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Actualités - INTERVIEWS

INTERVIEW - Pour le Premier ministre marocain, les pays arabes peuvent aider « davantage » le Liban - Youssoufi à « L’Orient-Le Jour » : Les musulmans doivent contrôler leurs émotions

Quoi qu’il arrive, Abderrahmane Youssoufi est déjà entré dans l’histoire de son pays. Le chef du gouvernement marocain est le premier chef de parti – l’Union socialiste des forces populaires (USFP), un parti de l’opposition qui plus est – à avoir été nommé au poste de Premier ministre. C’était, déjà, à l’époque du roi Hassan II, lorsque l’USFP avait remporté les élections législatives. Et le nouveau souverain chérifien, dès son accession au trône à la mort de son père, avait réitéré sa confiance en Abderrahmane Youssoufi. Dans une évidente double volonté de consolider la démocratie au Maroc – parfois un peu chancelante, dit-on – et de booster les indispensables efforts de réforme. Détail de (très) grande importance : Abderrahmane Youssoufi est un des cofondateurs, au début des années 70 et avec, entre autres, Joseph Moghaïzel, de l’Association arabe des droits de l’homme. Dont la mise en place avait été retardée à cause de la guerre du Liban. Le Premier ministre du Maroc est arrivé au Liban vendredi dernier. À la tête d’une imposante délégation ministérielle, pour signer une série d’accords entre Beyrouth et Rabat, dans le cadre des premières réunions – depuis sa création en 1997 – du Conseil supérieur mixte libano-marocain. Et la série d’entretiens du week-end a servi à poser les essentiels jalons de ce Conseil, qui se réunira désormais une fois par an, dans le but évident de renforcer la coopération bilatérale dans différents domaines. Heureuse initiative : elle permettra au Liban de ne pas limiter, au sein du monde arabe, la coopération étroite «à la seule Syrie-sœur». Et c’est samedi matin, quelques heures à peine avant que les contestataires de l’USFP n’aient annoncé à Casablanca la création d’une formation dissidente – le Parti du congrès national unioniste – qu’Abderrahmane Youssoufi a répondu aux questions de L’Orient-Le Jour. Se limiter aux principes de l’islam Le président Bush a remercié officiellement le roi Mohammed VI pour la condamnation sans nuance par le Maroc des attentats de New York et de Washington. Et la concordance des points de vue entre Beyrouth et Rabat concernant le terrorisme était, dès vendredi soir, totale. Comment pensez-vous que le Maroc peut conseiller le Liban, l’aider à ne pas tirer le diable par la queue, à ne pas donner l’occasion à la communauté internationale de lui reprocher, ne serait-ce un tant soit peu, de favoriser l’islamisme, voire même le jihadisme ? Et pour un distinguo encore plus entre islam et terrorisme ? «Je crois que les relations de coopération, de fraternité, entre nos deux pays, les échanges entre les hommes politiques, entre les hommes de culture, entre les responsables de l’information, tout cela devrait s’accentuer encore plus, pour faire face à cette campagne qui est en train de viser notre culture, notre patrimoine, nos religions respectives. Par conséquent, il faut, pour répondre à tout cela, une contre-offensive médiatique, culturelle, un dialogue. Je crois que notre dossier est bon : nous sommes une civilisation de tolérance, de coexistence, nous l’avons démontré au cours de notre histoire, et nous continuons aujourd’hui». Comment réagissez-vous lorsque vous entendez la quasi-totalité des muftis libanais, et notamment le mufti de la République, dire que «les pays arabes seront le tombeau des soldats américains» ? «Je n’ai pas suivi dans le détail ces déclarations, mais je crois que les peuples arabo-musulmans de la région ont intérêt à se limiter aux principes de notre religion, à ceux de notre culture. Et de ne pas laisser cours aux émotions personnelles, qui sont parfois compréhensibles – des réactions d’indignation contre des injustices flagrantes… Mais je crois que le meilleur moyen est de se référer à notre doctrine de base, à nos préceptes éternels, au dialogue. Et à la tolérance proverbiale qui nous caractérise tous». Le Maroc, nous l’avons entendu, a décidé de combattre le terrorisme sous toutes ses formes. Le discours libanais, officiel du moins, va dans le même sens. Comment va se concrétiser la collaboration libano-marocaine à ce niveau ? «La principale arme pour lutter contre le terrorisme, c’est l’information. L’échange d’informations. C’est repérer les terroristes potentiels, les neutraliser. Mais on ne peut arriver à cela que grâce à une recherche approfondie, un échange sophistiqué d’informations, justement. Et ce, entre des pays frères, qui ont l’habitude de coopérer ensemble en toute confiance. C’est un travail assez facile entre le Liban et le Maroc, surtout qu’il s’agit pour nous de préserver d’abord notre sécurité, celle de nos alliés ensuite. C’est une œuvre d’intérêt public». « Il n’y a pas que des bouchers et des Sharon en Israël » Vous faites confiance aux services de renseignements libanais, pour une entière coopération – avec le Maroc notamment ? «Tous les services et toutes les