Rechercher
Rechercher

Actualités - INTERVIEWS

Interview - L’islam local à la recherche d’un juste milieu - Fathi Yakan : « L’attitude des Libanais a été exemplaire »

Les milieux islamiques libanais se trouvent à leur tour confrontés au débat houleux qui agite, depuis le début des frappes sur l’Afghanistan, l’ensemble du monde musulman. Après les propos virulents adressés aux États-Unis il y a une dizaine de jours à Tripoli, les ulémas, baissant le ton, ont modéré leur discours antiaméricain. Ce revirement, sollicité par le Premier ministre Rafic Hariri mercredi dernier et obtenu à la suite de pressions syriennes, illustre les contradictions au sein de la communauté musulmane libanaise. Entre la nécessité de préserver une certaine stabilité intérieure, de ne pas s’attirer les foudres américaines, et le besoin de manifester sa solidarité avec le peuple afghan, l’islam libanais tente de trouver un juste milieu. Dans un entretien avec L’Orient-Le Jour, Fathi Yakan, ancien député du Nord et président du conseil de la Choura au sein de la Jamaa islamiya – la plus importante parmi les mouvances sunnites intégristes –, fait le point sur la situation. Il nous explique, à travers des arguments parfois contradictoires, la position de son mouvement et de l’Islam par rapport au nouveau conflit inernational. Premier à dénoncer les frappes américaines contre les taliban, cheikh Yakan avait ouvert le feu, au nom des ulémas, sur les États-Unis, lors du prêche du vendredi 12 octobre. Il n’avait pas hésité à qualifier les attentats du 11 septembre de «punition divine» visant à venger le terrorisme américain pratiqué dans le monde. C’est pourtant un autre son de cloche que l’on entendra de sa bouche une semaine plus tard, dès lors qu’on l’interroge sur la doctrine de son mouvement. «Le mouvement des Frères musulmans (dont la Jamaa islamiya est issue) se caractérise depuis ses origines par le fait qu’il rejette la violence», explique le cheikh sunnite en rappelant les préceptes fondateurs de cette formation. D’ailleurs, le pionnier du mouvement Hassan el-Banna, lui-même victime de violence puisqu’il a été assassiné en 1949 par le pouvoir en Égypte, «a été très clair à ce sujet», dit-il. Et Fathi Yakan de citer un des messages du fondateur des Frères musulmans prohibant « le recours à la révolution armée». Rejet de la violence Contrairement à certains groupuscules extrémistes qui prêchent la prise du pouvoir par la violence, la Jamaa islamiya, qui ne déroge pas – du moins au Liban – aux règles de son fondateur, défend l’idée d’une islamisation par le bas, à travers une dynamique campagne politique et pédagogique, explique le guide spirituel de ce mouvement. C’est précisément par ses diverses institutions culturelles, éducatives et pédagogiques que se distingue la Jamaa des autres mouvements intégristes, notamment des Frères musulmans d’Algérie et d’Égypte, ainsi que par son message de non-violence qui appelle «au dialogue et à la réforme à partir de l’intérieur», souligne l’ancien député. Pour Fathi Yakan, qui est l’inspirateur par excellence des Frères musulmans dans le monde arabe, la Jamaa a toujours été à l’avant-garde des mouvements intégristes puisqu’elle condamne l’extrémisme. «Car c’est l’islam même qui le dicte», dit-il. Cheikh Yakan cite à ce titre le verset du Coran affirmant que le prophète Mahomet «a été envoyé comme un signe de miséricorde pour l’humanité». Le chef religieux met l’accent sur le caractère proprement libanais de la Jamaa islamiya «du fait même qu’elle a évolué dans un cadre pluraliste. Elle est ainsi parvenue à faire prévaloir la sagesse et la raison sur l’extrémisme». S’il n’épargne pas les critiques au GIA algérien ou à son corollaire égyptien «qui restent exclusivement militaires» et ternissent l’image de l’islam par leurs actions, le dignitaire sunnite n’en fera pas de même lorsqu’il s’agira de condamner «l’acte de violence» perpétré par Oussama Ben Laden contre des civils américains. «Les États-Unis ont perdu le soutien de la plupart des pays à cause de leur politique hégémonique et de répression dans le monde». L’ancien député énumère «les actes d’extermination» commis par cette grande puissance à Hiroshima et Nagasaki, sans parler des guerres du Vietnam, d’Irak, en passant par les exactions en Libye, au Soudan, en Palestine, etc. Et de poursuivre : «Les États-Unis ont provoqué l’hostilité des peuples du tiers-monde». «Pour toutes ces raisons, ils sont devenus une cible privilégiée de la vengeance», dit-il en ne manquant pas de rappeler l’absence de preuves contre le milliardaire séoudien, Oussama Ben Laden. Changement de ton subit. Les traits de son visage se durcissent et les versets du Coran invitant les musulmans à la vengeance fusent l’un après l’autre de la bouche de l’uléma sunnite. «Celui qui vous agresse, agressez-le de la même manière», tonne Fathi Yakan en estimant que l’Administration américaine est à l’origine des malheurs de nombreux peuples de par le monde. Mais pourquoi donc s’en prendre à des civils ? «Les E-U n’ont pas fait la différence entre civils et militaires en