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Actualités - OPINIONS

Le choc de deux violences

On a beau vouloir éviter de l’admettre, nous vivons en plein choc de civilisations. Pourquoi se mentir ? Nous avons eu notre propre choc des civilisations à domicile, même si nous l’avons refoulé. Il importe cependant d’identifier les civilisations qui s’entrechoquent sous nos yeux. Ou plutôt les sous-civilisations. Donner une fusée à un homme de l’âge de pierre ne le transformera jamais en astronaute. Si nous admettons que le choc des civilisations est spirituel, avant d’être militaire, il faut dire aussi que ce n’est pas à la civilisation chrétienne que l’islam militant s’est heurté, mais à une civilisation hétérogène qui comporte quelques éléments de christianisme, quelques valeurs chrétiennes oubliées ça et là, ensevelies sous des tonnes de défections morales. De même, est-ce le visage de l’islam, celui que l’on voit sur le visage du capitaine Nebula ? Est-ce le visage miséricordieux de Mohammad offrant la paix aux juifs et aux chrétiens de son temps, dans le pacte de Médine ? Beaucoup le récusent. Les attaques du 11 septembre sont, pour de nombreux croyants, la meilleure critique qui soit de l’interprétation réductionniste du Coran. Ces réflexions sont fondamentales pour se situer par rapport à ce conflit. Et pour se rendre compte qu’un homme sensé ne pourrait être ni dans celui-ci, ni dans celui-là. Travestie en «Liberté infinie», l’opération «Justice infinie» fait rage. Mais de quelle justice s’agit-il ? «Summum ius, summa iniuria», dit l’axiome. Le summum du droit, summum de l’injustice. L’application trop rigoureuse de la loi de justice risque de déboucher sur des situations de profonde injustice. Oui, il est suprêmement injuste pour l’Amérique de livrer la guerre à l’Afghanistan. Ce n’est pas par des morts innocentes que l’on répare d’autres morts innocentes. Selon la doctrine chrétienne, l’usage de la violence, dans des situations de légitime défense, ne se justifie qu’à certaines conditions. Ainsi, cet usage doit être proportionnel à l’offense. Et, plus subtilement, ses conséquences ne doivent pas entraîner de plus graves injustices que celles qui l’ont rendu nécessaire. Voilà de quoi faire réfléchir. Et qui donc fait la guerre à l’Amérique ? Des mollahs qui ont détruit, dans leur zèle mal éclairé, les statues géantes du Bouddha, un patrimoine culturel et esthétique inestimable, parce qu’ils sont incapables de penser l’histoire ou le pluralisme. Parce qu’ils souffrent d’un handicap épistémologique tel qu’ils sont incapables de constituer en sphères autonomes le domaine de la foi et celui de la raison. Non, la guerre à laquelle nous assistons n’est pas une guerre des religions. C’est celle de deux obscurantismes qui entrent en collision comme des astres éteints dans le vide interstellaire. Et qui se détruisent mutuellement. Anthrax et suicides, les armes du pauvre, contre missiles guidés au laser. «Dialogue» de deux violences. Le véritable choc des civilisations, Jean-Paul II l’a amorti une fois pour toutes en 1986 à Assises, en réunissant les représentants de toutes les religions du monde, pour une prière commune pour la paix. C’est ce même Jean-Paul II qui a écrit, en 1982, une encyclique pour les temps apocalyptiques que nous vivons. Dans ce document, le pape tente une synthèse audacieuse entre la justice et la miséricorde, en montrant comment cette dernière accomplit, en la transfigurant, l’exigence de justice qui tenaille nos consciences. La miséricorde de Dieu, y affirme-t-il, est la perfection de la justice, car elle restitue l’homme à lui-même, elle le restaure dans son image première. Lancés dans leur opération, qu’elle s’appelle «Liberté» ou «Justice» infinies, c’est cette miséricorde que les États-Unis doivent garder devant leurs yeux. Au demeurant, il y aurait beaucoup à dire à ce sujet, sur le pardon, sceau de la miséricorde, et il est évident, pense Jean-Paul II, qu’une exigence si généreuse de pardon n’annule pas les exigences objectives de la justice et que la réparation du mal est une condition du pardon. Que faire dans ce conflit planétaire ? Le Liban ne devrait pas passer à côté de cette occasion unique de se connaître et de reconnaître. Rachetons ces temps gris. Les librairies croulent sous les titres. Les livres sur l’islam et l’islamisme sont pris d’assaut. Oui, saisissons cette occasion. Et fuyons tout ce qui est cynisme. Oui, beaucoup le pensent, les Américains boivent enfin à la coupe que nous avons bue. Un ennemi sournois et implacable les attaque. Ne nous en réjouissons pas. La question du «pourquoi» devrait leur fournir l’un de leurs outils de réflexion les plus utiles. Non pas le «pourquoi» adressé au ciel, mais le «pourquoi» adressé à l’histoire. Ce ne sont pas les deux tours qui les ont faits. Ce n’est pas leur disparition qui doit les défaire.
On a beau vouloir éviter de l’admettre, nous vivons en plein choc de civilisations. Pourquoi se mentir ? Nous avons eu notre propre choc des civilisations à domicile, même si nous l’avons refoulé. Il importe cependant d’identifier les civilisations qui s’entrechoquent sous nos yeux. Ou plutôt les sous-civilisations. Donner une fusée à un homme de l’âge de pierre ne le...