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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

Conférence - Marwan Hamadé hôte à Paris du Comité de solidarité fanco-libanais - Le Liban, la France et le nouvel ordre international

À l’invitation du Comité de solidarité franco-libanais et devant un parterre de personnalités françaises et libanaises, au premier rang desquelles se trouvait l’ambassadeur du Liban, M. Elysé Alam, le ministre Marwan Hamadé a fait cette semaine à Paris un long exposé sur le thème : «Le Liban, la France et le nouvel ordre international» dans lequel il a notamment évoqué les fondements, les dérapages et les espoirs de l’expérience libanaise. M. Hamadé, qui est rentré de voyage et a repris ses activités au ministère des Déplacés, souligne en particulier la nécessité de faire évoluer l’accord de Taëf et met en garde contre une dérive policière au Liban. Nous reproduisons ci-après de larges extraits de cette conférence dense et passionnante (les intertitres sont de la rédaction) : «Chers amis, depuis des années – et pour des années que je souhaite encore longues –, le général de Chizelle et ses collègues du Comité de solidarité franco-libanais s’efforcent de démêler l’écheveau libanais, de mieux comprendre un pays dont les errements ont dérouté et déroutent encore ses amis, à l’avant-scène desquels la France n’a jamais cessé d’occuper la meilleure place. Je les ai vus à l’œuvre, dans les palais du gouvernement et les salles de rédaction, chez les chefs de guerre comme auprès des milieux académiques (…). «Pour l’exercice qu’il m’est demandé de vous faire ici, le Liban est en effet bien plus qu’un objet d’analyse politique. Il est tout à la fois la super star d’une expérience unique, celle d’un mariage d’amour et de raison, une sorte de fugue islamo-chrétienne et la victime chronique des turbulences que connaît ce ménage où la communauté d’intérêt national ne résiste pas toujours à la singularité des intérêts locaux ou personnels. Voici donc un pays dont le miracle est renouvelé au quotidien, un pays qui vit avec le danger et dont l’équilibre se balance sur le fil du rasoir, entre l’explosion et l’implosion (…). «Je m’efforcerai donc, ce soir, en parlant du Liban, de la France et du nouvel ordre international, d’éviter la langue de bois, même si je dois donner quelques coups de patte ou de griffe ci et là. Je m’efforcerai aussi d’actualiser le débat. Je dis bien débat car il est dans mon intention – comme je suppose dans la vôtre – de vous y engager et de susciter par les thèmes que je vais développer des questions et des commentaires qui donneront à cette soirée sa véritable valeur ajoutée. Trois pistes «Trois pistes nous y mèneront, puisque le thème “La France, le Liban dans le nouvel ordre mondial” nous invite à les emprunter avec, précisément, la France en copilote. Le Liban et son ordre national; le Liban et l’ordre régional; le Liban et l’ordre international (…). «D’abord, le Liban en tant que tel. Un instantané vous permet de saisir, sur fond de pacte national, des dérapages qui menacent de caducité les accords de Taëf. Basés sur une redistribution paritaire du pouvoir, ces accords, il faut le reconnaître, ont eu le mérite d’arrêter les combats et de recoller (je ne dis pas réunir) l’État. Mais ils ont aussi souvent servi d’alibi à des dérapages confessionnels vers de nouvelles hégémonies ou d’instrument à une mainmise sécuritaire au profit de tel ou tel service de renseignement local ou régional. Il est vrai que les difficiles conditions de la confrontation avec Israël, avec les moments forts de la Résistance nationale et islamique, la périlleuse cohabitation avec les camps de réfugiés palestiniens, les velléités de sédition intégriste dont le Liban-Nord, a eu la primeur un an avant le 11 septembre new-yorkais, ont pu justifier et justifient encore certaines précautions policières. Mais comment accepter, dans le même sillage, des arrestations arbitraires comme celles qui ont suivi la visite du patriarche Sfeir au Chouf cet été, comment tolérer les excès d’une écoute qui sert plus à alimenter les règlements de comptes politiques ou financiers qu’à régler leurs comptes aux fauteurs potentiels de troubles ou aux criminels de droit commun ? Comment ne pas dénoncer les ingérences injustifiées, les débordements du militaire sur le civil, l’assujettissement de l’administration et de la justice et l’infiltration dans