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Actualités - REPORTAGE

SOCIÉTÉ- Plus de quatre-vingt mille Sri Lankais travaillent au Liban Un mini-Ceylan à Bourj Hammoud(PHOTOS)

Bourj Hammoud, juste après le rond-point de Dora : une artère grouillant de monde a vu naître, petit à petit, un marché venu d’ailleurs. C’est là que les travailleurs émigrés sri lankais viennent se détendre. L’espace d’un week-end ou de quelques heures, ils retrouvent leurs traditions, leurs habitudes… Bref, ils renouent avec leur pays qu’ils ont quitté pour chercher un emploi sous d’autres cieux. C’est donc un bout de l’île de Ceylan qui a été transposé en pleine rue d’Arménie. C’est ici que les ressortissants sri lankais pratiquent leurs divers cultes. Ici qu’ils éditent, publient et distribuent un mensuel de l’émigration cinghalaise. Ils ont ouvert deux maternelles dans des appartements du quartier. Ces petites écoles sont fréquentées par les bambins sri lankais qui naissent au Liban, et qui rentrent plus tard dans leur pays. «Plus de quatre-vingt mille ressortissants sri lankais travaillent actuellement au Liban», déclare à L’Orient-Le Jour l’ambassadeur du Sri Lanka, Mohammed Ismaël Mohammed Mohsen. À ce chiffre devraient s’ajouter quelques milliers, si l’on compte les émigrés illégaux. «Légalement, les travailleurs émigrés sont liés aux agents et aux garants libanais, pour des contrats de deux ans uniquement», indique M. Mohsen. Pourtant, certaines parties, aussi bien du côté de l’employeur libanais que du côté des employés sri lankais, ne respectent pas les accords signés. Depuis l’ouverture d’une ambassade du Sri Lanka au Liban en 1998, à Baabda, plus de 200 couples sri lankais ont fait enregistrer leur mariage à la chancellerie de leur pays. Cependant, il n’existe pas de chiffres relatifs aux ressortissantes de l’île qui se sont mariées à des Libanais ou à des émigrés asiatiques qui travaillent au Liban. Selon les chiffres de l’ambassade, plus d’une vingtaine de Libanais importent des articles du Sri Lanka, notamment des produits alimentaires, des vêtements et des chaussures, sans compter les médicaments et les journaux. La plupart des marchandises sont écoulées dans le quartier «sri lankais» de Bourj Hammoud, un véritable marché de produits exotiques. Comment la rue d’Arménie s’est transformée en marché exotique Vous cherchez un sari en soie indienne, de l’encens, de l’huile de noix de coco pour les cheveux ou pour la cuisine, ou d’autres produits sri lankais, indiens, ou philippins ? Vous désirez peut-être manger dans une cantine sri lankaise ou indienne, comme celle que l’on trouve dans certains quartiers parisiens, où les travailleurs émigrés viennent casser la croûte ? Une seule adresse : rond-point Dora-Bourj Hammoud, la rue d’Arménie, et ses prolongements. Si vous ouvrez bien les yeux, le dépaysement sera au rendez-vous. Coiffeurs, restaurants, épiciers, magasins de prêt-à-porter, supermarchés sont tenus par des ressortissants asiatiques (avec garants libanais) et s’adressent à une clientèle formée exclusivement de travailleurs émigrés asiatiques. Ici, quelques magasins libanais, notamment des photographes, des cambistes, des agents de voyage proposent leurs services en arabe et en cinghalais. D’ailleurs, sur les vitres de leurs magasins, ils ont affiché en gros les services qu’ils rendent, en tamoul. Une langue absconse, toute en inscriptions arrondies, pour les Libanais que nous sommes. «C’est grâce à eux que j’ai un tel roulement au magasin», indique Raffi, photographe à la rue d’Arménie, qui expose dans sa vitrine des photos de couples sri lankais en habits de noces, ou encore des images de jeunes femmes à la peau mate, qui posent devant des fleurs artificielles. «Lakmal» affiche son menu, en cinghalais, sur le trottoir. Le magasin restaurant, appartenant à un Libanais et tenu par une