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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Jacques Guyard, député et ancien ministre français, répond à « L’Orient-Le Jour » Privatisations, oui, mais sans précipitation

Jacques Guyard est député socialiste français et ancien ministre. Il est également président de la commission supérieure mixte du Service public, des Postes et Télécommunications. Invité il y a deux jours par le Renouveau démocratique de Nassib Lahoud à participer à un colloque sur les services publics et la privatisation, «Quels choix pour le Liban ?», ce spécialiste de la privatisation a répondu aux questions de L’Orient-Le Jour. Sur la privatisation, évidemment, mais aussi sur la situation régionale et les élections présidentielles en France, dont le premier tour est prévu le dimanche 21 avril prochain. Jacques Guyard donne ses chances à l’initiative Abdallah, et rappelle que la France est partie prenante «parce que les États-Unis et le gouvernement israélien sont aujourd’hui tellement imbriqués que s’il n’y a pas un troisième intervenant hors-région qui vienne dire “halte là”, ça ne passera pas !». Et vous pensez que l’UE en est capable ? «Politiquement pour l’instant, elle en est incapable. Même si elle pèse aujourd’hui le poids économique nécessaire». Et lorsqu’on l’interroge sur la campagne présidentielle en France, maintenant que tous les candidats sont déclarés, et qu’on lui parle de son côté très atypique, le député de l’Essonne y va franco, dénonce le «manque de chaleur, d’intérêt», même si en 1995, c’était déjà assez terne, et qu’en 1988, les jeux étaient faits assez tôt. «Il n’y a pas d’identification des Français à l’un des candidats principaux». Et en ce qui concerne le troisième homme, Jacques Guyard assure qu’au PS, personne n’a peur du Che, de Jean-Pierre Chevènement. «On le connaît depuis longtemps, et s’il fait un bon score, ce n’est pas encore sûr, il fera en sorte d’avoir un groupe parlementaire fort». En gros, la question n’est pas les présidentielles, ce sont les législatives. Et si Lionel Jospin était président, le Liban aurait les mêmes garanties, les mêmes privilèges qu’au temps du tandem Chirac-Hariri ? «En France, il y a un attachement fondamental au Liban. Indépendamment des hommes. Les Libanais n’ont pas à craindre une présidence Jospin. Même si dans la forme, ça ne sera évidemment pas la même chose, la France ne s’impliquera pas moins». À bon entendeur… Dans sa réponse au gouvernement pendant le débat budgétaire 2002, il y a plus d’un mois, le Premier ministre Rafic Hariri avait parlé d’une campagne de privatisations tous azimuts, en rappelant clairement à qui voulait bien l’entendre que la solution à la crise économique du pays passera nécessairement par ces privatisations. Ou ne passera pas. Qu’en pensez-vous ? Sans garde-fou, sans mesures, cette campagne-là, si elle se fait en un seul bloc, peut être saine ? «La privatisation d’un seul bloc – prendre toute une série d’entreprises et les privatiser – est loin d’être une bonne méthode. Il faut travailler entreprise par entreprise, penser à l’efficacité du mode de gestion à adopter pour chaque privatisation. Et qui devra créer le maximum de richesses, le maximum d’emplois, garantir les meilleurs services à la population, etc. Il y a des cas où il vaut mieux laisser l’entreprise dans le service public, d’autres où le privé est le bon choix, et dans ce cas, il faut organiser la privatisation : choisir le partenaire qui permet de progresser, fixer un prix…». Mais sans entrer dans les détails techniques, pensez-vous que le gouvernement Hariri soit conscient de tout cela ? «J’ai entendu que, manifestement, il y a le souci de diminuer la dette – chose que je comprends aisément – et en même temps, celui d’améliorer la performance de l’économie libanaise. Je crains seulement que la pression de la dette ne fasse aller le gouvernement trop vite». Que l’on privilégie la rapidité à la qualité ? «Oui. Et la qualité, c’est l’information des gens. Au moment où l’on parle de la dimension sociale des privatisations, je suis frappé par l’inquiétude des Libanais. Il faut mettre les salariés dans le coup, rassurer ceux qui, inévitablement, vont être licenciés, étaler ces licenciements dans le temps et, surtout, former ceux qui restent. Insister sur l’efficacité, la modernisation, le savoir-faire. Le choc psychologique d’une privatisation, il faut l’utiliser, pour rendre les gens plus efficaces». Donc, privatiser ce n’est pas uniquement bénéfique à l’économie, mais on peut également en profiter pour assainir des Administrations de plus en plus sclérosées ? «Tout à fait. D’autant plus que j’ai l’impression qu’il manque, au Liban, une classe sociale moyenne moderne de techniciens. C’est aujourd’hui le bon moment pour poser la question, et faire émerger cette classe-là». En résumé, vous conseillez au Premier ministre, avant de lancer sa campagne de privatisations, de relire «Le lièvre et la tortue» ? «Voilà. En gros, aller vite, mais prendre son temps. Sauf que la pire des choses, c’est de prendre son temps pour ne rien faire. Le rôle d’un politique est de faire des choix». Vous avez certainement une idée de la situation – déplorable – qui prévaut au sein des entreprises que l’on propose à la privatisation. Honnêtement, qui accepterait de prendre en charge des boîtes comme l’EDL, par exemple ? Avec ses impayés monumentaux. «Eh bien, figurez-vous que le problème le plus grave, ce ne sont pas ces 50 % de factures impayées. Ce n’est pas un problème grave à condition que l’entreprise se dote des compétences nécessaires pour approcher les 100 %. Ce qui est plus grave, c’est que l’état d’esprit au sein de l’entreprise accepte le fait que 50 % des factures ne soient pas payées. Là, à coup sûr, c’est la mort de l’entreprise, et je suis convaincu que si 50 % des factures ne sont pas payées, ce n’est pas uniquement à cause de la pauvreté des Libanais». C’est évidemment politique. «Voilà. Ça fait partie de la clientèle…». Et vous pensez que c’est fait pour attirer l’investisseur, ou un éventuel acheteur, ça ? «Si on lui donne des garanties. C’est là que la notion d’autorité de régulation indépendante entre en jeu». C’est là donc où le gouvernement Hariri doit changer sa praxis… «Oui. Et que ce gouvernement abandonne une partie de son pouvoir immédiat, au profit de cette autorité de régulation qui puisse dire au gouvernement : non, ça c’est impossible…». Le gouvernement en est capable ? Il y a un atavisme, tout de même… «Je n’en sais rien. Mais l’atavisme a existé partout. Il y a vingt ans en France, il fallait six mois pour avoir une ligne de téléphone». Il faut dépolitiser, c’est ça ? «Oui». Et le Liban est en mesure d’oublier le clientélisme ? «Le Liban a un avantage considérable sur des tas de pays de la région, c’est qu’il y a, ici, des gens qualifiés. Et c’est ça qui fait bouger le monde». Qu’on se le dise, alors. Ziyad MAKHOUL
Jacques Guyard est député socialiste français et ancien ministre. Il est également président de la commission supérieure mixte du Service public, des Postes et Télécommunications. Invité il y a deux jours par le Renouveau démocratique de Nassib Lahoud à participer à un colloque sur les services publics et la privatisation, «Quels choix pour le Liban ?», ce spécialiste de...