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Actualités - REPORTAGES

PSYCHOLOGIE - Deux spécialistes analysent la signification de cette croyance - Le père Noël dans l’imaginaire de l’enfant

La saison de Noël est de nouveau là, provoquant l’excitation des enfants à la perspective des cadeaux, et des réactions multiples envers ce gros personnage de rouge vêtu, avec sa barbe blanche et son rire sécurisant, appelé père Noël. Que représente-t-il dans l’imaginaire de l’enfant ? Comment et suivant quel processus arrête-t-il d’y croire ? Quelle attitude adopter face aux questions d’un enfant qui commence à prendre conscience de la vérité ? Viviane Touma et Nabil Kanbar, psychologues-cliniciens, exposent leurs points de vue. «J’aime beaucoup cette poupée, mais elle est trop chère. Ne t’en fais pas, tu n’as pas à me l’acheter. Je la demanderai au père Noël». C’est ce qu’une petite fille a dit à sa mère devant l’étalage d’un magasin. L’anecdote est véridique. Tous les parents ont témoigné un jour ou l’autre d’une réaction amusante de leurs enfants liée au père Noël, ce personnage qui a pris une telle dimension dans l’imaginaire des tout-petits. Mme Viviane Touma considère que le mythe du père Noël accompagne une phase préopératoire chez l’enfant (environ de 2 à 5 ou 6 ans) : la pensée de l’enfant est encore principalement égocentrique, et il confond toujours réel et imaginaire. «Il s’agit d’une étape très importante dans le développement de sa personnalité, ajoute-t-elle. Mais l’adulte doit savoir canaliser cette énergie, lui donner des cadres mentaux et opératoires». Cette première phase est suivie de celle des opérations, où l’enfant ne confond plus réel et imaginaire. «L’enfant ne peut pas passer de l’une à l’autre seul, il a besoin d’un apport de l’adulte. À titre d’exemple, à l’école maternelle, l’enfant joue à imiter, dans le cadre de jeux limités et n’obéissant pas à des règles précises. C’est à l’école que le concept de jeux collectifs est introduit, dans un processus de socialisation. C’est là que le sens du réel commence à prendre le dessus et que l’apprentissage de la logique et des maths débute». Selon M. Nabil Kanbar, la croyance au père Noël est à placer dans le cadre plus vaste du développement social de l’enfant. Pour ce dernier, «la croyance au père Noël est quelque chose d’acquis, que la famille, l’entourage et la société en général lui transmettent». «À la naissance, poursuit-il, l’homme n’est qu’une condition biologique. S’il n’évolue pas dans une société qui possède une culture, il ne devient pas un être humain, comme l’ont prouvé les expériences sur des enfants sauvages». M. Kanbar ajoute que l’être humain obéit à quatre instances : les croyances de sa société (pas nécessairement religieuses), l’autorité (quelle qu’elle soit), l’échange (commerce, paroles…) et la réglementation des relations hommes-femmes (mariages, relations…). «La croyance en quelque chose est donc un phénomène social, mais avec le développement et la croissance physique, l’enfant acquiert un sens critique, souligne-t-il. Il commence à se poser des questions : d’où je viens ? Où je vais ? Qu’y a-t-il dans l’au-delà ?» Des générations plus précoces Que représente la croyance au père Noël pour l’enfant ? «Le mythe du père Noël agit sur l’imaginaire comme n’importe quel conte de fées, mais il est cependant lié à une réalité, celle des fêtes, considère Mme Touma. Il est introduit auprès des enfants comme celui qui donne les cadeaux. Pour eux, c’est une échappatoire. Ils peuvent lui attribuer tout ce qu’ils veulent, sans limites». Comment l’enfant arrête-t-il de croire au père Noël ? «De nos jours, l’agent de transmission du savoir n’est plus limité aux seuls parents, répond M. Kanbar. Avec la télévision, le cinéma, etc., le concept du père Noël s’élargit pour englober toute personne qui fait du bien. Par ailleurs, plus les sources d’informations sont multiples et mettent en doute cette croyance, plus elle devient fragile». Les enfants abandonnent-ils aujourd’hui le mythe plus précocement qu’il y a quelques années ? «Certainement, vu que les sources d’informations sont nombreuses et pas toujours sur la même longueur d’onde», dit-il. Pour Mme Touma, «les nouvelles générations sont certainement plus précoces et leurs stades de développement plus avancés». «Il n’en demeure pas moins que des différences émergent entre les enfants, poursuit-elle. Certains ont plus d’imagination, d’autres sont davantage pragmatiques». La