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Actualités - REPORTAGE

Byblos, Adonis et Osiris

Quand Osiris, raconte Plutarque, eut été tué par son frère, Typhon ou Seth – qui personnifie les ténèbres et le mal, tandis qu’Osiris est la lumière et le bien –, son corps fut enfermé dans un coffre, qu’on jeta à la mer. Ce coffre, porté par le flot, était venu échouer sur la côte syrienne, en Phénicie même, et très exactement sur la plage de Byblos. Là, il s’arrêta au pied d’un arbre, de l’espèce appelée Erica, qui absorba le cercueil d’Osiris et se l’incorpora. Ainsi, d’un côté, une scène de la légende d’Osiris – et la plus dramatique de toutes – s’était, au témoignage de Plutarque, déroulée à Byblos ; et, d’autre part, le zed, ce symbole qui, en Égypte, représentait Osiris, s’est rencontré, à plusieurs exemplaires, à Byblos et dans les fondations d’un sanctuaire appartenant au début du IIIe millénaire av. J-C. Cependant, on ne saurait conclure de ce rapprochement qu’Osiris procède d’Adonis, car il se peut bien que le temple dont il s’agit ait appartenu à Osiris lui-même, et qu’il fût le lieu autour duquel ou dans lequel se réunissaient les Égyptiens qui venaient s’approvisionner sur le marché de Byblos. À dire le vrai, la question des apports d’Osiris avec Adonis est de celles, fort nombreuses, qu’il ne suffit pas de poser pour les résoudre. Il faudrait, pour venir à bout de ces difficultés, connaître beaucoup mieux que nous ne le faisons, à la fois Adonis et Osiris. Or, si Osiris ne nous est guère connu, aujourd’hui encore, que par Plutarque, pour Adonis, Ovide et Panyasis sont, à peu près, nos seuls informateurs. Sans doute, le nom d’Osiris apparaît fréquemment dans les textes égyptiens ; mais ces documents sont d’une interprétation très incertaine. Quant à Adonis, les fouilles de Byblos qui ont duré vingt-sept ans et qui nous ont d’ailleurs apporté tant d’indications précieuses, n’ont rien produit concernant ce personnage, ni monuments figurés ni documents littéraires ; seulement quelques statues, très mutilées, qui semblent représenter des déesses, ou bien une seule déesse, toujours la même, sans qu’on puisse discerner s’il s’agit d’Astarté, la compagne d’Adonis, ou de l’épouse d’Osiris, Isis. Mais c’est aussi que, dans le domaine de l’histoire ancienne, il arrive souvent – et c’est ici le cas – que des faits de grande importance, ou qui nous paraissent tels – n’ont laissé que des traces insignifiantes, alors que G. Duhamel a formulée en ces termes (3) : «Certains jours, l’Antiquité apparaît aussi plate qu’une fresque. Prend-elle du relief, on est saisi d’inquiétude, on soupçonne un trompe-l’œil, mais le fait est que notre connaissance du passé est très fragmentaire, et l’on peut croire qu’il en sera encore de même, quand tous les tumulus de l’Orient auront été fouillés jusqu’au roc». Ainsi, en ce qui concerne Byblos, et quoique son sol ait été exploré largement et profondément, Adonis et Astarté se sont dérobés à toutes les recherches. Et pourtant, en présence des témoignages nombreux et dans l’ensemble concordants que nous a laissés l’Antiquité classique, on ne peut pas douter que c’est bien là que le culte d’Adonis était célébré avec le plus de ferveur, là qu’il a été célébré d’abord, et non pas seulement à Byblos, dans la «sainte Byblos», comme on disait, mais aussi en un point situé à une journée de marche de la ville, dans la montagne, à 1 100 m d’altitude, à la source du fleuve d’Adonis, source qui s’appelait, et qu’on nomme encore aujourd’hui, Afqa. C’était à Afqa que le Dieu avait été déchiré par une bête sauvage, à Afqa enfin que Vénus-Astarté l’avait enseveli. Cette source d’Afqa a été mainte fois décrite par les voyageurs modernes, et elle l’a été en particulier par Ernest Renan. «C’est, a-t-il écrit, l’un des sites les plus beaux du monde. Le fleuve se précipite, de cascade en cascade, à d’effrayantes profondeurs. La fraîcheur des eaux, la douceur de l’air, la beauté de la végétation ont quelque chose de délicieux. L’enivrante et bizarre nature qui se déploie à ces hauteurs explique que l’homme, dans ce monde fantastique, ait donné cours à tous ses rêves». En ce qui me concerne, j’ai visité Afqa, il y a une vingtaine d’années ; mais c’était au mois d’août, à un moment où les eaux sont déjà basses, et quand le bruit des cascades n’est plus qu’un faible murmure. À quelque distance, ce murmure même ne s’entendait plus, et l’impression dominante était celle d’un silence absolu, d’un isolement total (4). Et cependant c’est bien là que s’élevait, dans l’Antiquité, le temple de celle qu’on nommait la Vénus d’Afqa – ou Vénus Aphacite – autrement dit le sanctuaire d’Astarté, l’amante et la protectrice d’Adonis. Mais il ne reste pas pierre sur pierre de cet édifice, qui a été détruit au cours d’une sorte de croisade, menée avec la plus grande vigueur par Jean Chrysostome en personne ; car il faut dire que la Phénicie était encore, à la fin du IVe siècle, très attachée à ses anciens cultes, plus peut-être qu’aucune des provinces de l’Orient. C’est donc là, à Byblos, à Afqa et dans la région intermédiaire, tout au long du fleuve d’Adonis, qui n’est guère, d’ailleurs, comme les autres «fleuves» de la Phénicie, qu’un torrent ou un gave, c’est là que se déroulaient ces fêtes, qu’on appelait à l’époque gréco-romaine les Adonia ou, comme nous disons, les Adonies, fêtes auxquelles prenaient part, non seulement les gens du pays, mais aussi la foule des pèlerins qui venaient de toute part pour mettre en commun leurs craintes, leurs espérances et leurs joies. Charles VIROLLEAUD
Quand Osiris, raconte Plutarque, eut été tué par son frère, Typhon ou Seth – qui personnifie les ténèbres et le mal, tandis qu’Osiris est la lumière et le bien –, son corps fut enfermé dans un coffre, qu’on jeta à la mer. Ce coffre, porté par le flot, était venu échouer sur la côte syrienne, en Phénicie même, et très exactement sur la plage de Byblos. Là, il...