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Actualités - REPORTAGES

Reportage - La prière s’est déroulée dans le calme dans la capitale du Liban-Nord - Ton modéré dans les mosquées de Tripoli mais les sentiments restent anti-US

Les quasi-menaces syriennes et les demandes insistantes du président du Conseil Rafic Hariri ont porté leurs fruits : les prêches du vendredi étaient relativement modérés à Tripoli. Si la plupart des cheikhs ont évité les sujets cruciaux, se contentant d’appeler à l’unité des croyants contre les infidèles, ils restaient incapables de calmer la révolte des jeunes qui, à la fin de la prière, ne cachaient pas leur désir d’en découdre avec les Américains. La rue des Églises à Tripoli a beau abriter trois édifices dotés de clochers, elle n’est plus vraiment le cœur d’un quartier chrétien. Les trois églises, dont celle des grecs-orthodoxes qui a été l’objet récemment d’une agression à la dynamite, sont fermées et les habitants ne leur accordent pas un regard. En ce vendredi midi, heure de prière pour les musulmans, la rue semble déserte, comme figée. Seul un vieux marchand de meubles observe d’un œil morne et myope les rares passants. Les ombres de la nuit Dès qu’on évoque l’agression contre l’église, son visage se ferme totalement. «C’était à Saïda, pas ici», dit-il laconiquement. Mais à force d’insister, il finit par reconnaître que la porte arrière de l’église a été la cible d’une légère explosion. «C’était un acte de voyous. À Tripoli, nous n’avons pas ce genre de sentiments confessionnels...». Mohsen se veut convaincant, sans vraiment l’être, puisqu’il cherche constamment à détourner la conversation. Il affirme être trop vieux pour se rendre à la mosquée, mais il prie chez lui, en écoutant la radio. Puis, mis en confiance, il murmure à voix basse : «Vous savez, la ville n’est plus ce qu’elle était. À la nuit tombée, les rues sont pleines d’ombres malfaisantes». Mohsen sent qu’il en a trop dit et il est tout heureux de saluer une voisine qui se rend d’un pas rapide chez elle. C’est qu’à l’heure de la prière du vendredi, les passants sont très rares. Même au marché tout proche, la plupart des magasins sont fermés. Impossible de se procurer une bouteille d’eau ou le moindre article. Un vendeur de chaussures posté devant son étal conseille à l’acheteur de revenir après la prière. On se demande alors pourquoi il n’a pas carrément fermé sa bicoque. À Tripoli, la logique a parfois des ratés... Dans toutes les ruelles du marché, résonnent les haut-parleurs des mosquées appelant les fidèles à appliquer les préceptes du Coran. Toute la vie semble suspendue à ces prières. Seul un cordonnier s’acharne sur un talon récalcitrant sous l’œil vigilant de sa cliente. Tout le reste du quartier des souks se recueille, surtout autour de la mosquée al- Mansouri al-Kébir, classée monument historique et devenue le principal lieu de rendez-vous des fidèles dans la capitale du Nord. C’est d’ailleurs dans sa cour que vendredi dernier, cheikh Fathi Yakan a tenu des propos très virulents contre les Américains. Rien de tel toutefois, cette semaine. Selon des sources bien informées, les Syriens auraient adressé des menaces très fermes à tous les groupes islamiques pour qu’ils tempèrent leur langage, parce qu’à l’heure actuelle, ils ne souhaiteraient pas s’embarrasser de nouveaux problèmes. « Une liste honorifique » Le président du Conseil Rafic Hariri a pratiquement tenu le même langage aux muftis réunis chez lui il y a deux jours. Mais les Syriens possèdent sans doute des arguments plus convaincants, surtout avec les diverses organisations islamiques. Résultat, dans toutes les mosquées de Tripoli, même celles qui fleurissent dans les quartiers pauvres qui servent de viviers aux groupes islamistes, le langage est resté mesuré. Seul le cheikh Moustapha Malasse du Rassemblement