Beyrouth, dès que l’Irak adopte une position, le Koweït penche pour l’avis opposé et vice-versa. Pourtant, selon le ministre irakien des Affaires étrangères Nagi Sabri, son pays était décidé à ne pas soulever la question de ses relations avec le Koweït pendant le sommet de Beyrouth, mais comme le Koweït a présenté un document sur cette question, il s’est vu obligé d’en présenter un à son tour. Selon le ministre iraquien, le document qu’il a présenté se veut conciliateur puisqu’il affirme «respecter la sécurité du Koweït et son indépendance». Il semblerait donc, malgré la tension entre les deux parties, que l’Irak ne veuille pas entraver les travaux du sommet, qui, selon lui, devrait être consacré à l’intifada. Pourtant, la situation entre les deux pays devrait figurer dans l’ordre du jour du sommet, ainsi que les menaces américaines contre l’Irak, mais les deux points seraient étudiés séparément. L’initiative saoudienne tarde à prendre forme Restent les deux gros sujets : l’intifada palestinienne et l’initiative saoudienne. Selon certaines informations, l’Arabie saoudite souhaiterait que son initiative fasse l’unanimité sinon l’émir Abdallah préférerait la retirer des débats. Salamé, toujours lui, a démenti ces rumeurs, affirmant que l’initiative sera soumise aux dirigeants arabes par le prince Abdallah et pourra être discutée librement. Toutefois, à ce sujet, les avis demeurent partagés. Pour les uns, l’initiative de paix de l’émir serait née des propos recueillis par le journaliste Thomas Friedman. Elle serait donc d’inspiration largement américaine et consisterait en un nouveau pas dans la série des concessions arabes. Pour d’autres, l’initiative est destinée à permettre aux Arabes de placer les Israéliens au pied du mur. Le Liban insiste pour qu’elle comporte une mention claire au droit des Palestiniens au retour sur leur terre, mais certaines sources des délégations arabes estiment qu’il ne faut pas se faire trop d’illusions : même si un État palestinien voit le jour, il ne pourra accueillir tous les Palestiniens et les pays qui en abritent devront se résoudre à les intégrer. Le vrai dilemme est donc là : les Arabes doivent-ils faire preuve de souplesse ou au contraire durcir le ton ? Pour Ghassan Salamé, les circonstances dans lesquelles se tient le sommet sont historiques mais pour que le sommet le soit, il faut que les Arabes soient à la hauteur des défis. En quelque sorte, ils devraient parler de paix et faire de la résistance. C’est en tout cas ce qu’essaie de faire Arafat qui met toute la pression pour obtenir une couverture et des garanties arabes totales pour l’étape future. Il ne veut pas ainsi venir à Beyrouth et se voir accusé de brader l’intifada ou de faire d’énormes concessions aux Israéliens, comme ce fut le cas notamment après les accords d’Oslo. De plus, tant qu’il est à Ramallah, Arafat est sûr de ne pas être victime d’un attentat, mais s’il se déplace tout serait possible. Sans compter qu’en ne participant pas au sommet, il garde toutes les cartes en main. Comme l’a donc dit le ministre palestinien à la Coopération internationale Nabil Chaath, le président Arafat ne se rendra pas à Beyrouth si sa participation au sommet devrait avoir des conséquences négatives sur l’intifada. Dimanche, Chaath affirmait que les chances de participation de Arafat sont de dix pour cent. Mais hier, après l’annonce de pressions américaines sur Sharon pour laisser partir Arafat, le pourcentage était à la hausse. Ce qui est sûr c’est que le suspense durera jusqu’au bout, puisqu’il s’agit d’un véritable bras de fer et que chaque partie fait monter les enchères. Et selon des sources proches des Palestiniens, le ton du communiqué final dépendra grandement de ce que fera Arafat. Les mêmes sources pensent que jusqu’à présent, les dirigeants arabes n’ont pas déployé les efforts nécessaires pour assurer la venue du président palestinien sans conditions. Pourtant, beaucoup de nostalgiques souhaiteraient le voir marcher sur le tapis rouge des présidents, comme une belle revanche pour son départ sans gloire en 1982, puis en 1983. À 24 heures de son ouverture, le sommet de Beyrouth oscille encore entre intégrer l’histoire ou consacrer la désintégration des Arabes. Scarlett HADDAD
Sharon s’est invité au sommet arabe et c’est lui qui décidera si Arafat viendra ou non à Beyrouth. Cette phrase, pour cynique qu’elle est, cache mal la déception de nombre de journalistes présents depuis trois jours au centre de presse. 22 États arabes n’ont pas pu assurer la participation du chef de l’Autorité palestinienne, c’est dire leur poids international,...