l’économie ? (…). Démocratie en régression «Après avoir cloné deux Constitutions françaises, dont principalement celle de la IIIe République, nous vivons ainsi au Liban, depuis Taëf, les délices de plusieurs cohabitations pas toujours aisées. Au niveau de l’exécutif entre le président de la République, le Premier ministre et le Conseil des ministres en principe, en principe seulement, investi collectivement des prérogatives de décision et d’exécution, mais en réalité ballotté entre ses deux pôles d’attraction. Au niveau du Législatif entre le président de la Chambre et le Parlement, avec des limites mal définies où la représentation se confond souvent avec l’appropriation (…). «Il y a ainsi, entre l’esprit, la lettre et l’application de l’accord de Taëf, une succession de fossés et de tranchées qui font de la IIe République libanaise une démocratie bien plus pâle et en nette régression par rapport à celle héritée du mandat français. Pour les démocrates libanais, qu’ils soient plus ou moins associés au pouvoir ou plutôt confinés dans l’opposition, c’est là où le bât blesse : le rêve d’une évolution rapide vers une meilleure représentativité des minorités associées – que nous sommes tous nonobstant les statistiques démographiques très approximatives et très mouvantes – ce rêve s’est estompé, laissant la place à une frustration et à une crainte : la frustration d’expérimenter de curieuses lois électorales aux découpages encore plus curieux, ou celle encore de découvrir en leur gouvernement des ministres dont la seule légitimité est le bon vouloir du prince. La crainte, encore plus vivace celle-ci et que la diplomatie française partage avec nous, serait que le Liban dont la mission est d’exporter la démocratie vers son environnement ne subisse, au contraire, la contamination des dictatures qui l’entourent. «Et pourtant, malgré ces avatars et ces faux pas, que je dénonce d’autant plus allègrement que je fais partie du gouvernement de mon pays, le Liban vaut la peine d’être vécu. Il vaut la peine d’être compris. Il vaut la peine d’être défendu (…). «Il est donc essentiel, quand on parle du Liban à des amis du Liban, de rappeler que ce pays mène trois combats. Le premier, celui dont je viens de vous entretenir, il le livre à lui-même. Car l’indépendance que nous prônons se gagne d’abord dans l’esprit de chacun. C’est une indépendance qui, dans le monde d’aujourd’hui, ne peut se faire contre les autres mais bien avec les autres. Elle doit se faire, certes et d’abord, en refusant l’esprit de dépendance, de docilité, de soumission, de complaisance; mais elle peut aussi se faire en acceptant, par rapport au monde arabe et à la Syrie en particulier, de pousser la coopération, l’indépendance, l’alliance naturelle jusqu’aux limites, inviolables celles-là, de la souveraineté et du respect de soi. La France l’avait bien compris pour avoir aménagé, du temps du mandat des tribunaux mixtes, une union douanière et des arrangements militaires communs. «Idem pour la démocratie, basée dans un pays multiculturel sur la tolérance et le dialogue. Le pape Jean-Paul II, véritable apôtre du dialogue et de la symbiose face aux devins du choc des civilisations et autres prophètes des guerres de cultures ou de religions, l’a bien saisi, lui qui, dans son Exhortation apostolique pour le Liban, invite les Églises catholiques d’Orient à engager avec l’islam un dialogue constructif pour la reconnaissance réciproque pour discerner (je cite) d’abord et avant tout ce qui unit les Libanais en un seul peuple dans une même fraternité, “comme partenaires dans la construction du pays”. «Douze ans, presque jour pour jour, après Taëf, j’affirme toujours que l’on peut puiser dans les accords les ingrédients d’une nouvelle équation libanaise. À deux conditions bien sûr : les appliquer d’abord, ce qui n’est pas encore le cas pour de nombreuses dispositions. Et les faire évoluer ensuite de manière à ne pas se laisser enfermer dans le carcan d’un système rigide, nécessairement voué à craquer sous les aspirations d’une jeunesse impatiente et insécurisée ou à la faveur d’un nouveau cataclysme régional du type de ceux que le Moyen-Orient génère et affectionne. Realpolitik et chantage «Deuxième point de mon intervention ce soir : le Liban et la France dans le nouvel ordre régional, un ordre qui attend depuis plus de 50 ans pour s’installer, la réparation d’une injustice flagrante commise à l’encontre du