des ulémas musulmans, a dénoncé le «terrorisme américain», affirmant que la liste des 22 terroristes les plus recherchés du monde sera reconnue sous peu comme étant une liste honorifique. «Ben Laden et les taliban ne constituent pas un danger. Ce sont les Américains et leur politique d’arrogance et d’injustice qui constituent une menace pour les peuples». Les fidèles boivent littéralement les propos du cheikh et à la fin de la prière qui dure un peu plus d’une heure à cause des prêches, ils commentent solennellement la situation. Certains vont d’un pas rapide, pressés de rentrer chez eux pour le déjeuner, mais d’autres traînent les pieds, préférant refaire le monde. Ahmed est ainsi très content que les juifs «qui sont d’habitude très malins connaissent enfin l’amertume de l’assassinat. Ils ne savent pas ce qui les attend encore». À Tripoli, la plupart des fidèles se sentent concernés par la Palestine et l’intifada dans les Territoires autonomes. Les jeunes souhaiteraient s’enrôler et les plus vieux se contentent d’approuver. Moumtaz ne cache pas son admiration pour Ben Laden, l’homme qui, selon lui, a donné une bonne leçon aux Américains. «Grâce à lui, chacun de nous se sent plus fort. L’époque où les musulmans étaient piétinés et humiliés est finie. L’avenir est à nous». Ses camarades opinent solennellement de la tête. Dans les rues du marché soudain redevenues grouillantes de vie, tout le monde parle de la situation en Afghanistan. Le business passe au second plan, la priorité étant à la situation politique. Mais les Tripolitains sont devenus méfiants. En voyant un étranger, ils restent sur leurs gardes, mais dès qu’on émet une critique contre les Américains, les langues se délient et la rue se met à gronder. «C’est bien fait pour eux, cette bactérie du charbon. Regardez-les comme ils ont peur. Le processus déclenché ne finira pas de sitôt. Ils vont faire connaissance avec la peur, la douleur et la souffrance». Une affaire d’hommes Les femmes écoutent silencieusement. À Tripoli, elles ne sont pas nécessairement voilées et font tranquillement leur marché dans les souks aux odeurs épicées. Aucune d’elles ne veut parler de politique. «C’est l’affaire des hommes», dit l’une d’elles en baissant les yeux. Impossible d’en savoir plus sur leurs opinions, les femmes restent discrètes, laissant les commentaires aux hommes, qui semblent très montés contre les Américains et bien sûr les Israéliens. La rue à Tripoli, ou en tout cas dans ses quartiers populaires affiche clairement son identité arabe et musulmane. Ici, les habitants sont solidaires des Afghans et appellent de tous leurs vœux la défaite des Américains. Mais lorsqu’on leur demande pourquoi les prêches étaient modérés ce vendredi, ils répondent avec philosophie : «Nous ne voulons pas d’ennuis ; la situation est déjà assez grave comme cela. Mais cela ne nous empêche pas d’avoir notre opinion». En fait, très peu d’entre eux sont prêts à aller se battre pour l’Afghanistan. Et même pour la Palestine. Mais ils peuvent bien prier pour la victoire. «La pensée est libre, n’est-ce pas ?», lance avec humour Wissam, un jeune homme vêtu à l’occidentale, mais dont la barbe naissante laisse prévoir une radicalisation certaine. «Si les Américains étaient plus équitables, ils ne provoqueraient pas tant de haine. Ils ont pourtant les moyens d’être justes. Mais ils ne le veulent pas. Ils ne sont qu’arrogance et supériorité. On va voir comment ils vont se débrouiller maintenant...».
Les quasi-menaces syriennes et les demandes insistantes du président du Conseil Rafic Hariri ont porté leurs fruits : les prêches du vendredi étaient relativement modérés à Tripoli. Si la plupart des cheikhs ont évité les sujets cruciaux, se contentant d’appeler à l’unité des croyants contre les infidèles, ils restaient incapables de calmer la révolte des jeunes qui,...