Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGE

PATRIMOINE - Une belle histoire, riche d’enseignements et de symboles Le retour d’Adonis(photos)

Par Hareth BOUSTANY Nous nous étions arrêtés dans un précédent article sur la naissance du monothéisme dans les sociétés sédentaires et sur le culte d’Adonis en pays de Canaan, et nous avions passé en revue ce que les auteurs grecs et latins de l’Antiquité classique en avaient dit dans leurs écrits. Le christianisme balbutiant ne fut pas en reste. Ce dieu, dont le culte s’était répandu dans tous les ports et dans toutes les villes du bassin méditerranéen, le gênait au plus haut point et risquait de porter ombrage à la nouvelle religion. Le premier historien et philosophe chrétien à avoir parlé d’Adonis pour le dénigrer fut Origène (182 – 251) dans ses Morceaux choisis d’Ezechiel. Il fut suivi par Eusèbe de Césarée (265 - 340) qui rapporta, dans son Histoire de l’Église, que l’empereur Constantin ordonna de détruire le temple de Vénus à Afqa. Il s’étendit beaucoup plus sur le sujet dans sa Préparation évangélique. Saint Jérôme, lui, (331 - 420) s’en prit à l’adoration des idoles au Liban en général. Il était contemporain de saint Maron (mort en 410) et de saint Jean Chrysostome (347 - 407) qui convertit le temple de Vénus, à Afqa, en église de la Vierge Marie. À la même époque, Ammien Marcellin (330 – 400) relata les mêmes faits qui s’étaient déroulés au IVe siècle, alors que Cyrille d’Alexandrie (412 - 444) faisait une comparaison détaillée entre le rite et les cérémonies en usage à Byblos et à Alexandrie. Les auteurs grecs et latins ne furent pas les seuls à traiter du sujet. Les historiens orientaux dissertèrent aussi sur le même thème. C’est ainsi que l’on doit au philosophe Méliton un discours fait en présence d’Antoninus César, dans lequel il adjure l’empereur de reconnaître le vrai Dieu. Dans ce discours, Méliton prouve l’existence de Dieu en réfutant toutes les autres croyances, dont les plus répandues étaient les croyances canaanéennes. On suppose que ce César était Caracalla (211 – 217). On trouve aussi mention du rite d’Adonis chez un autre exégète syriaque du VIIIe siècle, Théodose, dans son interprétation des prophéties d’Ezechiel. Mais qui était au juste cet Adonis et comment est née son histoire ? C’est une des plus belles, des plus sublimes et des plus profondes croyances qui soit jamais apparue et qui a connu le plus grand retentissement dans le monde antique. Au Liban vivait un roi du nom de Theias. Ce roi avait une fille d’une grande beauté, Myrrha. Consciente de son incomparable éclat, la jeune fille s’en vanta devant Astarté, ce qui porta ombrage à celle-ci et la rendit jalouse d’elle. Sous prétexte que la jeune Myrrha ne respectait pas les divinités, Astarté ordonna à Éros, dieu de l’amour, d’user de ses flèches pendant le sommeil de la malheureuse pour la faire tomber amoureuse de son père. Quand la jeune fille, à son réveil, se rendit compte du mal incurable qui l’atteignit, elle résolut de mettre fin à ses jours, pour ne pas succomber à ses nouveaux penchants et commettre l’irréparable, à savoir l’inceste. Mais sa nourrice, Hippolyte, l’en dissuada, en lui expliquant qu’elle ne pouvait contrer la volonté des dieux et qu’elle devait accomplir sa destinée. Les poètes antiques et les aèdes qui chantèrent cette légende amplifièrent tous le rôle persuasif de la nourrice, en particulier Ovide. Une grossesse de dix mois Encouragée par les conseils d’Hippolyte, Myrrha se fit une douce violence à condition que le secret restât bien gardé. La nourrice déguisa alors la jeune fille et la fit introduire de nuit, au palais avec l’aide du chambellan du roi. Myrrha fit boire, alors, au roi quantité de vin jusqu’à l’enivrer. Elle éteignit ensuite les chandelles et se donna à lui. Les nuits d’ivresse se succédèrent jusqu’à atteindre les douze, suivant toujours le même cérémonial. Après la douzième nuit, le roi, aiguillonné par la curiosité, fit introduire dans sa chambre une torche, à l’insu de sa fille, et découvrit l’imposture. Il entra alors dans une violente colère qui se