peuple palestinien. «Notre pays est, en effet, directement et par ricochet, la principale victime du conflit arabo-israélien. De l’exode des Palestiniens en 1948 et en 1967, à l’occupation israélienne de 1978 à 2000, au matraquage permanent de nos régions et de nos infrastructures, à la déstabilisation intérieure, à l’exacerbation des sentiments, à la flambée des passions intégristes, la facture est énorme. Nous la payons tous les jours au niveau politique, économique et social et elle continue de compromettre nos efforts de redressement financier politique, économique et social. Le maintien de l’occupation des territoires, chez nous mais aussi et surtout maintenant en Syrie et en Palestine, prolonge l’instabilité, fournit des prétextes à tous les débordements et envenime les rapports entre l’Occident et le monde arabe. Le Liban n’y échappe pas, lui qui se trouve aujourd’hui pris dans la confusion, savamment entretenue par Israël, entre les notions de terrorisme et de résistance. Renier ses propres résistants, en l’occurrence le Hezbollah, pour seul péché d’intégrisme, serait plus qu’un déni de justice, une recette pour la déstabilisation du pays. Mais soyons tout aussi réalistes. Opposer sans explications une fin de non-recevoir à des États-Unis déchaînés depuis le 11 septembre ouvrirait la voie à des sanctions politiques ou économiques. Devant ce dilemme, le Liban a brandi tout à la fois son droit de résistance et son devoir d’antiterroriste, une attitude ambiguë pour certains, subtile pour d’autres, mais qui a trouvé, auprès de nos amis français, une compréhension, non point entachée de complaisance, mais teintée plutôt de réalisme. Car on réalise bien, à Paris, que ce n’est pas de Beyrouth seul que dépend la suite des évènements et que tant qu’à Washington et à Tel-Aviv, l’urgence du règlement juste et durable du conflit arabo-israélien ne se fait pas sentir, ou que des lobbies fort influents l’ignorent ou l’escamotent, les surprises les plus désagréables, les plus tragiques aussi nous pendent au nez. Il serait erroné, ici, de confondre realpolitik et chantage. Nos pays ne menacent pas les autres de terrorisme, ils en sont eux-mêmes menacés. Et ce n’est pas, croyez-moi, en bichonnant M. Sharon tout en affamant l’Irak, ce n’est pas en marginalisant l’Europe au seul profit des USA que l’on obtiendra l’application des résolutions des Nations unies pertinentes à la question palestinienne. «Il est vrai qu’au moment où nous nous entretenons, un nouvel effort de paix est déclenché par les États-Unis (…). «Mais soyons prudents : personnellement, je ne crois pas que le gouvernement de M. Sharon soit un gouvernement capable d’engager un dialogue pour la paix, et encore moins de la faire. Pas plus tard qu’hier, l’accueil réservé à la délégation européenne nous rappelait que le terrorisme se décèle aussi dans les mentalités et les comportements. «Dans ce contexte mouvant, trois axiomes régissent la politique libanaise : d’abord, le Liban ne désavouera pas ses résistants (…) ; ensuite le Liban ne se départira pas de son alliance naturelle avec la Syrie face à Israël; enfin le Liban poursuivra sa quête d’une solution globale et juste au Proche-Orient qui rendrait au peuple palestinien ses territoires et ses droits et allégerait notre pays de ses 400 000 réfugiés. «Voilà où se situe la véritable gageure pour la diplomatie française. Parce que doublement innocente des évènements tragiques qui sont à l’origine de l’imbroglio moyen-oriental (c’est-à-dire l’hécatombe subie par les juifs et la spoliation subie par les Palestiniens), la France se trouve en bonne place pour inspirer, voire guider l’Occident vers une approche équitable des solutions possibles (…). L’enfer de l’uniformité culturelle «Pour en revenir au Moyen-Orient dans son ensemble, permettez-moi deux affirmations : «D’abord que le Liban ne retrouvera sa pleine indépendance, sa totale quiétude, son entière prospérité, sa souveraineté la plus élargie que dans le cadre d’un règlement juste et durable qui donnerait aux Palestiniens l’État qui leur revient et au sein et à partir duquel ils pourraient assurer la sécurité d’Israël. Un État qui allégerait le Liban de son lot de réfugiés dont l’implantation est inacceptable pour nous car elle ferait craquer la structure nationale fondée sur de délicats équilibres communautaires. Ce règlement réglerait aussi d’autres questions en suspens dont celle de la présence