Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

REPORTAGE - La récolte a été bonne cette année - Les cultivateurs de haschisch n’ont pas eu à se battre pour défendre leur gagne-pain

Les cultivateurs de haschisch ont rangé leurs fusils et leurs mitraillettes. Après les menaces musclées du gouvernement au début de l’été, ils avaient un moment craint le pire, sans aller toutefois jusqu’à détruire leurs cultures. Mais, peut-être à cause des événements internationaux, la récolte s’est déroulée dans le calme le plus complet, presque dans l’indifférence générale. Et comble du bonheur, les États-Unis viennent de rayer le Liban et la Syrie de la liste des pays producteurs de drogue. Oum Hicham rêve à haute voix tout en balayant le sol en terre battue de sa maison. «Puisque la saison a été bonne, nous allons pouvoir changer la voiture et acheter une machine à laver. Et même, nous pourrons peut-être mettre un carrelage dans la cuisine». Une scène banale à la veille du début du stockage des moissons chez une famille d’agriculteurs. Sauf que là il s’agit de la culture du haschisch, dans un trou perdu du Hermel et malgré les menaces du gouvernement libanais, les paysans ont tenu à mener la récolte jusqu’au bout, tant ils ont besoin d’argent pour survivre. Surtout après des années sans ressources. Le coin est paradisiaque, comme tout droit sorti d’un rêve au détour des montagnes arides et pelées de l’Anti-Liban. Le chemin n’est connu que des rares agriculteurs ayant un lopin de terre dans le coin et, pour y accéder, il faut montrer patte blanche, c’est-à-dire «avoir un parrain» puissant. Car, dans le cercle très fermé des cultivateurs de haschisch du Hermel, qui appartiennent tous à des clans familiaux, on n’aime pas les étrangers, ni les membres des clans rivaux. Ici, les journalistes sont repérés dès qu’ils arrivent à la bourgade de Hermel, mais ils ne sont découragés de poursuivre leur chemin que lorsqu’ils sortent des sentiers battus en direction du jurd. Là, ils se font rapidement intercepter, les curieux n’ayant pas leur place dans ce milieu austère, où l’on se bat à la fois contre la nature, l’État et les autres clans pour assurer son gagne-pain. Pourtant, à voir cette plaine encastrée dans les montagnes, si paisible avec son petit lac entouré de peupliers dont les feuilles craquent doucement au gré de la brise, on pourrait croire qu’il s’agit d’une oasis de sérénité. Elle l’est en fait, tant qu’on la laisse en paix. Aucune autre plante ne peut survivre... Dans ce coin perdu, on cultive près de 70 dunums, produisant environ 2 tonnes de haschisch, cette plante verte d’apparence si inoffensive. Les propriétaires des terrains appartiennent tous au même clan et ils se partagent les eaux du petit lac pour l’irrigation. Selon Abou Hicham, un des chefs du clan, c’est sous le mandat français que la culture du haschisch a été introduite dans cette région et depuis que ses grands-parents ont commencé cette activité, elle ne s’est plus arrêtée, transmise de génération en génération et jugée suffisamment rentable pour assurer la survie des habitants. «Aucune autre plante ne peut survivre aux nuits froides de la région, précise un jeune cultivateur. Dès le mois d’août, la rosée se dépose la nuit sur les plants et le soleil très chaud de la journée les brûle. Seule la haschisché ne craint pas les morsures du soleil, après la fraîcheur de la nuit». Lorsqu’en 1992, l’État en accord avec les Syriens, et à la demande de la communauté internationale, a détruit tous les plants, les habitants ont tenté d’autres cultures : les haricots verts et les fèves notamment. En vain. Le climat est trop rude, une chaleur insoutenable le jour et des nuits très fraîches à partir du mois d’août, ainsi qu’une épaisse couche de neige pendant les longs mois d’hiver. De 1992 à 2001, les habitants ont tout essayé, sans succès, vivant sur leurs économies. Mais au printemps 2001, ils ont décidé de réagir. Ils ne pouvaient plus rester sans ressources d’autant que les promesses d’aides de la part du gouvernement, notamment l’élaboration d’un plan de culture de rechange, se sont avérées mensongères. Les chefs des divers clans se sont consultés et ont commencé à songer sérieusement à reprendre la culture du haschisch. Les mieux introduits d’entre eux ont lancé l’idée devant des interlocuteurs influents bien implantés