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Parlement 2009 - OPINIONS

HISTOIRE - Quand les intérêts économiques et politiques rejoignent la curiosité scientifique - Les anglo-saxons et l’Orient : une relation tardive, mais dont l’essor fut rapide -

L’intérêt porté par les anglo-saxons aux mers chaudes est relativement récent. Échaudés par l’amère expérience des Croisades et leur expulsion définitive du Proche-Orient à la fin du XIIIe siècle, les Européens rentrèrent dans leurs pays respectifs, ne gardant des lumières de l’Orient que quelques fragiles éclats. Si les Français et les Italiens firent perdurer et fructifier le dialogue culturel entamé en Orient, les Anglais, eux, se recroquevillèrent dans leur froide insularité. Il est vrai que le comportement de Richard Cœur de Lion au cours de la troisième Croisade n’était pas des plus édifiants. Ne respectant aucun des engagements chevaleresques pris par Philippe Auguste vis-à-vis de Saladin, il se conduisit comme un homme sans foi ni loi. On aurait pu penser que sa participation aux Croisades n’était qu’une corvée imposée et qu’il voulait s’en débarrasser au plus vite et à tout prix. Sa présence, malgré lui, dans ces contrées lointaines et hostiles n’était qu’une vague et indésirable formalité. Il ne porta aucun intérêt à la culture et aux populations de ces régions. Du XIIIe au XVIe siècle, les Anglais avaient fort à faire avec leurs problèmes internes : de la Guerre de cent ans aux conflits avec l’Écosse, l’Irlande et le pays de Galles. Ils ne s’éveillèrent de nouveau au monde qu’après la découverte de l’Amérique. Ils entreprirent alors des guerres de conquête qui les ramenèrent obligatoirement en Orient à la recherche de la route des Indes et pour la contrôler. Pris par des préoccupations purement économiques et par conséquent militaires, ils s’intéressèrent de nouveau à l’Orient, mais uniquement dans le but de contrôler des régions dont la richesse fabuleuse promettait à ceux qui pourraient en profiter un brillant avenir. La mission du fameux Lawrence partait de ce principe ; irrités par les réticences des combattants musulmans des Indes et du Pakistan impliqués dans la Première Guerre mondiale et qui ne se résignaient pas à prendre les armes contre «le Prince des Croyants» ottoman, les Anglais confièrent à Lawrence le soin de rechercher en Arabie même un substitut au sultan en la personne d’un descendant du Prophète, de la famille hachémite, qu’ils instituèrent «Prince des Croyants», arabe cette fois-ci, et qui avait un autre poids que l’Ottoman ainsi que l’avantage d’appartenir à la «meilleure nation que Dieu ait fait surgir sur terre pour l’humanité». En comparaison, Louis Massignon, contemporain de Lawrence, et qui est considéré comme un des plus grands savants orientalistes, faisait figure de tâcheron. L’orientalisme en Angleterre Comme dans tous les pays européens, mais beaucoup plus tardivement –nous l’avons vu – l’orientalisme au Royaume-Uni débuta par l’enseignement, dans les couvents, des langues sémitiques, dans le but d’une meilleure compréhension de la Bible. Rapidement, cet enseignement devint plus académique et on assista à la fondation des chaires d’enseignement dans les principales universités. La première de ces chaires fut attribuée à sir Thomas Adams de l’université de Cambridge en 1633, puis Abraham Wheelock (1593 – 1653) la prit en charge. Edward Pococke (1601 – 1691) occupa la chaire des études sémitiques à Oxford en 1636. Au début du XVIIIe siècle, une chaire de langue arabe fut instaurée dans chacune de ces deux universités. Ce n’est qu’aux XIXe et XXe siècles que les autres universités suivirent le mouvement, à Édimbourg, Londres, Durham, Saint Andrews, Glascow, Manchester, Leeds et Liverpool. Grâce à l’expansion territoriale de l’Empire britannique dans les pays arabes et musulmans d’Asie et d’Afrique ainsi qu’en Amérique du Nord et en Australie, l’enseignement des langues sémitiques se généralisa. Plusieurs instituts et écoles d’enseignement des civilisations orientales furent fondés, non seulement dans les îles britanniques mais aussi dans toutes les colonies et plus tard dans tous les pays membres du Commonwealth. Ce mouvement s’accompagna de la création d’associations scientifiques qui prirent soin de rechercher les vieux manuscrits, de les étudier et de les publier. En effet, chaque association avait ses propres chercheurs et ses propres publications à commencer par la fameuse «Société asiatique», fondée à Calcutta en 1784 par Sir William Jones (1746 – 1795) et qui devint l’exemple à suivre par toutes les