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Actualités - INTERVIEWS

INTERVIEW - Lire en français et en musique - François-Olivier Rousseau : - le roman comme un marathon

François-Olivier Rousseau est un écrivain lassé de l’écriture. Autant vous prévenir dès les premières lignes. Cette lassitude déteint tellement sur tout son univers qu’elle nimbe ses propos d’un désenchantement profond, qui aurait été lourd s’il n’était relevé d’une ironie narquoise. De la souffrance de l’écriture au sentiment d’échec, en passant par sa honte d’être écrivain, son désamour de la France et son mépris de l’époque, François-Olivier Rousseau, s’il «corsète» son style en écriture, ne mâche pas ses mots en cours d’interview. Cela donne une litanie drôlement bougonne sur ses nombreux sujets de dédain. Rencontre au jardin du Ranelagh, à Paris, avec un écrivain qui ne se reconnaît pas comme tel. Et pourtant François-Olivier Rousseau l’est bel et bien. Et de ceux qui comptent. Son vocabulaire riche, élaboré, d’une précision tatillonne, lui a valu son «heure de gloire» si l’on peut dire. Cet érudit (il a étudié à la Sorbonne et à l’École des langues orientales le bengali et le grec moderne) a décroché pas mal de prix littéraires – le Médicis pour L’enfant d’Édouard en 1981, le prix Proust pour Sébastien Doré en 1986 et le Grand prix du roman de l’Académie française pour La Gare de Wannsee en 1988 – au cours de sa carrière de romancier. Une carrière qu’il a décidé d’abandonner définitivement. Il a aussi publié chez Grasset Le jour de l’éclipse en 1991 et L’heure de gloire en 1995, dont la trame se situe au XIXe siècle, époque de prédilection de cet auteur, qui tient si bien ses contemporains et le monde moderne en mésestime. Et là, il vient de clôturer donc sa carrière romanesque par un roman autobiographique, Le passeur (édité en 2001 chez Stock). Où il est question de l’échec. Ce qui peut paraître surprenant de la part d’un écrivain quand même reconnu. L’échec Mais François-Olivier Rousseau, qui avoue avoir «une approche très négative de la réalité et de la vie», semble obsédé par ce thème. Déjà Le jour de l’éclispe, «qui est un roman raté mais que j’aime bien», traitait de l’échec. «Le Dr Lacan disait à juste titre : “On ne réussit que ses échecs”», affirme l’auteur. «C’est à cela que j’ai pensé en écrivant ce livre. La carrière littéraire n’est en fin de compte que l’un des décors de l’échec. Car l’échec ne m’est pas particulier», souligne-t-il. «Il touche tout le monde. Et il n’y a que cela d’intéressant». Il va même jusqu’à affirmer que «le succès est une chose totalement inodore». L’évasion de la réalité, ce qu’il appelle «l’évitement», est son autre sujet de prédilection. Il l’a évoquée dans L’heure de gloire, où il est question d’un célèbre dramaturge de la belle époque, dont la première pièce a eu un succès retentissant, et qui a passé sa vie à exploiter cette veine, pour éviter de voir ses échecs ultérieurs. «Mais il avait les moyens de ne pas affronter la réalité», dit François-Olivier Rousseau de son personnage. «Ce qui n’est malheureusement pas mon cas». N’est-ce pas pourtant pour sortir de la réalité qu’il écrit ? «Non». Qu’est-ce qui l’a donc amené à l’écriture ? «Je ne sais pas. Pas le plaisir que cela me procure en tout cas». Cette écriture laborieuse, ou plutôt douloureuse, il l’a forge dans la solitude la plus totale. «La fiction est une sorte de fluide volatil qu’il faut conserver à l’abri de tout». «Dans une biographie de Carson McCullers, l’auteur s’attardait sur le cliquettement des machines à écrire, pour décrire une scène où la romancière américaine et Françoise Sagan écrivaient toutes les deux, assises chacune à un bout d’une table. C’est pour moi l’image la plus obscène. C’est de l’ordre des WC de camps de concentration où tout le monde fait la même chose en même temps et c’est dégueulasse». Sans commentaire. Longtemps exilé sur l’île de Man, celui qui affirme sans ciller n’aimer «ni la France ni les Français» a choisi de s’éloigner encore davantage du microcosme parisien, qu’il n’apprécie pas. Évidemment ! Il s’est ainsi récemment installé au Maroc, où il compte profiter d’une semi-retraite. Certes, il abandonne le roman, mais c’est pour mieux se consacrer à l’écriture de scénarios, entamée il y a quelques années. Dans ce domaine, on lui doit, entre