mua très vite en une folie meurtrière, tirant son épée, il se rua sur sa fille pour l’abattre. Elle lui échappa de justesse et sortit en courant du palais par une porte dérobée. Ses cris de détresse, ses appels au secours et sa beauté éplorée émurent Zeus, le père des dieux, qui, pris de pitié, et pour la soustraire à la colère paternelle, la transforma en arbre. Astarté regretta alors son acte de félonie et résolut de sauver la jeune fille, alors que celle-ci prise de remords et regrettant son orgueil et sa fierté mal placés, pleura toutes les larmes de son corps qui se cristallisèrent au bout des branches sous la forme de gouttes de myrrhes et d’encens. C’est ainsi que Myrrha échappa à la mort tout en préservant en son sein une autre vie. Et, comme pour prouver que l’enfant à venir était d’essence divine, sa grossesse, nous disent les chroniqueurs, dura dix mois. Et quand le temps de l’enfantement fut venu, l’écorce de l’arbre se détacha du tronc et elle donna naissance au plus beau, au plus gracieux bébé que les dieux et les hommes aient jamais vu : l’enfant de l’amour, de la beauté, de l’encens, de la myrrhe et de tous les arômes de la terre. D’aucuns disent aussi que le roi, ayant eu vent de la ruse de Zeus et son instinct paternel ayant pris le dessus, il rechercha activement l’arbre et, l’ayant trouvé, il assena au tronc une estocade salvatrice qui libéra la mère et l’enfant. Astarté, l’étoile céleste du matin, observait avec attention ce qui se déroulait sur terre. Son regard tomba sur le bel enfant. Elle conçut sur-le-champ, pour lui, un amour irrésistible. Éblouie par sa beauté, elle aurait crié à sa vue : «Adoni» (mon seigneur). Elle s’empara aussitôt de l’enfant et le cacha dans un coffre qu’elle confia à la garde de sa sœur Perséphone ou Proserpine, l’étoile nocturne des enfers, pour le dérober aux regards des jaloux et des envieux. Perséphone monta la garde autour du coffre un certain temps, puis poussée par la curiosité, elle décida de l’ouvrir. Elle y découvrit un adolescent d’une grande beauté qui enflamma immédiatement son cœur d’amour. Elle refusa alors de le rendre à sa sœur Astarté. Le jugement de Zeus Pour éviter une confrontation entre les deux sœurs, Zeus s’interposa entre elles et rendit un jugement qui confiait le jeune Adonis quatre mois à Astarté et quatre mois à Perséphone. Pour les quatre mois restant de l’année, le jeune Adonis était libre de son temps. Il s’empressa de les consacrer à Astarté. Les deux amants vécurent alors des années exaltantes dans les montagnes du Liban, se déplaçant entre ses sources d’eau claire et à travers ses prairies verdoyantes. Astarté, prise par son amour, en était arrivée à oublier les cieux pour vivre comme les humains. Mais ce bonheur idyllique fut malheureusement de courte durée. En effet, les dieux et les déesses ainsi que tous les demi-dieux de l’Olympe, jaloux de ce bonheur sans nuages, ourdirent un complot chacun à sa manière pour venir à bout de cet amour exemplaire. Un jour de début du printemps, Adonis décida d’aller à la chasse sur les hauteurs surplombant la ville de Byblos, non loin de la grotte et de la source d’Afqa. Astarté pressentit intuitivement un malheur imminent. Elle essaya de dissuader son amant par tous les moyens, ayant eu vent de ce qui se tramait dans l’Olympe contre eux. Mais peine perdue, Adonis ne fit pas cas de ses suppliques et de ses pleurs, lui assurant qu’il serait de retour le soir. Il s’élança donc vers la région d’Afqa, qu’Ernest Renan qualifiait de «plus beau site du monde». Là l’attendait, tapi dans l’ombre d’un vieux chêne, l’envoyé d’Ares le jaloux et l’envieux, un féroce sanglier. L’animal se rua sur le jeune homme et l’étripa. Les vallons renvoyèrent d’écho en écho ses cris de douleur qui arrivèrent aux oreilles d’Astarté. Elle courut, immédiatement, pieds nus, vers son amant et les gouttes de sang qui suintaient de ses écorchures donnèrent naissance aux anémones. Elle tira le corps d’Adonis vers la grotte, le lava à l’eau de la source et essaya de le ranimer, mais en vain. Le jeune homme avait rendu l’âme. Son sang qui coulait