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Actualités - ANALYSE

Conférence - « Le choc des civilisations » vu par un adepte du consensualisme Théo Hanf : Au Liban, la coexistence ne vient pas de l’enthousiasme des gens

Depuis les attaques terroristes du 11 septembre contre les tours du World Trade Center et le Pentagone, on ne parle plus que du «choc des civilisations». La théorie, élaborée par Samuel Huntington dans son ouvrage éponyme en 1993, remontait pourtant à 1972, date à laquelle il avait déjà avancé certaines des idées de sa thèse. Le professeur allemand Théodore Hanf, spécialiste des sociétés consensuelles et de l’approche consociative, professeur à l’Université de Fribourg et spécialiste du Liban, sur lequel il a écrit un ouvrage de référence publié en 1993, La coexistence durant la guerre au Liban, a envisagé hier la thèse huntingtonienne dans une perspective critique, y voyant une dérive «essentialiste-simpliste qui pourraît être dangereuse» à l’avenir. Dans le cadre d’une conférence à l’Université Saint-Esprit Kaslik, le professeur Hanf, qui vient d’être nommé par l’Unesco directeur de la Maison de l’homme à Byblos, a commencé par définir deux grandes approches au niveau de la sociologie politique qui se sont affrontées jusqu’à la chute du monde bipolaire : économiste et culturaliste. La première envisageait, dans une étude prospective, «la disparition de tous les éléments de la société traditionnelle avec la diffusion du progrès et de la modernité» et la seconde voyait dans la religion et l’ethnicité l’essence de l’histoire. Selon M. Hanf, les deux ont péché par excès et il convient de donner à la notion d’intérêt la part d’importance qui lui revient. «Une communauté peut naître, changer, se fondre (…), elle constitue certes une réalité affective mais elle se politise, surtout par intérêt», estime-t-il. Huntington appartient à cette école de penseurs culturalistes. Avec le «choc des civilisations», il balaie, selon le professeur Hanf, tous les anciens paradigmes pour en installer un nouveau, celui des «civilisations», entendues comme «une organisation d’États selon leurs affinités culturelles», en l’occurrence la culture et la religion, de sorte que «les conflits interétatiques sont voués à prendre la forme de conflits culturels». Longtemps soumis à l’influence occidentale, les civilisations non occidentales subissent une nouvelle «indigénisation» par un retour à l’identité culturelle qui les caractérisent et au religieux, pour Huntington, d’où l’installation de «lignes de rupture» éventuelles entre les «civilisations» et donc de conflits potentiels entre elles. Or, estime Hanf, «la notion de culture est statique et immuable chez Huntington». Il donne, pour infirmer cette idée, l’exemple de la culture allemande, «qui a considérablement changé au fil des années». Et de se demander s’il n’y a pas de l’essentialisme à outrance dans le culturalisme huntingtonien, ce qui aurait eu des conséquences sur ses idées concernant la relation qu’il fait entre la culture et la démocratie. «Harrison, l’un des élèves de Huntington, va plus loin encore dans ce sens, en affirmant que si le protestantisme est le terrain favorable par excellence à la démocratie, le catholicisme, lui, ne l’est pas nécessairement. Quant à l’islam, selon lui, il n’a aucune chance d’être démocrate», poursuit-il. Pour Hanf, et c’est là le reproche majeur qu’il fait à Huntington, «la culture n’est pas objective, elle ne dépend pas des intérêts de ses porte-parole (l’élite qui la diffuse). Elle est, à un moment donné et dans un espace donné, ce que quelqu’un veut être». Et d’ajouter qu’une telle vision essentialiste, simpliste est une «tentation élégante mais dangereuse, dont il faut se méfier». Le mot de la fin sur le Liban, en réponse à une question sur les différences culturelles dans ce pays : «Au Liban, la coexistence ne vient pas de l’enthousiasme des gens, mais du fait qu’il n’y existe pas d’alternative. Mais l’origine de la tolérance importe peu si la tolérance fonctionne». Et de conclure sur «le respect de l’autre, lequel est plus important que la compréhension totale, fort difficile par ailleurs : il faut accepter les différences sans s’imposer, c’est là le sens du dialogue». Michel HAJJI GEORGIOU
Depuis les attaques terroristes du 11 septembre contre les tours du World Trade Center et le Pentagone, on ne parle plus que du «choc des civilisations». La théorie, élaborée par Samuel Huntington dans son ouvrage éponyme en 1993, remontait pourtant à 1972, date à laquelle il avait déjà avancé certaines des idées de sa thèse. Le professeur allemand Théodore Hanf,...