multiplication des pères Noël dans la rue ne contribue-t-elle pas à éveiller le sens critique de l’enfant ? «On ne peut pas séparer ce phénomène des exigences de notre société de consommation, indique-t-elle. Toutefois, même s’il y a un père Noël à chaque coin de rue, l’enfant trouve toujours des excuses : il n’a pas le temps, il a besoin d’assistants, etc.». Quant à M. Kanbar, il trouve que «beaucoup de films ont déjà justifié ce phénomène de marketing en montrant que le père Noël est vieux, qu’il n’a pas le temps de s’occuper de tout le monde et que, par conséquent, il a besoin d’aides». Chantage affectif : inutile et dangereux Les parents doivent-ils intervenir pour mettre un terme à cette croyance ? «C’est l’enfant qui doit découvrir seul que le père Noël n’est pas réel, affirme M. Kanbar. Pédagogiquement parlant, les parents n’ont pas le droit de dire à leur progéniture qu’ils lui ont menti. Il suffit d’attendre que l’enfant pose des questions et de lui répondre de façon adéquate». Mais, justement, l’enfant n’a-t-il pas l’impression qu’on lui a menti ? «Non, pour lui il s’agit d’une évolution, du développement d’un concept qu’il ne perçoit pas comme un mensonge, répond-il. Quant aux parents, ils ne sont pas obligés d’inventer des situations dramatiques. Il faut simplement répondre à l’enfant en fonction de son âge». Mme Touma, pour sa part, pense que les parents ont un rôle à jouer dans la prise de conscience de l’enfant. «C’est l’apport des parents qui aide l’enfant à étoffer le mythe, et c’est cette même énergie qui doit l’assister pour qu’il en sorte, dit-elle. Dès que l’enfant pose des questions logiques, il faut sauter sur l’occasion pour le mettre sur le chemin de la vérité. Il faut toutefois le laisser parler et vérifier qu’il est prêt avant de foncer. S’il ne l’est pas, il est impératif de lui laisser le temps. Il existe cependant une limite d’âge, sept ans, qu’il ne faut pas dépasser». Pourquoi ? «Quand l’enfant s’accroche au mythe du père Noël, il prouve qu’il a un besoin à combler», considère Mme Touma. «Il convient alors de se demander s’il s’agit d’une compensation et quelles en sont les causes». Est-ce un mauvais signe ? «Seulement si cette situation persiste et que le sens de l’imaginaire prend le dessus sur le sens du réel», répond-elle. «Le père Noël voit tout et ne t’apportera pas de cadeaux si tu n’es pas sage». Que pensent-ils de ce genre de chantage ? «Il s’agit d’un chantage émotionnel qui n’est pas seulement lié au père Noël, souligne M. Kanbar. Il est préférable de ne pas employer ce langage, quitte à punir l’enfant pris en faute. Adulte, il se souviendra de ce chantage exercé sur lui et utilisera cette même méthode avec ses enfants ou même dans ses relations». Mme Touma renchérit : «C’est un chantage affectif qui n’a aucun sens. Il est possible de communiquer avec l’enfant sans le terroriser. Avoir recours à ce genre de méthodes prouve qu’on ne sait pas communiquer avec lui et qu’on a besoin d’un mécanisme de défense. En d’autres termes, l’adulte fait payer à l’enfant le prix de ses propres problèmes et, en définitive, le jeune ne comprend toujours pas son erreur. Il faut abandonner ce genre de chantage et trouver le temps de dialoguer avec l’enfant». Que reste-t-il du mythe du père Noël chez l’adulte ? «C’est l’enfant qui persiste dans chaque adulte, déclare-t-elle. D’autant plus que, par le biais des enfants, les parents ressentent une grande joie». «Au fond, chacun a besoin d’une personne qui soit disponible à un moment difficile de sa vie pour l’aider, dit M. Kanbar. Dès qu’une telle personne intervient favorablement dans notre vie pour résoudre un problème, notre premier réflexe est de dire : “C’est un père Noël”, par assimilation». Il rappelle que la notion du père Noël est relativement récente et s’est modifiée avec le temps. «Des populations qui ne sont pas nécessairement chrétiennes peuvent croire au père Noël, souligne-t-il. Ce personnage représente certaines valeurs, un humanisme que l’on cherche à transmettre aux enfants. En d’autres termes, un besoin culturel d’une certaine société».
La saison de Noël est de nouveau là, provoquant l’excitation des enfants à la perspective des cadeaux, et des réactions multiples envers ce gros personnage de rouge vêtu, avec sa barbe blanche et son rire sécurisant, appelé père Noël. Que représente-t-il dans l’imaginaire de l’enfant ? Comment et suivant quel processus arrête-t-il d’y croire ? Quelle attitude adopter...