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Actualités - OPINION

Recherche juridique Le décret-loi 34 et l’inopposabilité aux tiers de la clause d’exclusivité

Par Joe ISSA EL-KHOURY avocat à la Cour Le texte du projet de loi portant amendement du décret-loi relatif à la représentation commerciale, tel qu’il a été publié dans la presse, ainsi que les commentaires qui l’ont suivi, méritent à plus d’un titre de retenir l’attention. Il y a d’abord une mise au point à faire : les médias (presse, télévision etc.) ont en effet parlé d’abolition de la clause d’exclusivité dans les contrats de représentation commerciale. En réalité, ce que le projet de loi vise, c’est l’inopposabilité aux tiers de la clause d’exclusivité, et tout le projet tourne autour de cette simple disposition, du reste lourde de conséquences, contenue à l’article premier : «La clause d’exclusivité est inopposable aux tiers». Cela signifie que dans les relations entre les parties – représentant et représenté – rien ne change, et toutes les dispositions du décret-loi 34 continuent à produire effet, notamment celles relatives à la clause d’exclusivité, à l’indemnité de résiliation, au droit du représentant d’agir en justice devant les juridictions libanaises. En définitive, seuls sont supprimés les alinéas 3 et 4 de l’article 2 du décret-loi pour être remplacés par la disposition précitée de l’article premier du projet. Les articles suivants tendent à organiser cette «inopposabilité» aux tiers de la convention d’exclusivité. Du reste, l’exposé des motifs ne laisse subsister aucun doute à ce sujet : il y est précisé, en effet, que les relations entre représentant et représenté demeurent régies par le décret-loi n° 34/67. Cette mise au point étant faite, que faut-il penser de l’amendement projeté ? Il est, à notre avis, hautement répréhensible, car il légalise ce qu’il est convenu d’appeler la concurrence parasitaire, dont la pratique est unanimement condamnée, même dans les pays les plus farouchement partisans de la liberté de la concurrence. Nous ne nous attarderons pas sur le tribut à payer, selon le texte, au représentant exclusif lésé par le tiers importateur parallèle et qui s’élève à 50 % du montant de la marchandise importée, et cela pendant une durée de cinq ans à dater du jour où la (future) loi devient exécutoire (trois mois après sa publication). Ce qui choque dans le projet, répétons-le, c’est la légalisation d’une pratique condamnable, et unanimement condamnée. À cet égard, il n’est pas vrai, ainsi qu’il est prétendu dans l’exposé des motifs, que l’évolution dans le monde va dans un sens contraire aux clauses d’exclusivité, lesquelles seraient contraires à la liberté du commerce et de la concurrence. Rappelons en effet, en ce qui concerne l’Europe, et pour ce qui est des agents commerciaux proprement dits (c-à-d ceux qui répondent à la définition de l’alinéa 2 de l’article premier du décret-loi 34/67), qu’une directive européenne du 18 décembre 1986 a imposé à l’ensemble des pays du marché commun la promulgation de lois protectrices de l’agent commercial. La directive, qui prévoit que l’agent peut jouir d’un droit d’exclusivité pour un secteur géographique déterminé (article 7) a, depuis, été transposée dans les législations internes des États membres : en France, par exemple, il s’agit de la loi du 25 juin 1991 relative aux rapports entre les agents commerciaux et leurs mandants, dont l’article 6 prévoit clairement la possibilité pour l’agent d’être titulaire d’une exclusivité. Pour ce qui est de la seconde catégorie des représentants commerciaux, à savoir les distributeurs exclusifs, (ceux qui répondent à la définition de l’alinéa 2 de l’article premier de notre décret-loi 24/67), s’il est vrai qu’ils ne sont pas d’une manière générale, protégés par le droit commun. Contrairement à ce que semblent croire les auteurs du projet, les concessionnaires exclusifs sont territorialement protégés en France, et cela malgré la législation française qui réprime les refus de vente. Ainsi que l’écrit un éminent spécialiste en la matière, «le droit français exprimé par la circulaire du 31 mars 1960, non modifiée par la circulaire du 30 mai 1970, a son aucun doute en vue d’affirmer la licéité des concessions commerciales protégées territorialement contre l’immixtion d’un tiers, pour être une cause justificative du refus de vente» (Guyénot, Concessionnaires et Commercialisation des Marques, n° 88, p.50). La liberté de la concurrence ne signifie pas la liberté de pratiquer la concurrence déloyale et encore moins la concurrence parasitaire. Cette dernière peut se définir comme le fait «pour un tiers de vivre en parasite dans le sillage d’un autre en profitant des efforts qu’il a réalisés et de la réputation de son nom et de ses produits». Or c’est précisément cette pratique que légalise et consacre le projet de loi : il devient légitime, moyennant le paiement d’un tribut (et c’est pêut-être ce qui moralement choque le plus), de concurrencer un distributeur exclusif et de profiter des efforts, notamment publicitaires, qu’il a déployés pour le lancement de ses produits, d’exploiter le fruit de ses investissements, de son travail, bref de tous ses efforts économiques. De telles pratiques sont sanctionnées à l’étranger – notamment en France – par l’action en concurrence déloyale. Le projet de loi vise à les légitimer, sous prétexte du respect du principe de la liberté du commerce et de la concurrence. Quand aux pays arabes ils sont pratiquement tous dotés de législations qui protègent les représentants de commerce; Exemples : pour les Émirats arabes unis la loi n° 18 de 1981 amendée en 1988 ; pour Bahreïn, la loi n° 23 de 1975, amendée en 1985 ; pour Qatar, la loi n° 4 du 25 juin 1986 etc… Certaines de ces lois ont été inspirées de la nôtre. Il convient, en outre, d’avoir présent à l’esprit que le distributeur exclusif est, dans la majorité des cas, contractuellement tenu d’acheter une quantité minimale de produits. Comment pourra-t-il tenir ses engagements avec des importateurs parallèles pouvant agir en toute liberté ? Il reste, au demeurant, nombre de questions auxquelles seule la jurisprudence pourrait fournir une réponse : ainsi, comment les tribunaux sanctionneront-ils l’attitude de la société représentée si le représentant n’apporte pas la preuve qu’elle a vendu directement au tiers importateur ? quels principes la jurisprudence établira-t-elle pour déjouer les collusions ? Le tribunal spécialisé en matière d’infractions douanières, à qui le projet de loi donne compétence pour connaître des litiges entre tiers importateur et distributeur en ce qui concerne la clause d’exclusivité, sera-t-il en mesure d’apporter une réponse adéquate à des questions mettant en jeu le droit de la représentation commerciale, et qui ne relèvent donc pas de sa compétence ? En définitive, le fait de légaliser la concurrence parasitaire, risque d’avoir des conséquences néfastes sur l’ensemble du système. Le décret-loi n°34 a établi un système cohérent, qui a fait l’objet de commentaires élogieux de la part d’auteurs étrangers spécialistes en la matière (V. par exemple : Catoni, La rupture du contrat d’agent commercial et le décret du 23 décembre 1958, bibl. de droit commercial, p. 167, n° 176). Dans ce système, on veut introduire une faille. Il est fort à craindre que ce ne soit pas seulement le distributeur, mais également le consommateur qui, en fin de compte, en fasse les frais.
Par Joe ISSA EL-KHOURY avocat à la Cour Le texte du projet de loi portant amendement du décret-loi relatif à la représentation commerciale, tel qu’il a été publié dans la presse, ainsi que les commentaires qui l’ont suivi, méritent à plus d’un titre de retenir l’attention. Il y a d’abord une mise au point à faire : les médias (presse, télévision etc.) ont en...