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Actualités - BOOK REVIEWS

VIENT DE PARAîTRE - Aux éditions Paul Geuthner, deux lettres d’Ibn al-Qila’i - Dévoiler l’histoire des Églises du Liban par les écrits de leurs moines

Le Mont-Liban du XVe siècle et plus précisément les communautés maronite et syriaque jacobite ont été présentées dans Lettres au Mont-Liban d’Ibn al-Qila’i (XVe siècle) titre de l’ouvrage de l’historienne Ray Jabre Mouawad paru aux éditions Paul Geuthner. Adressées aux habitants du Mont-Liban et à ses chefs, ces deux lettres sont, pour la première fois, éditées et traduites en français. Commentées par l’auteur, ces deux lettres d’Ibn al-Qila’i ont été placées dans leur contexte historique et culturel : les Églises maronites et syriaques jacobites sont présentées dans le premier chapitre du livre alors que le second est consacré à la vie d’Ibn al-Qila’i. Gabriel Ibn al-Qila’i est né et a grandi dans les alentours du village de Lehfed (le jurd de Jbeil), dans une zone toujours connue sous le nom de «al-Qilâ», (les rocs), d’où son nom : Ibn al-Qila’i «le fils de celui qui habite les rocs». La vie de ce fils de fermier est loin d’être ordinaire. Recruté à l’âge de dix-huit ans par un frère missionnaire franciscain, Gabriel Ibn al-Qila’i a quitté sa localité natale pour suivre une formation religieuse franciscaine. Au bout d’un voyage de vingt-six ans passés entre Jérusalem, Venise et puis Rome, ce moine est revenu dans son pays avec une «double culture», celle du maronite de Lehfed et celle du franciscain latin qu’il a appris à devenir. Vite, sa relation avec le patriarche maronite, Siman al-Haadathi, devient très tendue. Ce moine «élevé» au sein de l’Église catholique de Rome appelait, dans ses lettres adressées au clergé maronite, à de véritables réformes au sein de l’Église du Mont-Liban et à un renforcement de la relation avec Rome. Les deux lettres choisies par cette spécialiste de l’Église chrétienne d’Orient résument l’idée qu’avait Ibn al-Qila’i du Mont-Liban, «pays des saints», sur les «erreurs» des maronites qui «souillent» son sol. Il se peut que la lecture d’Ibn al-Qila’i ne soit pas toujours « plaisante » pour la gente féminine. En fait, ce moine est d’une misogynie exceptionnelle. Pour lui, «le diable habite la femme, elle incarne le mal, la honte des hommes, la mort des vivants, l’ennemi de tout bien, c’est la faucheuse de vie, le lien qui ne se dénoue pas…» et tant d’autres descriptions, tout aussi aimables ! Toutefois il est important de souligner que cet homme de prière revenait souvent dans ses lettres sur la question de la cohabitation des femmes avec les moines. Ceci explique t-il ses propos, ou était-ce simplement une opinion courante à cette époque ? Par ailleurs, Ibn al-Qila’i est considéré comme le premier historien libanais et auteur de zajal (poésie populaire orale en dialecte libanais). S’il a choisi cette forme de poésie, c’est pour raconter «l’épopée» de l’histoire des maronites au Mont-Liban. De ce fait, il incarne, en quelque sorte, cette identité libanaise, mélange de deux cultures : locale et occidentale. Source inépuisable sur l’histoire du Liban Après avoir raconté la vie exceptionnelle de ce maronite devenu moine franciscain, Ray Jabre Mouawad, spécialiste de l’Église syriaque, a effectué une recherche sur tous les noms des lieux cités dans ces deux lettres qu’elle a répertoriés en deux catégories : les lieux situés au Mont-Liban et ceux situés à l’extérieur. Un second inventaire qui succède au premier est consacré aux noms propres cités dans les lettres. Les noms des moines, saints, patriarches… sont classés par ordre alphabétique, présentés dans leur contexte historique, accompagnés d’une explication sur le choix d’Ibn al-Qila’i pour ces personnages. Les lettres d’Ibn al-Qila’i sont une source de documentation inépuisable sur le Liban du XVe siècle, période décisive dans l’évolution de l’histoire des communautés chrétiennes. C’est au cours de ces siècles que les chrétiens se sont détournés de leur culture syriaque pour adopter l’arabe en tant que langue. Pour eux, c’était l’unique moyen leur permettant de s’intégrer dans la société et la culture de l’époque. Et c’est à cette période que les patriarches maronites se sont délibérément jetés entre les bras de Rome, explique l’historienne Ray Jabre Mouawad. Ibn al-Qila’i est un témoin oculaire de tous ces changements, et de par sa position au sein de l’Église maronite et sa formation à Rome, ses écrits sont devenus une source d’informations précieuse sur cette période. «En plus de leur intérêt historique et socio-culturel, les lettres de ce moine sont aussi des références sur la linguistique. Cet auteur maronite a écrit ses textes dans un dialecte libanais, ancêtre de l’actuel», assure cette spécialiste. Analyser ces lettres c’est doter l’histoire du Liban de nouvelles données essentielles à sa compréhension dans toutes ses facettes. Jusqu’à présent, les écrits d’Ibn al-Qila’i n’ont pas été étudiés, on ne trouve que quelques publications portant sur sa Zajalia. Mais il semble que cet état des lieux verra des changements car Ray Jabre Mouawad est une passionnée de ce personnage et elle promet de nouvelles publications sur le sujet. Ibn al-Qila’i est omniprésent dans l’inconscient collectif libanais puisqu’on cite souvent ses maximes sans le savoir. Ce moine qui a vécu toute sa jeunesse loin de sa terre natale, mort à Chypre, a résumé toute sa nostalgie pour le Liban, et toute celle de ses successeurs en écrivant : «Bienheureux celui qui a une couche de chèvre au Mont-Liban aux temps de misère».
Le Mont-Liban du XVe siècle et plus précisément les communautés maronite et syriaque jacobite ont été présentées dans Lettres au Mont-Liban d’Ibn al-Qila’i (XVe siècle) titre de l’ouvrage de l’historienne Ray Jabre Mouawad paru aux éditions Paul Geuthner. Adressées aux habitants du Mont-Liban et à ses chefs, ces deux lettres sont, pour la première fois, éditées...