ressortissante sri lankaise, Rania, est divisé en deux parties : à l’entrée on vend des vidéocassettes, des casettes, des revues, des produits alimentaires, notamment des papayes, du gingembre, des bananes trop vertes, et des piments sri lankais, une deuxième pièce est transformée en cantine. La cuisine est au deuxième étage. Dans cette cantine proprette, aux murs verts et aux rideaux de dentelle synthétique blanche, on vient lire un quotidien, ou un mensuel, on prend un thé au jasmin (beaucoup trop sucré) et l’on mange un plat chaud. Le plat du jour est à 3500 livres. On peut également se rendre au restaurant pour regarder simplement la télévision. «La chaîne câblée projette un film tamoul sous-titré en cinghalais» indique Rania en expliquant la différence. «Les Tamouls ne parlent pas le cinghalais et vice versa, mais ils mangent les mêmes plats, communs à tous les habitants de l’île», dit-elle. Autour d’une table de cette petite cantine, deux ressortissantes sri lankaises, sirotant un thé, déballent des vêtements qu’elles viennent d’acheter chez Akil, à deux pas des lieux. Deux hommes, sri lankais eux aussi, mangent des sortes de rouleaux de printemps, à base de riz et farcis de poissons séchés en provenance directe du Sri Lanka. Un homme seul boit une bière, en lisant le quotidien de son pays. La lecture achevée, il commandera le plat du jour, du riz et du poisson, arrosés de sauce pimentée. Rania connaît tous les magasins. Il y a ceux qui vendent des CD à 7500 livres, des romans à 9000 livres, des saris à 25000 livres, et des médicaments, pour tous les maux, la tête, le ventre, la gorge, approuvés –avant l’exportation – par le ministère sri lankais de la Santé publique. On peut aussi choisir des reliques hindoues, des calendriers sri lankais, des fleurs artificielles de toutes les couleurs, des soutiens-gorge des sous-vêtements, des bijoux, et d’autres accessoires fabriqués dans l’île asiatique. Mohan tient trois boutiques : le premier est consacré à l’habillement, le deuxième aux cassettes, CD, et films vidéo, et le troisième est comparable à une grande épicerie. Des clients libanais ? Il en reçoit mais rarement. L’épicerie qu’il tient propose pourtant «des produits pour les Libanais», souligne-t-il, en montrant dans un coin, au fond du magasin, des boîtes de conserve, du lait en poudre et des détergents, utilisés presque au quotidien par certaines ménages libanais. En exposant les produits de son pays, Mohan veut trouver leur équivalent libanais. Ceci est comparable à des pickles, cela aux tisanes de camomille… Et là, sur cette étagère, pas besoin d’explications : des sachets de lait de noix de coco en poudre Maggi, fabriqués par la marque exclusivement pour les consommateurs asiatiques. On prend congé de Mohan, et l’on sort pour découvrir d’autres restaurants, d’autres fonds de commerce qui présentent encore et toujours les mêmes produits, la même langue étrangère inscrite sur leurs vitrines. Et une affiche, géante, montrant l’image d’un homme à la peau mate, vêtu d’habits de scène… Oui, c’est l’un des chanteurs sri lankais les plus en vogue de son pays. Il s’est produit en concert, le week-end, dernier au Liban. D’ailleurs une revue de l’île, vendue à Beyrouth, lui consacre tout un reportage, explique une ressortissante de Ceylan, en montrant la publication en question comme si elle voulait donner des preuves irréfutables aux Libanais dépassés par la situation, et qui se promènent dans un quartier de Bourj Hammoud… pour découvrir tout un monde. Certains repartent avec de mauvais souvenirs Gérer les affaires de plus de quatre-vingt mille travailleurs émigrés au Liban, n’est pas une chose aisée. L’ambassadeur du Sri Lanka au Liban, M. Mohammed Ismaïl Mohammed Mohsen, indique à ce propos que «95 % des ressortissants de l’île de Ceylan qui travaillent au Liban sont bien traités. Cinq pour cent des