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Actualités - CHRONOLOGIES

Reportage - L’armée resserre l’étau autour du camp palestinien - Dans Aïn el-Héloué, la méfiance est de mise

Soixante-dix mille personnes entassées dans moins de deux kilomètres carrés, c’est pire qu’une fourmilière, un espace réduit où la misère est multipliée par cent, les problèmes aussi. Le camp palestinien de Aïn el-Héloué n’est pas seulement l’un des plus importants du monde arabe, il est aussi le lieu où se retrouvent toutes les factions palestiniennes dans une cohabitation explosive, un îlot sécuritaire, où l’armée libanaise est interdite de séjour et qui n’en finit plus de payer pour ce statut, qui pourtant arrange toutes les parties. Une fois de plus, c’est vers Aïn el-Héloué que se tournent tous les regards. Depuis que l’organisation Esbet el-Ansar, implantée dans ce camp, a figuré sur l’une des listes du FBI américain, tout le monde se pose des questions sur l’avenir du camp et les agressions répétées à la grenade sur les barrages de l’armée libanaise n’ont rien arrangé. Plus que jamais, Aïn el-Héloué ressemble à un camp retranché, cerné par l’armée libanaise qui en a d’ailleurs carrément bloqué une des trois entrées et qui depuis hier a posté une dizaine de blindés du côté sud, comme une menace claire à l’encontre des réfugiés. L’entrée nord reste plus accessible, le barrage de l’armée filtrant à son gré les passants. Des agents israéliens… Une fois à l’intérieur, les éléments armés sont partout, moins discrets qu’à l’accoutumée et comme sur leurs gardes, prêts à toutes les éventualités. Pourtant, dans le camp de Aïn el-Héloué, personne ne tient un discours hostile à l’État libanais ou à l’armée. Les représentants des diverses factions palestiniennes, même opposées les unes aux autres, sont unanimes : «Le président Lahoud ne rate pas une occasion de défendre la cause palestinienne et le droit des réfugiés au retour. Son armée se tient aux côtés de la Résistance, pourquoi l’attaquerions-nous ? Nous n’avons jamais eu un régime aussi solidaire avec notre cause au Liban et vous voudriez que nous lui créions des problèmes ?». Il y a bien eu pourtant des agressions contre les barrages de l’armée, qui en sont les auteurs ? Selon Adnan Rifaï, membre du comité populaire du camp, toutes les factions du camp sont mobilisées pour identifier les coupables, mais chercher une personne dans un camp aussi surpeuplé n’est pas facile. Pour lui et pour ses compagnons du comité populaire, les auteurs des agressions ne peuvent être que des agents israéliens. Avec la terrible crise économique qui sévit à Aïn el-Héloué, il est facile d’acheter des jeunes désœuvrés, sans espoir et sans avenir. Tous les Palestiniens du camp le reconnaissent : la crise économique est actuellement intenable. D’une part, l’Unrwa a réduit sa contribution de plus de 60 % et, d’autre part, les fonds qui provenaient de la colonie arabe établie aux États-Unis se sont taris depuis le 11 septembre et avec 80 % de chômage au sein du camp et 90 métiers interdits aux Palestiniens, il est très difficile à ceux-ci de survivre et de subvenir à leurs besoins. Dans ces circonstances particulièrement pénibles, les responsables des factions affirment qu’il est impossible d’empêcher les infiltrations israéliennes. Or, selon eux, Israël est la seule partie qui a intérêt à provoquer un clash entre l’armée et le camp, ou en tout cas à déstabiliser la situation au Liban. Cela, disent-ils, fait partie des pressions exercées sur le Liban et la Syrie pour les pousser à se ranger totalement aux vues américaines. Vingt personnes ont été livrées aux autorités Abed Maqdah, lui aussi membre du comité populaire du camp, se veut conciliant. «Si l’armée libanaise est agressée, elle doit naturellement se défendre. Nous comprenons parfaitement les mesures qu’elle a prises à l’entrée du camp, mais il faut aussi qu’elle comprenne que nous ne lui voulons aucun mal. Au contraire, nous sommes à ses côtés contre Israël. Il ne faut absolument pas laisser ce dernier réussir à nous diviser». Dans ce cas, pourquoi le camp est-il devenu le refuge de tous les repris de justice ? Réponse : «C’est vrai que ceux qui volent une voiture ou