abondamment mêlé à l’eau de la source forma un ruisseau qui alla se jeter dans la rivière d’Adonis (Nahr Ibrahim). C’est pour cela qu’à chaque début de printemps les eaux de cette rivière se teintent en rouge. Les larmes qui coulaient des yeux d’Astarté se transformaient, en touchant la terre, en roses blanches. Adonis était parti sans espoir de retour. La déesse se tourna alors vers Zeus et l’implora de toutes ses forces pour qu’il fasse revenir Adonis à la vie. Pris de pitié, le père des dieux acquiesça à sa demande, mais seulement pour une partie de l’année. Il décida donc de ramener Adonis six mois à Astarté, vivant donc sur terre et six mois à Perséphone sous terre. Astarté s’empressa d’accepter ces conditions et trois jours après sa mort, d’autres conteurs disent huit jours, Adonis y retrouva la vie et son amante. Cette belle histoire est riche d’enseignements et de symboles. Les Phéniciens, à travers elle, y trouvaient des explications aux mystères de la nature : la mort de la végétation en hiver, son éclosion au printemps et sa maturation en été. Adonis, comme la nature, hiberne quatre mois sous terre chez Perséphone et remonte à la surface les huit mois de printemps et d’été. Astarté, elle, symbolise la fertilité de la terre grâce à la puissance créatrice de l’eau. La puissante personnalité du dieu Adonis en fait, par extension, le dieu des cieux, le dieu de la lumière et du soleil, le dieu de la pluie, le dieu de la végétation et même le dieu de la mort, mais momentanée, bref le dieu de toute la vie sur terre, qu’elle soit spirituelle ou matérielle. D’autre part, comme son sang alimenta le fleuve qui porte son nom, l’imagination de certains conteurs alla jusqu’à attribuer son nom à certain genre de poissons qui serait apparu par le contact du sang d’Adonis avec l’eau de la rivière. En effet, ce poisson, le rouget, ou poisson d’Adonis, se rencontre en grande quantité tout au long des côtes libanaises et particulièrement autour de l’embouchure du fleuve d’Adonis ; et quand le nom du fleuve changea en fleuve d’Ibrahim, le nom du poisson en fit de même et devint le poisson «sultan Ibrahim». Depuis, la sanctification et la vénération de ce poisson et par extension du poisson en général entrèrent dans les us et les coutumes des habitants de ce pays, depuis l’époque canaanéenne jusqu’à nos jours. Byblos, Adonis et Osiris Quand Osiris, raconte Plutarque, eut été tué par son frère, Typhon ou Seth – qui personnifie les ténèbres et le mal, tandis qu’Osiris est la lumière et le bien –, son corps fut enfermé dans un coffre, qu’on jeta à la mer. Ce coffre, porté par le flot, était venu échouer sur la côte syrienne, en Phénicie même, et très exactement sur la plage de Byblos. Là, il s’arrêta au pied d’un arbre, de l’espèce appelée Erica, qui absorba le cercueil d’Osiris et se l’incorpora. Ainsi, d’un côté, une scène de la légende d’Osiris – et la plus dramatique de toutes – s’était, au témoignage de Plutarque, déroulée à Byblos ; et, d’autre part, le zed, ce symbole qui, en Égypte, représentait Osiris, s’est rencontré, à plusieurs exemplaires, à Byblos et dans les fondations d’un sanctuaire appartenant au début du IIIe millénaire av. J-C. Cependant, on ne saurait conclure de ce rapprochement qu’Osiris procède d’Adonis, car il se peut bien que le temple dont il s’agit ait appartenu à Osiris lui-même, et qu’il fût le lieu autour duquel ou dans lequel se réunissaient les Égyptiens qui venaient s’approvisionner sur le marché de Byblos. À dire le vrai, la question des apports d’Osiris avec Adonis est de celles, fort nombreuses, qu’il ne suffit pas de poser pour les résoudre. Il faudrait, pour venir à bout de ces difficultés, connaître beaucoup mieux que nous ne le faisons, à la fois Adonis et Osiris. Or, si Osiris ne nous est guère connu, aujourd’hui encore, que par Plutarque, pour Adonis, Ovide et Panyasis sont, à peu près, nos seuls informateurs. Sans doute, le nom d’Osiris apparaît fréquemment dans les textes égyptiens ; mais ces documents sont d’une interprétation très incertaine. Quant à Adonis, les fouilles de Byblos qui ont duré vingt-sept