institutions qui ont pour vocation de travailler pour l’intérêt national, l’intérêt régional, devraient coopérer pour sauvegarder la paix universelle». Vous croyez au choc des civilisations ? «C’est un titre malheureux qui a fait fortune depuis (le 11 septembre). Nous, nous croyons plutôt au dialogue des civilisations, et c’est le moment de mettre ce thème en œuvre, de le développer. Fortes de leurs expériences, toutes les personnes qui ont pour vocation de travailler dans le domaine public devraient développer ce dialogue». Justement, il y a un point commun essentiel entre le Liban et le Maroc, deux pays pluriconfessionnels qui allient depuis longtemps leur arabité à une ouverture très importante sur l’Occident. Quels rôles peuvent jouer ces deux pays au niveau de cet indispensable dialogue ? «Il faut continuer à développer la coexistence entre les cultures, la tolérance entre les religions, la symbiose. Et ce comportement civilisationnel que le Liban et le Maroc ont toujours adopté. Nos pays sont des modèles». Concernant le processus de paix régional, estimez-vous que c’est le moment ou jamais de faire avancer les choses ? «Les événements tragiques qui viennent d’avoir lieu ont tellement frappé l’opinion occidentale – américaine en particulier – que l’on assiste maintenant à un certain réveil, une prise de conscience. Et les promesses que nous entendons, les manifestations de bonne volonté de la part des grands leaders occidentaux, nous paraissent pleines d’espoirs. Il faudrait que nous essayions de faire en sorte que ces bonnes dispositions puissent être fructueuses». Pensez-vous qu’Israël veut faire avancer les choses ? «Au contraire. Israël semblait dès le premier instant vouloir en profiter. Exploiter la situation en sa faveur, faire un amalgame entre Arafat et Ben Laden. Dire : “Nous sommes le rempart contre le terrorisme au Moyen-Orient”. Les leaders mondiaux doivent plus que jamais assumer leurs responsabilités et se rendre compte que laisser pourrir et perdurer des problèmes, des situations d’injustice, tout ce qui s’est passé depuis l’intifada, cette indifférence presque insolente… Tout cela a fait bouillir tout un chacun, et il n’est pas étonnant qu’il y ait une coïncidence entre la colère et l’indignation que ressentent tous ces honnêtes gens et les événements tragiques qui ont eu lieu le 11 septembre». Est-il possible de faire la paix avec Ariel Sharon ? «Je pense qu’il est possible de faire la paix avec le peuple israélien. Avec les forces politiques valables». Vous pensez à qui ? Shimon Pérès ? «Le Mouvement de la paix, Shimon Pérès oui, et les forces de progrès – sans exclusive entre gauche et droite. Il n’y a pas en Israël que des bouchers et des tortionnaires comme Sharon». Vous pensez toujours que la Résistance libanaise, le Hezbollah, a encore sa raison d’être aujourd’hui ? «C’est aux Libanais de le décider. Nous sommes solidaires de l’action menée par tous les Arabes pour libérer leur sol, récupérer leur souveraineté, édifier leur démocratie. Personne n’est condamné au repos ou au chômage politique et militant dans notre monde arabe. Nous devons tous retrousser nos manches. Le civisme doit amener tout un chacun à jouer son rôle». Les pays arabes et l’aide au Liban Vous allez signer huit accords avec le Liban. Comment le Maroc peut-il contribuer à accélérer la concrétisation de l’aide arabe au Liban ? «La démarche que les pays arabes suivent, notamment ceux riverains de la Méditerranée et au sein de l’espace euro-méditerranéen, s’inscrit dans une coordiantion des efforts, dans une volonté et un travail communs pour créer cette zone de libre-échange. Il faut synchroniser, harmoniser le dialogue, sur base d’une solidarité réelle entre les pays arabes, d’une coopération réelle, que l’on ne va pas retrouver uniquement dans les embrassades ou les discours. Il faut constituer une communauté d’intérêts qui sera à même de faire entendre raison à nos partenaires européens. Qui eux-mêmes ne souhaitent pas autre chose que de voir, en face d’eux, un partenaire uni et cohérent». Soit, mais au sein du monde arabe, que font les autres pays pour le Liban ? «Je pense qu’il faut en faire davantage. La solidarité arabe doit s’exercer davantage. Il faut utiliser nos moyens et nos possibilités d’abord dans le monde arabe. Il y a malheureusement le réflexe du capital, mais rien n’empêche de chercher et de trouver son intérêt d’abord dans le monde arabe…» Votre concordance avec le Premier ministre Hariri est totale, est-ce qu’il y a des petits problèmes ? «Pour l’instant, je n’en vois ni de petits ni de grands. L’atmosphère est fraternelle, pleine de bonne volonté, et l’avenir démontrera que nos relations iront de mieux en mieux. Oui, je crois en la bonne volonté du Liban». Et c’est tant mieux.
Quoi qu’il arrive, Abderrahmane Youssoufi est déjà entré dans l’histoire de son pays. Le chef du gouvernement marocain est le premier chef de parti – l’Union socialiste des forces populaires (USFP), un parti de l’opposition qui plus est – à avoir été nommé au poste de Premier ministre. C’était, déjà, à l’époque du roi Hassan II, lorsque l’USFP avait...