commettent un délit quelconque ont tendance à se réfugier au camp, mais nous essayons de les arrêter. D’ailleurs, au cours des derniers mois, nous avons livré une vingtaine de personnes aux autorités libanaises et nous sommes prêts à coopérer avec elles à condition qu’elles nous disent ce qu’elles veulent». Pourquoi ne livrent-ils pas Abou Mahjane et ses compagnons ? Évoquer l’émir de Esbet el-Ansar dérange les Palestiniens, qui craignent que leur camp ne soit assimilé à cette organisation marginale. En effet, créée dans les années 80, alors que toutes les autres organisations ont un long passé résistant, Esbet el-Ansar ne s’est jamais illustrée dans une action contre Israël ou même en dehors du territoire libanais. Les rares opérations qui lui sont imputées se limitent à l’assassinat de l’ancien chef des Ahbaches, Nizar Halabi, à des agressions contre des débits de boissons et à la participation à la mutinerie de Denniyé. D’ailleurs, Esbet el-Ansar ne regroupe pas plus d’une centaine de membres, cantonnés dans une ruelle du camp et actuellement partagés entre le frère d’Abou Mahjane, Abou Tarek Saadi, et le fils, Abdallah, du fondateur du mouvement, Hicham Chreydi. Abou Mahjane l’introuvable Pour Mounir Maqdah, une des cibles favorites d’Israël pour son militantisme résistant jamais affaibli et particulièrement versé dans le fondamentalisme musulman, Esbet el-Ansar n’a rien à voir avec les islamistes wahhabites salafites dans la lignée d’Oussama Ben Laden : leur intégrisme aussi bien que leurs moyens et leur vision politique sont très limités. C’est l’État libanais qui a pris conscience de leur existence au hasard des enquêtes judiciaires, mais cette organisation n’a aucune ramification dans le monde musulman. C’est pourquoi sa désignation sur la liste du FBI est étonnante et ne vise qu’à exercer des pressions sur le Liban et les Palestiniens. En tout cas, selon ces derniers, Abou Mahjane aurait quitté Aïn el-Héloué depuis longtemps. Pour aller où ? Nul ne veut le dire, mais si son organisation est si limitée, où pourrait-il aller ? Là aussi, le silence est total, le camp couvre bien les siens, préférant opposer à toutes les questions l’idée du complot américano-israélien visant à exercer des pressions sur le Liban et la Syrie. Pour eux, tout s’inscrit dans ce cadre et la bataille actuelle est celle des réfugiés palestiniens dont ni Powell ni Sharon ne veulent entendre parler. Mounir Maqdah, dont la tête vient d’être mise à prix par Sharon, qui l’accuse d’avoir envoyé le groupe de 15 fedayine arrêtés au camp de Jalzoun (Cisjordanie), annonce que la bataille sera encore plus rude que les précédentes, mais si l’intifada tient encore six mois, la situation pourrait évoluer dans le bon sens. En attendant, c’est avec les autorités libanaises que les problèmes doivent être réglés. Les Palestiniens de Aïn el-Héloué tiennent à les minimiser. Ils veulent créer un comité sécuritaire regroupant toutes les factions palestiniennes, chargé de surveiller la situation sur le terrain et de coordonner avec les autorités libanaises. Toutefois depuis une semaine, les Palestiniens n’arrivent pas à s’entendre sur la composition du comité. Ce sont surtout le Fateh et Esbet el-Ansar qui créent des problèmes, exigeant un plus grand nombre de représentants au sein du comité, et tous les efforts déployés pour aplanir ces difficultés n’ont pas encore abouti. Il est pourtant urgent de parvenir à un accord, tant la situation est délicate. Sans compter que les débordements peuvent entraîner une véritable catastrophe. Les Palestiniens du camp ont beau affirmer que si l’armée veut entrer à Aïn el-Héloué, les différentes factions ne s’y opposeront pas, la population est sur les dents et la méfiance est de mise. Le mois du jeûne, cette année, semble loin d’apporter la sérénité à laquelle aspire Aïn el-Héloué…
Soixante-dix mille personnes entassées dans moins de deux kilomètres carrés, c’est pire qu’une fourmilière, un espace réduit où la misère est multipliée par cent, les problèmes aussi. Le camp palestinien de Aïn el-Héloué n’est pas seulement l’un des plus importants du monde arabe, il est aussi le lieu où se retrouvent toutes les factions palestiniennes dans une...