autres, Les enfants du siècle, de Diane Kurys. Scénarios Il vient de boucler le scénario des Amants du Nil d’Éric Heumamm, que l’on pourra voir en 2002. «Il s’agit de l’histoire d’une jeune femme, durant la dernière guerre mondiale, qui rêve d’aller en Égypte pour empêcher l’homme qu’elle aime de mourir», raconte l’auteur, qui a élaboré le script à partir de l’idée originale du metteur en scène. «Je viens juste de voir les rushes, et je trouve que c’est un film assez magique. Les acteurs sont excellents, notamment Emma de Caunes, qui est absolument merveilleuse dans le rôle principal». Les choix de scénarios de François-Olivier Rousseau, souvent très romanesques, contredisent sa volonté affichée d’abandonner ce genre d’écriture. Mais l’auteur explique que «le cahier de charges d’un roman est une chose qui devient insoutenable à mon âge» (il est né en 1947). «Ce que j’aurais éventuellement envie de dire ne passera plus par le roman, ça, c’est une certitude. Et je crois que ça ne passe plus par là depuis au moins deux ou trois livres». Cette affirmation est-elle due à un mauvais accueil par le public de ses derniers ouvrages ? «Oh, le public, ça compte si peu. Non, c’est plutôt le genre romanesque qui ne me convient plus. Vous savez, l’écrivain belge Georges Simenon disait que c’est une question de santé, de vitalité. Qu’écrire un roman, c’est comme courir un sprint, il faut d’abord se mettre en condition. Il n’a d’ailleurs jamais achevé son dernier roman. Il a décidé qu’il n’avait plus la force physique d’écrire. Il s’est rendu au consulat de Belgique en Suisse où il habitait et il a demandé que l’on remplace sur son passeport la profession de romancier ou homme de lettres par la mention : retraité». Serait-il sur le point de suivre son exemple ? «Je n’ai jamais avoué ma profession, dont j’ai terriblement honte, ni sur mon passeport ni dans les fiches chez le médecin. Donc je n’aurais pas besoin d’effacer quoi que ce soit. En général, soit je laisse la rubrique “profession” vacante soit j’écris que ça ne les regarde pas». « Lire m’ennuie… » À défaut d’écriture, quels seraient les choix de lecture de François-Olivier Rousseau? «Lire m’ennuie. Je ne lis pas les auteurs contemporains. J’ai parcouru le livre d’Enthoven que j’ai trouvé très bien. Je ne l’ai évidemment pas entièrement lu, mais j’ai trouvé qu’il y avait une écriture. J’apprécie également Michel Houellebecq». Normal. On se serre les coudes entre provocateurs ! «Non, non, je vous assure, j’ai beaucoup aimé les “Particules élémentaires”. Cela faisait longtemps que je n’avais pas lu un roman contemporain qui m’ait distrait à ce point. Le reste est tellement indigeste, illisible, épouvantable…». Baalbeck et Alep Définitivement désenchanté, François-Olivier Rousseau n’a pas peur de déplaire ou de choquer. «Je n’ai plus aucune ambition littéraire. J’ai donné ce que j’ai pu. Si je n’ai pas donné plus c’est qu’il n’y avait pas plus à donner. Je n’ai pas eu de passion heureuse pour l’écriture, mais plutôt un besoin, une nécessité d’écrire. C’est pour cela que je n’exclus pas du tout la possibilité d’écrire. Je crois que ça reviendra tous les deux ou trois ans. Mais ce ne sera plus jamais des romans». Des essais peut-être ? «Oui, bien qu’aucun sujet ne m’intéresse vraiment», lance-t-il sans grand enthousiasme. Des récits de voyages, à l’instar de son premier livre Le regard du voyageur ? «Pourquoi pas». D’autant qu’il s’apprête à venir au Liban, où il est invité au Salon «Lire en français 2001». Il était déjà venu en 1967 à Beyrouth. Mais il en garde un souvenir «fragmenté et succinct à cause du couvre-feu à l’époque. Je n’avais pas pu visiter Baalbeck, où je compte me rendre cette fois avant de prendre un taxi pour Alep», dit-il. En fin de compte, écrire, n’est-ce pas en quelque sorte voyager dans un monde, une époque, un lieu étranger ? : «Oui, sans doute, mais ce n’est pas un voyage agréable». On ne se refait pas. Surtout pas François-Olivier Rousseau.
François-Olivier Rousseau est un écrivain lassé de l’écriture. Autant vous prévenir dès les premières lignes. Cette lassitude déteint tellement sur tout son univers qu’elle nimbe ses propos d’un désenchantement profond, qui aurait été lourd s’il n’était relevé d’une ironie narquoise. De la souffrance de l’écriture au sentiment d’échec, en passant par sa...