Palestine, au Japon, en Corée ou au Vietnam», répond-il. Pour lui, il n’existe aucune contradiction, puisqu’il s’agit d’une réaction d’autodéfense. «Les E-U sont très mal placés d’ailleurs pour parler d’agression contre les civils et de terrorisme. Car ce sont eux qui ont commencé par massacrer les innocents». À la question de savoir si cette forme de violence ne discrédite pas l’islam, «porteur d’un message de paix», comme l’affirment depuis quelque temps certains leaders arabes, le cheikh sunnite se défend en affirmant que ce n’est pas lui ni son mouvement qui prêchent cette forme de violence. «Je ne fais que donner mon avis», dit-il. Si les auteurs des attentats s’avèrent être des Palestiniens, «ils sont excusables», dit-il. De même que s’ils s’avèrent être des Japonais, «ou d’autres peuples qui ont subi des massacres, ils sont également excusables». La même logique s’applique dans le cas de Ben Laden, précise-t-il. Rappelant les crimes commis par l’armée israélienne – «soutenue par les E-U» – lors de l’invasion du Liban en 82, il affirme que la riposte contre l’État hébreu est considérée, là aussi, comme une réaction de défense. D’où le lancement par la Jamaa islamiya d’une action de résistance contre l’armée israélienne, à l’aide de milices spéciales (Kataëb el-Fajr) et ce, «bien avant le Hezbollah». «Nous ne faisons que nous défendre contre l’ennemi», dit-il en distinguant entre «terrorisme interne», dirigé contre les fils d’une même nation comme l’illustre la révolution armée en Algérie, et entre une lutte menée contre «des “criminels” comme les Américains». «Œil pour œil et dent pour dent», rappelle Fathi Yakan qui traite les États-Unis de «grands terroristes». Si un groupe donné cherche alors à lui barrer la route, cela signifie-t-il pour autant qu’il est devenu terroriste ? s’interroge cheikh Yakan. «Il s’agit d’un terrorisme en réponse au terrorisme américain». «Notre problème est que nous cherchons à ménager certaines sensibilités», indique l’ancien député en faisant allusion à l’attitude de certains régimes arabes qui ont condamné les actions de Ben Laden. «De quelle justice parlons-nous ici ? Le sang des Occidentaux est-il plus cher que celui des Africains ou des Asiatiques ?», dit-il sur un ton révolté en soulignant que l’islam n’a jamais fait la différence entre les races et les ethnies. Vers un système multipolaire Le fait que l’Administration américaine se comporte comme si elle était le gendarme du monde lui attirera les foudres des peuples de la terre, poursuit le chef intégriste. «Je crois que désormais le système unipolaire incarné par la puissance américaine va disparaître pour laisser la place à un système (multipolaire) équilibré, formé de plusieurs pays», affirme Fathi Yakan en citant les nouveaux partenaires dans le système à venir, à savoir les continents européen, asiatique et africain. Est-ce à dire que nous nous dirigeons vers une nouvelle configuration de l’équilibre de la terreur ? «L’équilibre de la terreur est préférable à la terreur exercée d’un seul côté. Désormais, les États-Unis doivent prendre en compte les forces en présence. C’est une manière de limiter leur hégémonie sur la scène internationale». D’après lui, il ne manque rien au monde musulman, qui compte plus d’un milliard et demi de fidèles, pour peser de tout son poids dans ce nouvel équilibre. «Pourquoi le tiers-monde doit-il être toujours soumis ?» Le responsable de la Jamaa ne réfute pas l’existence de divisions au sein du camp arabo-musulman qui doit s’imposer et réactiver son rôle dans le cadre de ses institutions existantes telles que la Ligue arabe et l’OCI. «La dissuasion est devenue indispensable (…). Après le 11 septembre le monde ne peut plus faire marche arrière. Plus personne ne peut contenir l’explosion des peuples longtemps opprimés». Toutefois, le Liban ne devrait pas connaître une révolte populaire au sein de l’islam à l’instar des mouvements de contestation au Pakistan. «La situation du Liban diffère totalement du reste de la région. Ce pays a fait preuve d’une attitude exemplaire, les Libanais ayant adopté une position unifiée aussi bien au niveau du peuple qu’au niveau officiel. Là réside l’essence de notre force», dit-il en rappelant que la «résistance» a obtenu l’aval de tous. «Le danger qui guette les autres pays arabes est celui d’une schizophrénie qui risque d’apparaître entre les couches populaires et les régimes en place. Le Liban, quant à lui, est paré contre cette menace». Autant de garanties émanant de la part de ce leader religieux qui éloigne le spectre d’un conflit interne. Fathi Yakan se veut rassurant : les formations intégristes ne sont pas près de contester les prises de position officielles du gouvernement.
Les milieux islamiques libanais se trouvent à leur tour confrontés au débat houleux qui agite, depuis le début des frappes sur l’Afghanistan, l’ensemble du monde musulman. Après les propos virulents adressés aux États-Unis il y a une dizaine de jours à Tripoli, les ulémas, baissant le ton, ont modéré leur discours antiaméricain. Ce revirement, sollicité par le Premier...