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Obsèques - La dépouille de l’ancien ministre, chef de milice et député repose à Baskinta La dernière revanche d’Élie Hobeika : les larmes de la foule et une reconnaissance officielle (photo)

Élie Hobeika peut reposer en paix, à l’ombre des cimes enneigées de Baskinta. Pour son dernier voyage, il était accompagné de tous ses amis, anciens et actuels compagnons, ceux qu’il avait perdus de vue et ceux que les remous de la politique avaient éloignés. Son cercueil porté à tour de rôle par plusieurs centaines de personnes en pleurs, il aurait presque pu sentir la chaleur de leur affection, puisque rien n’obligeait ces gens à faire le long trajet jusqu’au cimetière en ce samedi ensoleillé, mais si froid. Et celui qu’on disait mal-aimé, qui avait passé les dernières années de sa courte vie, si riche en rebondissements, à essayer de reconquérir la rue chrétienne, a eu pour son enterrement la revanche qu’il espérait : l’hommage des officiels à travers le cordon de l’Ordre du Cèdre décerné par le président de la République et les sanglots de simples anonymes qui ne savaient que manifester leur chagrin. Ce jour-là, Hazmieh s’est réveillée dans la tristesse. Les boutiques sont restées fermées, et dès 10h, les haut-parleurs ont commencé à diffuser des chansons à la gloire de l’ancien président Bachir Gemayel et des extraits de discours de Hobeika. On pouvait ainsi l’entendre parler d’une voix étrangement nette, de la nécessité de donner leurs droits aux chrétiens du Liban. Ce choix n’était pas un hasard. Selon ses proches, ce problème était devenu sa hantise, au cours des dernières années. Il voulait à tout prix les convaincre de ne plus bouder l’État et n’hésitait jamais à rendre service, à intervenir en faveur d’un solliciteur. Démagogie, démarche intéressée ? L’avenir ne le dira plus. Mais les milliers de personnes venues à son enterrement ne sollicitaient plus rien, elles ne voulaient qu’exprimer leur chagrin. Hariri, premier arrivé Il y avait d’abord les compagnons, soucieux malgré leur peine d’assurer une bonne organisation de la cérémonie, mais rapidement débordés face à l’afflux de gens, dans l’église de Mar Takla, trop petite pour accueillir tout ce monde. Il y avait ensuite les proches de Hobeika, installés autour du cercueil dès les premières heures de la journée, mais aussi les proches des deux autres victimes Farès Soueydan (dit Bourvil, un surnom qui remonte à l’époque de la guerre et qui ne l’a jamais quitté) et Walid Zein. Les personnalités ont commencé ensuite à défiler, ministres (Béchara Merhej et Sleiman Frangié notamment) députés (Élie Ferzli, Samir Azar, Farid Khazen, Antoine Ghanem etc), chefs de partis, responsables de sécurité et anciens ministres (Michel Eddé, Michel Samaha, particulièrement ému, Zaher Khatib, Chahé Barsoumian). Parmi les premiers arrivés, le président du conseil Rafic Hariri, venu présenter ses condoléances, avant la cérémonie. Puis le président élu du parti Kataëb, Karim Pakradouni, et l’actuel président Mounir Hajj, à la tête d’une importante délégation. Tous deux ne quitteront pas la famille du défunt jusqu’au dernier moment, faisant même le trajet jusqu’à Baskinta. Des absences remarquées L’ancien président Élias Hraoui, visiblement très ému, présente aussi ses condoléances au salon de l’église, avant de s’installer sur un des premiers bancs. Ministres et députés suivent, ainsi que les représentants des trois présidents : le ministre Michel Moussa pour le chef de l’État, le député Abbas Hachem pour le président de la Chambre et le ministre Assaad Diab pour le président du Conseil. Arrivent aussi les représentants des diverses communautés libanaises, dont Mgr Abou Jaoudé pour le patriarche Sfeir, et des délégations de la plupart des partis, ainsi que l’ancien président des Kataëb Élie Karamé. Quelques absences remarquées : les Gemayel père et fils et les FL du frère ennemi Samir Geagea (les autres étant bien représentées), le PSP de Walid Joumblatt et le Hezbollah qui avait férocement combattu Hobeika au cours des dernières législatives, l’empêchant ainsi d’être élu… Hobeika ne faisait certes pas l’unanimité en politique et c’est du côté de la population qu’il fallait chercher ceux qui l’aimaient. Des hommes bâtis comme des armoires à glace, pleurent comme des enfants, des femmes s’évanouissent tant l’émotion est forte, mobilisant en permanence les secouristes de la Croix-Rouge et des jeunes crient leur colère : «Tu leur faisais tellement peur, ils ont finalement eu ta peau», lancent-ils, reprenant le thème des banderoles accrochées tout autour de l’église : «Ta vérité leur a fait peur, ils t’ont tué». Et pourquoi pas un ministre ? L’arrivée du brigadier Ghazi Kanaan, représentant le président syrien ne parvient pas à calmer les esprits et alors que les agents de l’ordre et les gendarmes municipaux cherchent à lui frayer un chemin, les partisans de Hobeika ne cachent pas leur déception : «Ils auraient pu envoyer un ministre…». Mais ils savent bien, au fond, que ce ne sont que des détails. «Leur chef» est parti et, pour eux, la perte est irremplaçable. À l’intérieur de l’église, les