ans et qui nous ont d’ailleurs apporté tant d’indications précieuses, n’ont rien produit concernant ce personnage, ni monuments figurés ni documents littéraires ; seulement quelques statues, très mutilées, qui semblent représenter des déesses, ou bien une seule déesse, toujours la même, sans qu’on puisse discerner s’il s’agit d’Astarté, la compagne d’Adonis, ou de l’épouse d’Osiris, Isis. Mais c’est aussi que, dans le domaine de l’histoire ancienne, il arrive souvent – et c’est ici le cas – que des faits de grande importance, ou qui nous paraissent tels – n’ont laissé que des traces insignifiantes, alors que G. Duhamel a formulée en ces termes (3) : «Certains jours, l’Antiquité apparaît aussi plate qu’une fresque. Prend-elle du relief, on est saisi d’inquiétude, on soupçonne un trompe-l’œil, mais le fait est que notre connaissance du passé est très fragmentaire, et l’on peut croire qu’il en sera encore de même, quand tous les tumulus de l’Orient auront été fouillés jusqu’au roc». Ainsi, en ce qui concerne Byblos, et quoique son sol ait été exploré largement et profondément, Adonis et Astarté se sont dérobés à toutes les recherches. Et pourtant, en présence des témoignages nombreux et dans l’ensemble concordants que nous a laissés l’Antiquité classique, on ne peut pas douter que c’est bien là que le culte d’Adonis était célébré avec le plus de ferveur, là qu’il a été célébré d’abord, et non pas seulement à Byblos, dans la «sainte Byblos», comme on disait, mais aussi en un point situé à une journée de marche de la ville, dans la montagne, à 1 100 m d’altitude, à la source du fleuve d’Adonis, source qui s’appelait, et qu’on nomme encore aujourd’hui, Afqa. C’était à Afqa que le Dieu avait été déchiré par une bête sauvage, à Afqa enfin que Vénus-Astarté l’avait enseveli. Cette source d’Afqa a été mainte fois décrite par les voyageurs modernes, et elle l’a été en particulier par Ernest Renan. «C’est, a-t-il écrit, l’un des sites les plus beaux du monde. Le fleuve se précipite, de cascade en cascade, à d’effrayantes profondeurs. La fraîcheur des eaux, la douceur de l’air, la beauté de la végétation ont quelque chose de délicieux. L’enivrante et bizarre nature qui se déploie à ces hauteurs explique que l’homme, dans ce monde fantastique, ait donné cours à tous ses rêves». En ce qui me concerne, j’ai visité Afqa, il y a une vingtaine d’années ; mais c’était au mois d’août, à un moment où les eaux sont déjà basses, et quand le bruit des cascades n’est plus qu’un faible murmure. À quelque distance, ce murmure même ne s’entendait plus, et l’impression dominante était celle d’un silence absolu, d’un isolement total (4). Et cependant c’est bien là que s’élevait, dans l’Antiquité, le temple de celle qu’on nommait la Vénus d’Afqa – ou Vénus Aphacite – autrement dit le sanctuaire d’Astarté, l’amante et la protectrice d’Adonis. Mais il ne reste pas pierre sur pierre de cet édifice, qui a été détruit au cours d’une sorte de croisade, menée avec la plus grande vigueur par Jean Chrysostome en personne ; car il faut dire que la Phénicie était encore, à la fin du IVe siècle, très attachée à ses anciens cultes, plus peut-être qu’aucune des provinces de l’Orient. C’est donc là, à Byblos, à Afqa et dans la région intermédiaire, tout au long du fleuve d’Adonis, qui n’est guère, d’ailleurs, comme les autres «fleuves» de la Phénicie, qu’un torrent ou un gave, c’est là que se déroulaient ces fêtes, qu’on appelait à l’époque gréco-romaine les Adonia ou, comme nous disons, les Adonies, fêtes auxquelles prenaient part, non seulement les gens du pays, mais aussi la foule des pèlerins qui venaient de toute part pour mettre en commun leurs craintes, leurs espérances et leurs joies. Charles VIROLLEAUD
Par Hareth BOUSTANY Nous nous étions arrêtés dans un précédent article sur la naissance du monothéisme dans les sociétés sédentaires et sur le culte d’Adonis en pays de Canaan, et nous avions passé en revue ce que les auteurs grecs et latins de l’Antiquité classique en avaient dit dans leurs écrits. Le christianisme balbutiant ne fut pas en reste. Ce dieu, dont le culte...