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Actualités - INTERVIEWS

INTERVIEW - Lire en français et en musique 2001 - Bertrand Poirot-Delpech : « Vivre avec les mots… »

Académicien, officier de la légion d’honneur, des arts et des lettres, chroniqueur libre au Monde, où il a longtemps été critique littéraire et de théâtre, auteur de plusieurs essais et romans, dont certains ont été adaptés au cinéma et à la télévision (Le Grand Dadais, L’été 36, etc. ), membre du comité de lecture de la Comédie française, Bertrand Poirot-Delpech, soixante-dix printemps et des poussières, confie avoir à présent «l’angoisse du dernier quart d’heure d’examen, avant le ramassage des copies. Cette peur de n’avoir pas dit tout ce qu’on avait à dire». Cette sensation «d’être en dessous de la tache», cette insatisfaction inhérente à la vocation d’écrivain, André Gide la décrivait déjà, à vingt-cinq ans – «mais sur un ton facétieux» – dans Paludes. «Du moins c’est ce que j’avais perçu, à l’époque de ma découverte en khâgne de ce petit livre bizarre», soutient Bertrand Poirot-Delpech. C’est là, sans doute, une des raisons qui l’ont poussé à relater sa découverte du Paludes de Gide, dans un petit ouvrage intitulé J’écris Paludes édité cette année chez Gallimard dans la collection «L’un Et L’autre». Ce court roman, qui est loin d’être parmi les œuvres les plus connues de l’auteur des Nourritures terrestres, a, semble-t-il, marqué l’académicien (catholique, boursier et grand amateur de femmes) qui n’a en commun avec Gide (protestant, riche et homosexuel) que l’amour immodéré de l’écriture. Cette caractéristique commune est justement l’autre raison qui a amené Poirot-Delpech à consacrer à Gide ce petit ouvrage plein de style. Rencontre parisienne Conversation à bâtons rompus dans son bureau chez lui à Paris , pas loin de Saint-Germain des Près. Dans cet antre tout en boiserie et livres, l’académicien (qui est l’un des invités du Salon «Lire en français et en musique) évoque l’écriture de Paludes, mais aussi l’art de l’écriture en général. «Il est vrai que j’ai une passion pour ce livre de Gide, que je relis immanquablement une fois l’an. C’est comme le souvenir d’un premier amour, on y revient souvent. Il y a là le secret des identifications inexplicables», confie Bertrand Poirot-Delpech. «Mais j’ai également eu un coup de cœur pour cette collection – animée par le psychanalyste Lefèvre-Pontalis, qui a été l’élève de Sartre et qui a failli devenir son analyste-d’ouvrages un peu précieux, très littéraires, où des écrivains parlent de leurs livres ou de leurs auteurs préférés. C’est ainsi que je me suis laissé aller à écrire sur ce petit livre que Gide appelait une “sotie” – ce qui signifie une plaisanterie un peu énorme, presque carnavalesque – où il tourne en dérision la vie littéraire des poètes symbolistes à la fin du XIXe siècle. Et, là, j’ai découvert, en faisant certaines recherches, que ce petit livre, cette petite blague a marqué des écrivains considérables : François Mauriac, Nathalie Sarraute, Jean Lacouture, Jorge Semprùn, etc. Ils m’ont tous parlé de “Paludes” avec cette espèce de complicité que l’on a lorsqu’on évoque un domaine privé ou sacré». Dans Paludes, Gide se moque d’une chose qui va devenir sa vie. À savoir les mots, l’écriture, la réflexion. Ce thème de la création littéraire qui empêche de vivre est un des grands problèmes des écrivains. On l’a vu notamment chez Flaubert et chez Proust. Est-ce que cette interrogation a été aussi la vôtre ? «Est-ce que je m’engage ou je m’enferme dans mon bureau ? Cette alternative, qui a été celle de beaucoup d’écrivains, fut également mienne. Mais je l’ai résolue, en intégrant le journalisme». «Durant la guerre, raconte Bertrand Poirot-Delpech, j’étais trop jeune pour m’engager. Ce qui fait que, pendant que mes frères et mes cousins plus âgés combattaient, ou étaient dans la Résistance, j’étais avec les femmes et les grands parents à déplacer les petits drapeaux sur la carte, en disant “ça y est les Allemands sont fichus”. J’en ai conçu une espèce de mauvaise conscience. Ce qui fait que