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Parlement 2009 - OPINIONS

Comment étudier l’histoire du monde arabe

Nous considérerons comme relevant de l’histoire du monde arabe l’étude de tous les aspects des civilisations orientales qui ont trouvé dans la langue arabe leur moyen d’expression le plus habituel : j’entends par «arabe» l’arabe du Nord, laissant de côté la langue de l’Arabie du Sud qui relève du sémitique méridional et se range de ce fait en dehors de notre cadre. Le domaine ainsi défini non seulement ne répond pas à la situation linguistique actuelle du monde musulman, mais encore se présente comme essentiellement variable en intérêt et en étendue selon les temps et les lieux, selon les conditions que le milieu historique offrait à la diffusion de l’arabe et à son emploi comme langue de civilisation. Durant les siècles qui ont précédé l’avènement de l’islam, alors qu’il reste encore confiné à la péninsule arabique, l’arabe cède le pas aux grandes langues de culture des pays avoisinants (grec, araméen et pehlevi) et ne joue aucun rôle actif dans le monde : en dehors du terre à terre de la vie des chameliers, c’est tout juste s’il sert de véhicule à une poésie dont l’historien a d’autant moins à apprendre que le critique moderne lui fait un devoir de s’en méfier. Ce n’est point dans leur propre idiome, mais en grec ou en araméen, que les plus évolués des Arabes de cette époque rédigent leurs inscriptions, à quelques exceptions près qui n’ont rien de brillant : laconiques dédicaces d’églises ou graffiti de bergers. Mais avec la conquête musulmane, l’arabe subitement s’élève à la dignité de langue officielle d’un bout à l’autre du domaine de l’islam, qui se confond alors avec le domaine soumis par les Arabes. Tant que subsistera, de l’Asie centrale à l’Atlantique, l’empire unitaire des califes omeyyades et abbassides, il n’aura point d’autre langue de culture que celle de la révélation divine et des classes dirigeantes, en face de laquelle les parlers des peuples soumis font figure de simples patois. Le fait est bien connu, mais je ne crois pas inutile de le rappeler, car si l’on insiste volontiers sur l’origine étrangère des intellectuels qui ont fait la gloire de Bagdad au IXe et au Xe siècle, on oublie généralement de remarquer en retour que tous, sans exception, écrivent en arabe, qu’aucun d’eux n’a pensé à recourir à sa langue maternelle. La civilisation qui se forme alors est, par excellence, une civilisation de langue arabe, qui constituera dans l’avenir le fonds commun à tous les autres aspects de la civilisation islamique et le répertoire de formules où puiseront tous les autres peuples musulmans. À partir du XIIe siècle, partout ce sont des peuples nouveaux qui tiennent en main les destinées politiques de l’islam, mais le langage des Arabes qu’ils ont évincés n’en maintient pas moins ses positions d’une manière remarquable, non seulement en Occident, où le berbère s’avère incapable de servir de langue écrite, mais même en Orient, où les Persans et les Turcs font pourtant de leurs idiomes nationaux les langues officielles des États qu’ils ont créés. Ni les uns ni les autres ne peuvent se passer de l’arabe qui reste la base de toute culture religieuse et par conséquent de toute culture intellectuelle, le moyen d’expression normal de toutes les idées abstraites et la source de tout vocabulaire technique, par l’effet de l’intense activité scientifique de la période précédente et aussi d’une longue tradition administrative. Même dans ce nouvel état de choses, il ne manquera pas de savants persans et turcs – des juristes surtout – qui préféreront l’arabe pour présenter les résultats de leurs travaux (as-Samarqandi, Tachköprüzadè, Kemal-pacha-zadè). Il est même très significatif que l’un des meilleurs dictionnaires arabes du Moyen Âge, le Qamous, qui est, pour le grand dommage de nos étudiants, à la base de nos lexiques usuels, soit l’œuvre d’un Persan de Chiraz, al-Firouzabadi, et que ce soit un Turc de Stamboul, Hadji-Khalfa, qui ait rédigé, à l’aide des ressources alors inégalées que lui offraient les bibliothèques de la capitale ottomane, ce répertoire bibliographique méthodique de la littérature arabe dont aucun islamisant ne peut se passer.
Nous considérerons comme relevant de l’histoire du monde arabe l’étude de tous les aspects des civilisations orientales qui ont trouvé dans la langue arabe leur moyen d’expression le plus habituel : j’entends par «arabe» l’arabe du Nord, laissant de côté la langue de l’Arabie du Sud qui relève du...