employés de maison originaires de l’île font face à plusieurs difficultés, abus physique, sexuel ou psychique». Parmi les ressortissants qui gardent un mauvais souvenir du Liban figure «les employés de maison qui rentrent dans leur pays sans avoir perçu leur salaire», relève M. Mohsen, en soulignant que «certains employeurs libanais promettent à leurs employés un gros salaire à la fin de la durée du contrat. Durant deux ans donc, les jeunes filles sri lankaises travaillent sans toucher leur dû en attendant d’emporter avec elles une grosse somme en rentrant au pays». «Pourtant, à la fin du contrat, les ressortissantes sri lankaises sont raccompagnées par leur patron directement à l’aéroport avec tout simplement un billet d’avion et un passeport, et sans la somme promise», ajoute-t-il. Dans certains cas d’abus, l’ambassade fait appel aux FSI. «Mais il faut avant tout que nos ressortissants nous informent des difficultés vécues pour qu’on puisse intervenir», indique M. Mohsen. Et il semble que ce n’est pas souvent le cas. Modifier l’image de l’île aux yeux des Libanais Modifier l’image d’un pays hautement touristique dans l’esprit de certains Libanais n’est pas tâche aisée. Pourtant, c’est l’un des défis que l’ambassade du Sri Lanka au Liban a voulu relever. Régulièrement, la chancellerie organise des voyages touristiques à destination de l’île. Pour les vacances de Pâques, un tour guidé de huit jours est prévu. La tournée couvrira les principales villes et sites touristiques du Sri Lanka. Les voyageurs pourront se promener à Colombo et à Kandy, découvrir les plages de l’océan Indien et admirer les diverses œuvres d’art, notamment les bouddhas assis de l’île. Pour plus d’informations, appelez l’ambassade aux numéros suivants : 05-924765/6, ou Mlle Rana Chehayeb au 03-910860. Maroun, né au Liban, rêve comme tous les jeunes de partir au Canada Paul et Ranja se sont rencontrés à Colombo, il y a un peu plus de vingt et un ans. Ils se sont mariés dans la capitale sri lankaise, avant le départ de Ranja pour Beyrouth, en 1981. Paul la suivra quelques mois plus tard. Depuis, et en l’espace de vingt ans, le couple s’est rendu une seule fois au Sri Lanka. Aujourd’hui Paul et Ranja occupent un appartement de concierge dans un immeuble de Zouk. Ils ont deux enfants, nés tous les deux au Liban : Maroun, 16 ans, et Randa, 8 ans. Scolarisés dès l’âge de trois ans, Maroun et Randa parlent et écrivent quatre langues : l’arabe, le cinghalais, l’anglais, et le français. La mouloukhiyé, cuisinée par leur mère, est leur plat préféré. Et ils ont les rêves et les loisirs de tous les enfants de leur âge. Randa, qui est en classe de 9e , veut devenir enseignante, alors que Maroun, en classe de seconde, qui a une préférence pour les matières scientifiques, rêve de poursuivre des études universitaires, et de s’établir ensuite à l’étranger, probablement au Canada. «Au Liban, les horizons des jeunes sont bouchés ; c’est important donc de voyager et de travailler ailleurs afin de se faire un véritable avenir», explique-t-il Le jeune homme, qui parle un arabe parfait, se sent Libanais à part entière, «même si je n’ai pas la nationalité, l’important c’est l’endroit où l’on est né, où l’on a vécu», dit-il. Le Sri Lanka ? Il l’a visité une seule fois, avec son père. «Certes, c’est le pays de mes parents, mon pays d’origine, mais je préfère le Liban», dit-il sans véritablement parvenir à expliquer pourquoi. «Tous mes souvenirs, tous mes amis, toute ma vie sont ici», se contente-t-il de relever. Ses parents, eux, rêvent un jour de rentrer au pays. «On attend que les enfants terminent leurs études pour quitter définitivement le Liban», indique Paul, qui est interrompu par sa femme : «La maison au Sri Lanka est déjà prête. On a chargé mon frère de l’acheter». Pourquoi ne se sont ils rendus qu’une seule et unique fois, en vingt et un