hommes de Hobeika sont si émus qu’ils en oublient leurs devoirs d’organisation. Les officiels s’installent comme ils peuvent et les chaises en velours rouge ou en plastique volent au-dessus des têtes. Les caméras des télévisions augmentent la pression et l’atmosphère est irrespirable. Le mot du patriarche Sfeir, lu par Mgr Toubia Abi Aad, ajoute encore à la peine des présents, en évoquant le parcours du défunt, marqué par la guerre et ses violences et ses tentatives de réhabilitation, son désir d’aider les autres et sa personnalité hors du commun qui lui attirait les inimitiés mais aussi des amitiés fidèles. Le ministre des Affaires sociales, Michel Moussa, le décore ensuite du cordon de l’Ordre national du Cèdre. La famille commence alors à recevoir les condoléances. Dès que le cercueil est emmené hors de l’église, porté à bout de bras par des hommes en pleurs, l’émotion atteint son paroxysme. Sur leurs balcons, des femmes vêtues de noir se lamentent et les jeunes courent dans tous les sens, dansant au rythme du cercueil, sans trop savoir ce qu’ils font. Michel Samaha, Karim Pakradouni et bien d’autres pleurent, comme si, brusquement, ils réalisaient qu’il était réellement mort. Pourtant, sa voix résonne encore dans les oreilles à travers les haut-parleurs ajoutant encore à l’étrangeté de la scène. Les anciens compagnons et la filière palestinienne Mais c’est à Baskinta, dans le village natal de Hobeika, que l’enterrement connaît ses minutes les plus poignantes. Ses amis, anciens et nouveaux, les fidèles et les proches sont venus nombreux attendre l’arrivée de la dépouille et l’on croirait presque le vieux noyau des FL reconstitué. «Si les compagnons d’antan ne s’étaient pas tellement déchirés, où en serait le Liban aujourd’hui ?» s’interroge l’un d’eux. «Geagea est en prison et Hobeika est mort. Demain à qui sera le tour ?», murmure un autre. Attendant sous les pâles rayons du soleil, la foule éprouve un grand sentiment de défaite. «C’est vrai que Hobeika vivait dangereusement et que beaucoup d’entre nous n’étaient pas d’accord avec lui, mais c’est une grande perte pour nous tous. Au moins, il avait du courage et il a eu la décence de ne pas vouloir laver le linge sale des chrétiens en public». «Il a été attaqué, chargé de tous les maux, commente un ancien FL, et il n’a pas cherché à se défendre, son souci, à la fin, c’était de resserrer les rangs chrétiens car il était très inquiet pour l’avenir…» À mesure que l’attente se prolonge, les langues se délient et le sujet principal, les massacres de Sabra et Chatila, revient sur le tapis. «À l’époque, il n’était que le chef du service de renseignements des FL et s’il est allé sur place, il ne l’a pas fait tout seul et de son propre chef. Il aurait pu rejeter la responsabilité sur d’autres, mais il ne l’a pas fait, acceptant pendant 20 ans cette tare et ne réagissant que dernièrement, enfin décidé à se battre pour sa réhabilitation». Que pouvait-il posséder comme documents attestant son innocence ? «Peut-être rien et peut-être certains enregistrements impliquant d’autres personnes, nul n’en saura rien. Ce qui est sûr, c’est qu’il est mort, hélas». Pour certains anciens compagnons, la thèse de la filière israélienne est absurde. Ils sont convaincus que les Palestiniens sont derrière l’attentat. «Depuis si longtemps, ils le poursuivent de leur haine et ils ont choisi ce timing pour que l’on croit justement qu’il s’agit des Israéliens. De plus, ils n’ont rien à perdre puisqu’en l’éliminant, ils ont semé le doute chez les juges belges qui doivent se demander si effectivement on n’a pas voulu éliminer un témoin gênant…». Mais les Palestiniens ont actuellement des soucis plus sérieux ? «Cela n’a rien à voir. Le projet a pu être élaboré et exécuté au Liban et son timing donne une dimension nouvelle à la plainte contre Sharon»… Ceux qui partagent cette analyse s’empressent de préciser qu’il ne s’agit nullement pour eux de défendre les Israéliens, mais c’est plutôt une conviction intime. Le pire c’est qu’ils ont l’impression que les autorités concernées ne creuseront pas cette piste… Précédé par des motards des FSI, le corbillard atteint enfin l’entrée du village. Soudain, le silence est total, la foule en tenue de deuil se signe, Élie Hobeika achève son dernier voyage. Le soleil s’est couché et c’est comme si une chape de froid recouvre les lieux. La fanfare de la municipalité joue la musique des morts et les vieux combattants ne retiennent plus leurs larmes. Les parents, l’épouse, le fils et le frère, rentré la veille du Canada, ne tiennent plus debout. C’est fini, celui qu’ils chérissent repose désormais dans le caveau familial, auprès de ses ancêtres. Il se voulait un héros, il a été un homme peu ordinaire que l’histoire jugera en temps voulu. Scarlett HADDAD
Élie Hobeika peut reposer en paix, à l’ombre des cimes enneigées de Baskinta. Pour son dernier voyage, il était accompagné de tous ses amis, anciens et actuels compagnons, ceux qu’il avait perdus de vue et ceux que les remous de la politique avaient éloignés. Son cercueil porté à tour de rôle par plusieurs centaines de personnes en pleurs, il aurait presque pu sentir la...