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Actualités - CHRONOLOGIES

CORRESPANDANCE - Révélation de Sergueï Dvortsevoy - La vie comme elle va au Kazakhstan

Nanouk of the North a suffi à faire la gloire de Robert Flaherty, tout comme La chasse au lion à l’arc celle de Jean Rouch ou Pour la suite du monde celle de Pierre Perrault. Et si Alain Resnais n’avait réalisé que Nuit et brouillard, il serait déjà un très grand cinéaste. Autant dire que le documentaire a conquis ses lettres de noblesse et que, dans bien des cas, il serait mal venu de le rabaisser ironiquement au rang de «docucu». Des vignettes Nul ne songerait, de toute façon, à employer ce terme au sujet d’un court et d’un moyen métrage de Sergueï Dvortsevoy, respectivement Paradise (1995) et Highway (1999), dont la sortie à Paris est une révélation. Primé dans nombre de récents festivals, leur auteur, originaire du Kazakhstan, vient de s’atteler à son premier long métrage de fiction et l’on peut prendre le pari qu’il faudra désormais compter avec lui. Humour, tendresse, regard distancié, on trouve tout cela dans Paradise qui décrit la vie comme elle va pour la famille Shakobaev, dans la steppe du sud du Kazakhstan. Incomparable, véritablement génial est le plan-séquence montrant un marmot en train de vider à la cuiller, puis de lécher, une écuelle de lait fermenté, avant de tomber en pâmoison au souvenir de sa délicieuse pitance. Incomparables aussi les vignettes juxtaposées où l’on voit, quand dort la maisonnée, la mère se faire un drôle de shampooing – avec des restes de lait fermenté, semble-t-il ! – des ânes en train de s’épucer, ou une vache qui se prend les cornes dans un bidon où elle s’est avisée de boire et ne parvient plus à s’en dégager. Elle sera bien en droit de s’ébrouer en meuglant de plaisir quand on parviendra enfin à la libérer ! Les jeunes gens, quant à eux, ronchonnent : «Vous parlez d’une vie!». De quoi rêvent-ils ? D’aller prendre une cuite en ville et d’y trouver du boulot. Au lieu de quoi, il leur faudra partir avec leur maigre troupeau vers des régions où l’herbe promet d’être plus drue. Sergueï Dvortsevoy les aura surpris juste à temps. Un spectacle de cirque C’est une autre famille, les Tadjibaev, qu’il filme dans Highway, un road-movie dont le point de départ est également le Kazakhstan. Destination : l’Ouzbékistan, à 2000 km de là. Si toutefois son minibus cède aux injonctions de la manivelle qui, comme au temps du muet, commande son démarrage. Et, ô prodige, le voilà qui s’élance sur le long ruban d’une route cahoteuse n’ayant que la steppe pour horizon. De loin en loin, c’est une halte devant un hameau, et donc un public en perspective. Car les cinq frères et sœurs Tadjibaev, rien dans les mains, rien dans les poches, ont un spectacle de cirque à présenter, le père leur servant de bonimenteur. Même la benjamine morveuse, tout juste deux ans, y a été pourvue d’un petit rôle. «Applaudissez!«, ordonne le père-imprésario à des spectateurs généralement peu convaincus. Et puis, brave type après tout : «À votre bon cœur, mais si vous êtes fauchés, c’est gratuit!». Mais de quoi vivent-ils ? Se demande-t-on en voyant deux des enfants racler le fond d’une assiette où subsistent d’improbables grains de riz. Les chamailleries des garçons exaspèrent la mère mais, la nuit venue, ne l’empêche pas de chanter une berceuse dans le minibus transformé en dortoir. Même sans ses numéros de cirque, cette famille constitue un sacré spectacle. C’est ce que doit se dire l’aiglon recueilli en chemin et qui semble l’observer en permanence, d’un regard à la fois narquois, perplexe et philosophe. À se demander s’il n’est pas censé représenter le cinéaste lui-même.
Nanouk of the North a suffi à faire la gloire de Robert Flaherty, tout comme La chasse au lion à l’arc celle de Jean Rouch ou Pour la suite du monde celle de Pierre Perrault. Et si Alain Resnais n’avait réalisé que Nuit et brouillard, il serait déjà un très grand cinéaste. Autant dire que le documentaire a conquis ses lettres de noblesse et que, dans bien des cas, il...