dans l’après-guerre, durant cette époque d’euphorie, je me suis posé la question d’écrire utile. C’était l’époque de l’existentialisme. Sartre disait que l’écrivain doit jouer un rôle politique, ou tout au moins social. Par mon entrée au journal “Le Monde”, d’une certaine façon, je me suis trouvé engagé dans les grandes batailles politiques de l’après-guerre. C’est-à-dire les guerres d’Indochine et d’Algérie où la puissance coloniale s’effritait. J’y ai assuré un temps la chronique des grands procès, avant de m’occuper, par la suite, de la rubrique théâtre et de celle des livres. Mais dans le fond, je me suis toujours partagé entre deux activités : le journalisme et l’écriture plus personnelle de romans et d’essais. J’ai ainsi résolu mon problème en menant de front ces deux activités toute ma vie». Schéhadé et Stétié Longtemps critique, Bertrand Poirot-Delpech garde dans son panthéon personnel quelques auteurs qui l’ont marqué comme «Balzac par l’amplitude des thèmes, et Flaubert pour le culte du style et la perfection du détail». Sans compter Proust, Mauriac, James Joyce «qui est un maître à inventer des formes nouvelles». Il n’en apprécie pas moins de nombreux écrivains contemporains : Modiano, Echenoz, Le Clézio (qui est aussi l’un des invités du Salon «Lire en français»), et les Libanais Salah Stétié et Georges Schéhadé, «qui était certainement plus intéressant que beaucoup de ses contemporains», soutient-t-il avec vigueur, et là c’est le critique de théâtre qui s’exprime ! Depuis qu’il ne fait plus de critiques littéraires, Bertrand Poirot-Delpech profite bien plus du plaisir de la lecture. Il constate avec tristesse que «la lecture se perd». Et pourtant «la lecture, les livres, les mots ne sont pas un luxe pour briller en société. Ils donnent un surcroît d’existence». Ce romancier écrit pour essayer de comprendre «le monde et moi-même». Houellebecq Dans cet ordre d’idées, il défend l’œuvre de Houellebecq, qui provoque une large polémique au sein du monde littéraire en France. Et dont le roman Plateforme a été descendu en flèche par la critique. «Michel Houellebecq n’est pas un écrivain qui m’intéresse du point de vue littéraire. Son style est plat, assez insignifiant. Mais j’apprécie qu’ il sorte du cadre trop étroit du roman français, qui se limite souvent à des histoires d’amours, ou intimistes. Cet homme décrit une réalité : celle du commerce du plaisir entre riches Européens et pauvres du tiers-monde. Et je trouve très injuste de lui attribuer l’esprit de ses personnages. Il se trouve qu’il témoigne, avec une apparente froideur, une certaine distance à la manière anglo-saxonne, de choses qui existent aujourd’hui. Le marché de la chair humaine, ce tourisme sexuel, Houellebecq les dénonce finalement, sans pour autant jouer les moralisateurs». Poirot-Delpech comprend parfaitement ce parti pris de distanciation parce que lui-même dans L’amour de l’humanité avait cette envie de témoigner des motivations parfois égocentriques des gens qui s’enrôlent dans l’humanitaire. «C’est plus intéressant finalement de porter du riz à des gens qui ont faim que de bosser dans un bureau sans savoir pour qui et pour quoi faire, pour un salaire de misère. Sans nier le côté humain de l’entreprise, je montre qu’elle n’est pas toujours héroïque», affirme cet écrivain, qui dévoile souvent sur un ton faussement léger des vérités et des opinions profondes. «C’est ce que je voulais montrer, et je l’ai fait sur le ton de la blague», dit-il. Il est vrai que son livre est un petit joyau d’écriture enlevée, ironique sans sarcasmes et aux phrases superbement ciselées. Du grand style. On y perçoit, comme dans toutes les œuvres de Bertrand Poirot-Delpech, le plaisir de l’auteur à «vivre avec les mots».
Académicien, officier de la légion d’honneur, des arts et des lettres, chroniqueur libre au Monde, où il a longtemps été critique littéraire et de théâtre, auteur de plusieurs essais et romans, dont certains ont été adaptés au cinéma et à la télévision (Le Grand Dadais, L’été 36, etc. ), membre du comité de lecture de la Comédie française, Bertrand...