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Actualités - ANALYSES

Bkerké souhaite passer la main à la Rencontre de Kornet Chehwane

Les chancelleries aussi bien que les cercles politiques locaux l’ont tout de suite remarqué : à l’issue de la dernière assemblée des évêques maronites, pas de commentaires politiques et encore moins de manifeste retentissant. Le communiqué de clôture s’est contenté de traiter le dossier socio-économique. Et d’appeler à la raison lucide comme à la souplesse pour épargner au pays d’éventuelles retombées néfastes de la guerre d’Afghanistan. Cette attitude de réserve fait pendant aux propos nettement souverainistes développés dernièrement par le patriarche Sfeir lors de sa tournée paroissiale dans la lointaine Amérique. C’est comme s’il y avait là une coutume médiatique inversée. Dans ce sens qu’en général, un discours politique destiné à la consommation locale se teinte volontiers de prises de position en flèche ou même démagogiques, alors que les déclarations extérieures sont plus mesurées. Mais le cardinal n’est pas, et n’a jamais voulu être, un homme politique et encore moins un politicien dans le sens dépréciatif du terme. Contraint et forcé de défendre les droits nationaux, il souhaiterait voir la société civile assumer plus activement un rôle politique. Et il attendrait dès lors que la Rencontre de Kornet Chehwane prenne le relais de façon plus marquée, lui-même gardant un statut de mentor éclairé. C’est du moins ce qu’estiment aussi bien des sources ecclésiastiques que des diplomates en poste à Beyrouth. Mais quelle voie la Rencontre devrait-elle emprunter ? Pour certains observateurs, dont on devine sans peine les sympathies, «il faut que les professionnels de l’Est prennent exemple sur le patriarche qui entretient avec le régime des rapports de confiance». Mais pour d’autres, dont on comprendra aussi facilement les allergies, c’est tout le contraire. Car, disent-ils, «le pouvoir vide le dialogue de son contenu quand il refuse de discuter de la présence militaire syrienne ou du déploiement de l’armée au Sud». Cependant, dans les deux cas de figure, une seule et même certitude : Bkerké favorise aujourd’hui plus que jamais le modérantisme. Que la Rencontre veuille s’écarter ou se rapprocher de Baabda a moins d’importance, en l’état actuel des choses, que la nécessité de ne pas provoquer de fortes tensions. Cette tendance même favorise en fin de compte les contacts entre opposants de l’Est et loyalistes. Ainsi l’on n’exclut pas, dans les deux camps, que la Rencontre dépêche sous peu auprès du chef de l’État une délégation qui, cette fois, ne serait pas uniquement composée de parlementaires. Si un tel rendez-vous devait être confirmé, «il pourrait constituer, relève un diplomate, une passation de témoin entre Bkerké et Kornet Chehwane. Il serait d’ailleurs temps, car le fait que le patriarche soit le vrai leader politique du camp chrétien commence sans doute à lui peser, dans la mesure même où un tel casting, peu ordinaire, handicape l’Est». Seulement, la question qui vient immédiatement à l’esprit comme aux lèvres est simple : Kornet Chehwane fait-elle le poids ? Cette Rencontre manque naturellement du charisme qu’un homme seul peut avoir. Formée certes de figures de proue respectées, elle manque d’envergure parce qu’elle est en même temps trop nombreuse pour un phalanstère et pas assez pour un parti. Sans compter qu’en bons démocrates, ses membres se targuent de développer des opinions divergentes aussi bien sur le plan tactique que par rapport aux priorités majeures. Sous la houlette de Bkerké, ils arrivent sans doute à harmoniser leurs positions respectives au coup par coup. Mais souffrent, dans le même temps, d’un déficit de régularité et de cohérence. Cependant, beaucoup de pôles simplificateurs affirment que «tout compte fait, il ne s’agit pas de voir Kornet Chehwane se substituer à Bkerké». «Il y aurait, disent-ils, une délimitation des responsabilités : le patriarche garderait sa stature, et sa statue, de commandeur en premier ou en dernier. Et la Rencontre assumerait le pilotage du navire au jour le jour, comme un officier de quart sur le pont». En somme, ce serait un peu le Législatif et l’Exécutif. Sauf que l’ajustement tendant à consacrer la dimension nationale de Bkerké, en laissant la représentation spécifique de l’Est à la Rencontre, ne peut avoir aucun sens, de toute évidence, si le patriarcat ne reste pas l’âme même du peuple chrétien. Il reste qu’au Levant, et plus particulièrement dans ce pays composite, toutes les formes de compromis ont toujours une chance de réussir. Il n’est donc pas exclu que la Rencontre monte au créneau pour les escarmouches, Bkerké restant ordinairement en retrait comme réserve d’artillerie lourde. Un exemple concret entre mille : si le président Bachar el-Assad devait effectuer une visite au Liban, il est peu probable qu’on lui organise une rencontre avec la Rencontre plutôt qu’avec le patriarche. Plus exactement, il est douteux que la Rencontre recherche une telle audience si Bkerké estime qu’elle est inutile. C’est d’autant plus vrai que les différents courants du groupe se plaisent à souligner d’une même voix qu’ils tiennent tous à en référer toujours au patriarche en sa qualité de guide suprême. Voire d’arbitre, à son corps défendant du reste, «car il n’apprécie pas beaucoup les litiges de second ordre, les zizanies jalouses», indiquent certains connaisseurs. Qui ajoutent que Bkerké «souhaite certes passer la main. Mais à condition que la décision se retrouve vraiment en de bonnes mains. Ce qui signifie que la Rencontre devra évoluer, devenir plus solide. Elle en a d’autant plus besoin que des courants populaires, comme les aounistes, n’y sont pas directement représentés. Alors que des fractions plutôt faibles, et sans doute alourdissantes, comme les Kataëb classiques, tentent de la rejoindre à fond. Pour lui imprimer une orientation loyaliste, ce qui la déconnecterait presque à coup sûr de la rue et en ferait une coquille vide. Il y a donc du travail, du chemin à faire, pour que la Rencontre se transforme en véritable institution politique». En tout cas, sur le terrain, la Rencontre est loin d’avoir l’influence des durs et purs du groupe aouniste ou des FL authentiques. Tous les remous des derniers mois le prouvent. Il n’est donc pas étonnant d’entendre le ministre Georges Frem attirer avec insistance l’attention sur la nécessité de prendre en compte la jeunesse, notamment universitaire. De l’écouter, de dialoguer avec elle, de la faire participer aux décisions, pour combler le fossé qui la sépare de l’État. Le ministre Jean-Louis Cardahi déplore de son côté que le pouvoir néglige les jeunes. Il annonce qu’il va déployer une initiative en direction de la rue chrétienne et plus particulièrement des universitaires. Pour tout dire, et sans vouloir désobliger des ministres de bonne volonté, il est clair que l’aile lucide du pouvoir veut tenter une opération de récupération accélérée du côté de l’Est, les jeunes en premier.
Les chancelleries aussi bien que les cercles politiques locaux l’ont tout de suite remarqué : à l’issue de la dernière assemblée des évêques maronites, pas de commentaires politiques et encore moins de manifeste retentissant. Le communiqué de clôture s’est contenté de traiter le dossier socio-économique. Et d’appeler à la raison lucide comme à la souplesse pour...