dans la région. En effet, ils avaient pris l’habitude de tâter auprès d’eux le terrain chaque année avant de commencer à planter, et lorsque ceux-ci leur conseillaient de ne rien entreprendre, ils s’abstenaient. Ce printemps donc, ils n’ont rien dit, laissant entendre que si le haschisch est planté, la récolte ne sera pas détruite. Les chefs de clans (une centaine de personnes) ont alors pris leur décision, choisissant de rattraper en une saison toutes les années perdues, et c’est ainsi que le haschisch a été planté massivement dans chaque coin de terre cultivable au Hermel, mais aussi dans la Békaa et au Akkar. Au total, une production estimée à 20 tonnes. Planté en avril, le haschisch est récolté à partir de la mi-septembre, et les agriculteurs se sont empressés de faire leur cueillette dans la plus grande discrétion, par crainte des menaces du gouvernement libanais, proférées au début de l’été. Chez les cultivateurs du Hermel, nul ne se sent coupable de vivre d’une culture qui nuit aux autres. Le haschisch est jugé inoffensif, «en tout cas bien moins nuisible que la cigarette ou l’alcool. Cela n’a rien à voir avec le pavot qui devient de l’héroïne, une des drogues les plus dures». Un kilogramme de haschisch vaut entre 500 et 1000 dollars, selon la qualité (il y en a quatre), alors que le kilogramme d’héroïne vaut 10 000 dollars et celui de cocaïne va chercher dans les 50 000 dollars. Le haschisch libanais, récolté, séché et traité, est essentiellement vendu en Jordanie et en Égypte, et de là-bas, il est envoyé en Europe ou consommé localement. Toutes les familles sont d’ailleurs mobilisées pour la cueillette. Dès que les rayons du soleil commencent à réchauffer le sol humide, jeunes et vieux, femmes et ouvriers agricoles embauchés pour la saison, partent à la recherche des pousses femelles, coupées avec des faucilles. Le travail se poursuit jusqu’au coucher du soleil, entrecoupé de rares pauses pour casser la croûte et boire un café ou un thé selon les goûts. La grande solidarité des cultivateurs apparaît alors, ceux qui ne disposent pas de bras suffisants, sollicitant l’aide de leurs voisins et nul ne cherche à détruire la récolte de l’autre, le marché étant assez vaste pour toute la production. Tout le monde est mis à contribution Coupés à l’aide de faucilles, les plants sont mis à sécher au soleil pendant dix jours. Ils sont ensuite transportés dans des chambres obscures bâties à cet effet pour une seconde période de dix jours. De petites graines noires apparaissent ainsi et sont passées à plusieurs reprises au tamis. Une opération qui se prolonge pendant une semaine pour chaque chambre et qui se fait à l’aide d’une machine électrique inventée à Deir el-Ahmar, ce dont les cultivateurs sont d’ailleurs assez fiers. En tout cas, ce qui est sûr c’est qu’ils n’ont nullement honte de leurs activités. Pour eux, c’est un travail comme un autre et s’il ne les occupe que près de sept mois par an, il est aussi très fatigant et nécessite beaucoup d’efforts, car contrairement aux idées reçues, le plant de haschisch doit être arrosé fréquemment. C’est de l’attention qui lui est portée que dépendra sa qualité au moment du traitement. Et le soir venu, lorsque le vent se fait froid et que, dans ce coin perdu, les habitants se sentent abandonnés de tous, rien ne vaut un petit joint pour détendre l’atmosphère et réchauffer les cœurs... La conscience tranquille, ils sont satisfaits du fait que le gouvernement n’ait pas mis ses menaces à exécution. Les armes avaient d’ailleurs été huilées, même si les habitants préféraient ne pas avoir à les utiliser. Ils sont essentiellement pacifiques, même si chaque cabane, chaque maison est truffée d’armes. C’est qu’ils sont prêts à tout pour défendre leur gagne-pain. À leurs yeux, leur activité est loin d’être aussi grave que la fabrication d’armes ou le traitement de l’héroïne, et ils ont bien le droit de vivre, disent-ils, même s’ils sont originaires d’un coin oublié du monde, le Hermel.
Les cultivateurs de haschisch ont rangé leurs fusils et leurs mitraillettes. Après les menaces musclées du gouvernement au début de l’été, ils avaient un moment craint le pire, sans aller toutefois jusqu’à détruire leurs cultures. Mais, peut-être à cause des événements internationaux, la récolte s’est déroulée dans le calme le plus complet, presque dans...