des forces syriennes sur le sol libanais. «Deuxième affirmation : aucun ordre international ne s’établira, ne se généralisera et ne se consolidera sans un règlement au Proche-Orient. De la mer d’Oman à l’Atlantique, la Palestine demeure, en effet, le principal ferment d’un intégrisme nourri de frustrations et d’injustices. Pour un Liban qui refuse l’enfer de l’uniformité culturelle, pour un monde arabe qui cherche à se débarrasser des virus de l’autocratie héritée ou imposée, pour une Méditerranée en quête de points jetés entre ses rives, la paix est le véhicule nécessaire de cette nouvelle culture de paix et de tolérance. «Ce qui nous mène, nécessairement, au troisième et dernier volet de mon intervention. Comment promouvoir, à travers les grands courants de politique internationale, le nouveau rôle du Liban qui est une remarquable projection du monde de demain ? Comment imaginer une nouvelle mission de la France à la jonction de deux cultures et de plusieurs continents ? Deux solides piliers peuvent soutenir cette politique : l’Europe et la francophonie. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le Liban, parrainé par la France, va bientôt se raccrocher à l’Europe par le biais d’un accord de coopération. Ce n’est pas non plus une coïncidence fortuite si le Liban, toujours parrainé par la France est aussi solidement ancré dans la francophonie et s’il ambitionne d’en incarner les valeurs les plus précieuses (…). «Nous croyons fermement, je l’ai dit à Beyrouth, soutenu à Ryad et répété au Caire, à une sorte de partenariat absolument bienfaisant pour les deux cultures, les deux politiques, les deux économies en cela que face à la mondialisation aveuglément uniforme, la France et le monde arabe pourraient puiser dans ces valeurs francophones de quoi leur permettre d’aborder le IIIe millénaire dans un esprit d’ouverture et de modernité. À l’opposé, vous pourriez trouver dans l’espace arabophone la meilleure caisse de résonance à vos valeurs, comme à vos intérêts (…). «Le breuvage de la solidarité» «C’est alors que seule ou à travers l’Europe et avec le Liban comme tremplin ou relais, la France pourrait transcender les deux grandes cassures Nord-Sud et Est-Ouest de notre monde contemporain. Une politique peut et doit être faite de valeurs morales, d’intérêts nationaux, de sensibilité sociale et de comportements économiques (…). La France assume déjà un rôle modérateur de la mondialisation sauvage. Elle reste à l’écoute des tragédies économiques dans le tiers-monde, humanitaires en Afrique, politiques au Moyen-Orient. C’est ce rôle que Paris doit continuer d’assumer pour occuper un créneau dont l’importance ne dépend pas des seuls attributs de puissance économique ou militaire. Nous le percevons déjà lors de chaque vote à l’Onu, à l’occasion de chaque concertation internationale ou régionale, pour chaque remise ou annulation de dette de Gênes à Durban, à Doha et même aujourd’hui où se trouve posée, dans toute son acuité, la relation entre le monde arabo-islamique et l’Occident, c’est la raison française qui atténue ou dilue la raison du plus fort pour bien démontrer que le conflit entre le bien et le mal n’est pas entre les civilisations mais plutôt à l’intérieur de chaque civilisation (…). «Chers amis, la solidarité, puisque c’est d’elle dont il s’agit et que votre comité prône dans les deux sens, est ce dont le Liban a le plus besoin en ces temps incertains (…). «Déjà le monde arabe et le Liban distinguent-ils la France de ses partenaires de l’Europe, du G8 ou de l’Otan. Il y a à la base de ces rapports privilégiés des intérêts communs, des aspirations semblables, des sympathies forgées à travers des siècles de vicissitudes. Il y a, au carrefour de ces rapports, un pays, le Liban, qui doit à la France de s’être penchée comme une fée bénéfique sur le berceau de sa naissance. Et qui souhaite continuer de trouver auprès d’elle les soutiens nécessaires à sa cause; un peu comme la potion magique du druide Panoramix, il espère se procurer auprès de vous ce fameux breuvage de solidarité».
À l’invitation du Comité de solidarité franco-libanais et devant un parterre de personnalités françaises et libanaises, au premier rang desquelles se trouvait l’ambassadeur du Liban, M. Elysé Alam, le ministre Marwan Hamadé a fait cette semaine à Paris un long exposé sur le thème : «Le Liban, la France et le nouvel ordre international» dans lequel il a notamment...