autres, telles que la «Société littéraire asiatique» de Bombay (1804), la «Société royale asiatique pour la Grande-Bretagne et l’Irlande» à Londres (1823), la «Société asiatique» à Madras et la «Société des Indes orientales» à Londres (1866). Enfin, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Sir William Jones, une association d’orientalistes britanniques fut créée pour organiser leurs travaux et assurer des liaisons permanentes avec toutes les autres sociétés disséminées à travers le monde. Les sujets traités par l’orientalisme britannique relèvent tous de l’étude des langues, de l’histoire, des religions, de la littérature, de la science et de la société des peuples de l’Orient. Un intérêt spécial est porté à l’étude de l’environnement et de l’écologie des peuples et des ethnies qui faisaient partie de l’Empire britannique avec une mention particulière pour la politique. Sachant que le nombre d’agents politiques dans l’orientalisme anglais dépasse de loin leur nombre chez tous les autres orientalismes. L’orientalisme aux États-Unis L’orientalisme aux États-Unis est relativement récent ; il ne se développa qu’au XXe siècle, bien que certains savants américains, à titre individuel, aient étudié l’arabe et d’autres langues sémitiques et publié quelques recherches relatives à ces cultures, et ce depuis le début du XIXe siècle. Mais cela resta très restreint et intermittent. Ces études n’avaient pour but que d’étendre le protestantisme au Proche-Orient. Les Américains fondèrent donc l’imprimerie arabe à Malte puis la transférèrent à Beyrouth en 1834, ils fondèrent aussi au Liban et en Égypte des écoles qu’ils confièrent à leurs missionnaires en vue de faire traduire la Bible en arabe. Ils créèrent dans le même but la «Société asiatique à Boston» en 1834. Mais parler de science orientalistique aux États-Unis ne serait exact qu’à partir du XXe siècle. En effet, ce siècle a vu apparaître les grandes missions archéologiques et historiques qui essaimèrent au Proche-Orient. Elles y entreprirent des fouilles en Égypte, en Irak, au Liban, en Palestine et en Syrie. Beaucoup de jeunes s’intéressèrent alors aux anciennes civilisations et des chaires d’enseignement fleurirent dans un grand nombre d’universités, surtout après l’entrée des États-Unis dans le concert des nations dès la fin de la Première Guerre mondiale. Les intérêts économiques et commerciaux de l’Amérique y étant pour beaucoup, des dizaines d’universités commencèrent à enseigner l’arabe et les autres civilisations sémitiques. Les universités américaines qui s’illustrèrent dans ce domaine sont : • Boston, la plus ancienne, qui débuta son enseignement en 1870. • Columbia (New York) qui organisa l’étude des civilisations orientales dans 18 instituts et universités en 1955. • Chicago qui se spécialisa dans l’égyptologie. • Harvard qui s’occupa de l’histoire des peuples sémitiques et de leurs langues. • Princeton, la plus importante dans le domaine des études arabes et musulmanes. • Yale (New Haven) qui s’occupa d’études babyloniennes, égyptiennes et africaines. • La Californie, pour les études slaves et asiatiques à côté de l’islamologie. • Michigan dont l’intérêt se porta sur l’art musulman et les beaux-arts en général. • John Hopkins (Baltimore) pour l’archéologie orientale. • Georgetown avec son institut spécialisé dans les dialectes arabes. • Stanford et son institut de recherches orientales, et enfin le Wisconsin et le Kansas. Ajoutons à cela les différents instituts et centres de recherches à Washington et San Francisco. Nous terminerons par les deux universités américaines du Caire et de Beyrouth qui groupent en leur sein d’importantes bibliothèques, des musées et des centres de recherches et d’édition. À côté de l’enseignement dispensé sur place, certaines de ces universités mandatèrent des missions archéologiques en Orient dont les recherches furent publiées dans de vénérables revues qui constituent aujourd’hui des références incontournables pour tout chercheur. Citons, pour mémoire, les missions de Princeton en Syrie (1899 – 1900), en Éthiopie (1910 – 1915) et au Liban avant la guerre, celles de Chicago en Irak (1930), en Palestine, en Iran, en Turquie et en Égypte (1960) et enfin la mission de Yale à Doura-Europos dont les résultats furent publiés entre 1935 et 1947.
L’intérêt porté par les anglo-saxons aux mers chaudes est relativement récent. Échaudés par l’amère expérience des Croisades et leur expulsion définitive du Proche-Orient à la fin du XIIIe siècle, les Européens rentrèrent dans leurs pays respectifs, ne gardant des lumières de...