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Actualités - BOOK REVIEWS

Tribune - Itinéraire intérieur d’un prisonnier -

Dans Feuillets du cahier d’un prisonnier, l’écrivain journaliste May Menassa, dans un style ciselé et rodé à la finesse de l’analyse des œuvres d’art, invite cette fois-ci le lecteur à suivre l’itinéraire intérieur d’un prisonnier et son double dans un monde carcéral, en plein désert et sans nom. En réalité, l’auteur, à partir d’une prison institutionnalisée par le système social, ne manque pas d’ouvrir cette prison sur l’étendue de tout un pays, toute une société, toute une région, voire toute la condition humaine. La souffrance d’une liberté aliénée par les hommes et ressentie corps et âme n’est-elle point celle ressentie par le mystique, pour qui le corps devient une prison de l’âme ? À travers les barrières de la prison, Marwan, homme de lettres et poète, épris de liberté, idéaliste et patriote, est condamné à vivre la double expérience de la pure subjectivité du Moi, et l’effondrement du corps dans un environnement physique irrespirable. Soumis à la dépersonnalisation par un geôlier sadique, forcé de composer avec une personnalité autoritaire assoiffée de vengeance, intégré, dans les murs de sa petite cellule dans la posture de l’embryon au sein du ventre maternel, va-t-il céder au désespoir, se réfugier dans la folie dans cette atmosphère kafkaïenne absurde et infernale, ou prendre la troisième voie, celle adoptée par un moine enfermé à ses côtés, qui répandait la paix parmi les condamnés et le salut par la Croix et la foi ? L’itinéraire de la libération intérieure conseillée par cette présence providentielle en cette prison purgatoire commençait par le devoir de mémoire envers l’unicité de la personnalité dans toute sa dimension concrète. Écrasés par l’anonymat, les individus de cette prison ne sont reconnus que par des numéros. L’initiation commencerait par une remontée dans le passé et un arrêt sur les repères affectifs et sociaux, grands remparts contre la dissolubilité du Moi. Un début de dialogue instauré entre les prisonniers permettait la communication nécessaire à l’évocation du souvenir et l’échange des expériences de la vie. Mais la rumeur d’une tentative d’évasion a jeté le soupçon et détruit cette ébauche de vie collective, en réduisant ce monde au silence. Sortant de sa révolte et de ses tentatives de créer une voie de salut auprès de ses semblables, un sentiment nostalgique ramène Marwan à une enfance sensible à l’esprit poétique des lieux et au visage d’une mère qu’avant lui avait déjà expérimenté au premier degré la rapacité des hommes. En des circonstances difficiles, les quelques avoirs d’or, dernières ressources en sa possession, ont été exposés à la vente en vue d’assurer une vie digne à ses enfants pleins de promesses et d’épanouissement. L’acquéreur, rapace, ne l’entendant pas de cette façon, subtilisa sa propriété en l’accusant de vol et menaçant d’un recours en justice. La lutte fut âpre et un modèle de courage, mais le destin n’avait pas meilleure figure que l’usurpateur, il lui arracha la vie dans des circonstances douteuses, au tournant d’un four à pain par un engin de mort. Toujours est-il que le héros du roman, tout en prenant conscience des contradictions dans lesquelles se débat ce traître à plus d’un point de vue, se penche vers le pardon et à la recherche d’une autre porte de sortie. C’est dans la rencontre avec son «double», un prisonnier occidental de formation historienne et archéologique, ayant la même trajectoire de vie, et condamné pour avoir établi des vérités historiques sur l’identité de la terre essénienne et de son peuple. Ce Polonais né «en Palestine depuis mille ans», portant la grande mémoire des enseignements de moines esséniens sur les différentes voies de la purification en préparation de la rencontre du divin, est à la recherche du document perdu. L’ironie du destin a voulu arracher cette page de l’histoire antique en rejetant les héritiers de cette grande tradition, la remplaçant par son contraire celle d’une entité usurpatrice à visage raciste. À la porte de celui qui recherchait les documents témoins du droit des héritiers, attendaient deux hommes en civil pour le conduire vers le chemin du non-retour. Dans ce cheminement de l’âme de son héros prisonnier, la subtilité de l’auteur, May Menassa, ne nous mène-t-elle pas dans les ombres de l’actualité mondiale ? Comment dépasser et se libérer du vertige de la danse du bien et du mal ? Dans un style imagé, allégorique, l’auteur nous indique le fil d’Ariane à suivre. Dans les situations d’amincissement d’être, en prison statutaire où à l’air libre, c’est dans la cité intérieure où les enjeux et les épreuves revêtent une signification. C’est dans le Moi être qui émerge de la nature et de la société, et par un acte de liberté et de raison que le prisonnier du «désert» dépassera les contingences du temps et des lieux. Aussi il serait chimérique de vouloir garder la faculté d’éprouver une joie qu’aucune souffrance accompagne. Dans le fond de son cachot, le héros de notre romancière ne se laisse point engloutir par le poids de la douleur et de l’aliénation. Dans ses derniers retranchements, il refoule du pied le manteau du mensonge et des illusions du monde et au-delà de ses implosions et de ses apparences, il découvre dans son moi profond un noyau porteur d’une intention divine. Dans ce début de siècle ou les progrès mécaniques et technologiques uniformisent les orientations et les valeurs, May Menassa ouvre la voie simple de la sincérité afin de réagir contre l’asservissement des esprits et le dessèchement des cœurs.
Dans Feuillets du cahier d’un prisonnier, l’écrivain journaliste May Menassa, dans un style ciselé et rodé à la finesse de l’analyse des œuvres d’art, invite cette fois-ci le lecteur à suivre l’itinéraire intérieur d’un prisonnier et son double dans un monde carcéral, en plein désert et sans nom. En réalité, l’auteur, à partir d’une prison...