ans, dans leur pays natal ? «On s’est installé ici, on a eu les enfants, on les a scolarisés», rappelle Paul. Et de poursuivre que «la vie au Liban coûte cher ; il faut payer la scolarité des enfants, leurs vêtements, leurs loisirs, l’autocar…». De plus, quand Maroun était plus jeune, ses parents avaient été obligés de lui assurer – durant des années – les services d’un professeur particulier, après l’école. «Evidemment, on ne connaît pas les langues parlées ici. Nous ne pouvions donc pas l’aider à étudier», indique Ranja, qui se charge jusqu’à présent d’enseigner le tamoul à ses enfants, après l’école. Actuellement c’est Maroun, qui est inscrit dans un lycée de Haret Sakhr, qui aide sa petite sœur, – elle fréquente une école privée du Kesrouan – à faire ses devoirs. L’année dernière, le jeune homme a réussi à l’épreuve officielle de brevet. Ses loisirs ? Le basket-ball et Internet. À la maison, il a un ordinateur qui n’est pas branché cependant au world wide web. L’été prochain, il compte travailler à temps partiel, «juste pour connaître la véritable valeur de l’argent», souligne-t-il. Randa, qui récite merveilleusement les cantiques de Noël en langue française, aime la plage, le parc, et ses amis. Tous les dimanches, elle accompagne ses parents à la messe célébrée en tamoul dans un appartement, transformé en lieu de culte, à Dora. Justement, Maroun porte le nom du patron d’une communauté religieuse du Liban. «C’est Mme Juliette qui a décidé de lui donner ce prénom, que mon fils a porté également pour son baptême», indique la mère de l’adolescent. Qui est Mme Juliette ? Elle habite Harissa, «je travaillais pour elle», dit Ranja, en soulignant que «Maroun ne connaît pas ses véritables grands-mères, et Mme Juliette, aujourd’hui septuagénaire, a comblé ce vide». C’est elle qui donnait le bain au nourrisson, et qui a aidé la jeune mère à s’occuper de son premier enfant. La famille rend visite à la grand-mère adoptive tous les 1er mai. «On va à Harissa à pied, et on passe inévitablement chez elle», indique Maroun, qui se rend chez Mme Juliette plus souvent que ses parents. «Elle est toujours contente de me voir, et parfois je passe avec mes amis chez-elle», raconte-t-il en souriant. Quand ils parlent de leur long séjour au Liban, Paul et Ranja n’oublient pas les souvenirs de guerre. Ils se souviennent surtout des bombardements à Achrafieh, de leur fuite au Kesrouan, des obus qui explosaient dans la montagne libanaise, et de leurs divers déplacements jusqu’au moment où ils ont opté - il y a dix ans – pour vivre dans cet immeuble de Zouk. Paul est concierge. Ranja a tourné à s’employer auprès des maîtresses de maison qui occupent les grands appartements du bâtiment. «Tout le monde nous aide», indique la mère de famille. Et de citer un exemple. «C’est grâce à des personnes installées dans l’immeuble que nous avons pu acheter l’ordinateur à crédit», note-t-elle, en soulignant, que «c’est la famille libanaise qui a signé les traites, car les commerçants libanais ont du mal à nous faire confiance pour l’achat de ce genre de produit». Vingt et un ans au Liban. Paul et Ranja, estiment qu’ils ont eu la chance de tomber «tout le temps sur des personnes bien intentionnées». Ils n’ont aucun regret… Si peut-être un seul, celui de ne pas bénéficier de la nationalité libanaise ou de donner à leurs enfants, nés à Beyrouth, des papiers d’identité libanais. Le couple ne s’attarde pas beaucoup sur ce sujet. On comprend pourquoi, n’est-ce pas ?... Patricia KHODER
Bourj Hammoud, juste après le rond-point de Dora : une artère grouillant de monde a vu naître, petit à petit, un marché venu d’ailleurs. C’est là que les travailleurs émigrés sri lankais viennent se détendre. L’espace d’un week-end ou de quelques heures, ils retrouvent leurs traditions, leurs habitudes… Bref, ils renouent avec leur pays qu’ils ont quitté pour...