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Actualités - OPINIONS

La nuit, le jour -

«J’attends une arrivée, un retour, un signe promis. Ce peut être futile ou énormément pathétique : chez Schönberg, une femme attend son amant, la nuit, dans la forêt ; moi, je n’attends qu’un coup de téléphone, mais c’est la même angoisse. Tout est solennel : je n’ai pas le sens des proportions». Au travers de ses mots, Roland Barthes laissait volontairement, inconsciemment, une grande place au politique. Aujourd’hui plus que jamais, le Libanais attend. Rivé devant son écran de télévision qui ne lui montre en fait pratiquement rien, il entrevoit les missiles tomber sur l’Afghanistan. Il entend surtout l’incontournable Donald Rumsfeld parler «d’autres pays, d’autres organisations» susceptibles d’être frappés de plein fouet par la Liberté immuable. Il entend de grands analystes, des observateurs internationaux évoquer l’Irak, le Yémen, le Soudan. Et le Liban. Le Libanais attend donc en se demandant, à tort, à raison, «à quand mon tour ?». Pendant que le Premier ministre Rafic Hariri sautille de capitale en capitale, amassant des informations «de première importance» qui, dit-on dans son entourage, «ne sauraient être, pour l’instant, révélées». Pendant que le ministre de l’Information Ghazi Aridi, en vedette sur el-Jazira, se perd en explications, reprochant aux Américains, plus de trois semaines après la mutilation de New York et après des contacts planétaires tous azimuts orchestrés par Washington, de mettre le monde arabo-musulman «devant le fait accompli». Pendant que le président de la Chambre se mure dans un incompréhensible silence. Et pendant que le chef de l’État réitère à l’infini son refus de confusion entre terrorisme et résistance. Aujourd’hui le Libanais attend. De voir ce que va faire son pays. Comment le Liban – qui, avant le 11 septembre, finissait de se noyer dans une inextricable crise sociale, économique, politique et tutti quanti – peut désormais s’en tirer. Tirer son épingle du jeu qui lui échappe presque complètement. Et dont les conséquences – mais pas les règles – ne le concernent pas encore. Envolées la francophonie, la conférence baptisée un peu prématurément Paris II, envolées, pour l’instant du moins, les éventuelles sollicitudes du FMI, celles de la Banque mondiale, les autres. Les événements du 11 septembre et leurs retombées que l’on sait n’ont pas déplacé l’alerte rouge d’au-dessus du Liban. Loin de là. L’alerte rouge est toujours bel et bien là, sauf que tout se passe ailleurs, alors on croit l’avoir oubliée, alors on attend. Bien obligés certes, mais le jour où la Liberté immuable finira bien par régner, le réveil ici sera dur, très dur. Si d’ici là, le Liban n’a rien fait. Le Libanais attend. Une solution à son désastre économique. Se pourrait-il qu’elle vienne du budget 2002 sur lequel planche en ce moment la Commission parlementaire des Finances et du Budget ? Un projet de budget, aujourd’hui, on le sait bien, ne peut rien à lui tout seul. Surtout lorsque dans ses grandes lignes il copie un de ceux qui l’ont précédé et que l’on a tellement décrié. Le Libanais attend. Il a souvent entendu parler, ces jours derniers, de remaniement gouvernemental. Ou plutôt, d’une volonté de… Par la bouche, même, de certains dirigeants en qui il place sa grande confiance. Sauf que, pour reprendre les mots de l’autre, «la constitution syrienne veut qu’il n’y ait de changement gouvernemental qu’au moment d’une élection». Traduction : ce que l’on réussissait à éviter hier s’appliquera désormais au Liban. Tout est dit. Et puis le Libanais à qui la rumeur de l’entrée de Kornet Chehwane (qui ? quoi ?) au gouvernement est arrivée, a vite souri : peut-on envisager de récompenser celle ou celui qui en appelle au juste retrait syrien ? Justement, le Libanais attend. Le dossier – brûlant pour une grande majorité de ses concitoyens – de la présence syrienne, des désormais bien connus et malheureusement bien creux et bien inutiles appels au rééquilibrage des relations, au redéploiement, au retrait, bref, à une simple, une réelle souveraineté du Liban et de sa décision, ce dossier-là, depuis le 11 septembre, a tout bonnement l’air d’avoir été expédié aux calendes grecques. Depuis, surtout, que la Syrie a accédé, il y a deux jours, au Conseil de sécurité de l’Onu. Du «machin», comme l’appelait le général. Eh bien, «mabrouk», comme on dit ici… Et pendant ce temps, le Libanais continue d’attendre. L’envoi de l’armée au Sud, le respect par Israël des résolutions onusiennes, il attend le Hezbollah aussi. Un congressman américain, envoyé par l’Administration US, a parlé hier à Awkar. Disant qu’il fallait demander des comptes au parti intégriste à propos de son passé. Un parti toujours présent sur la liste noire de Washington. Le Hezbollah post-Toufayli n’a, visiblement, plus grand-chose à voir avec sa première mouture. Soit. Qu’attend-il alors pour devenir un Sinn Fein proche-oriental, pour rendre ses armes à l’armée, acquérir ainsi une indiscutable respectabilité, faire taire l’ensemble de ses nombreux détracteurs, libanais comme étrangers ? Le Libanais attend donc. Bien obligé. Attend une bonne étoile, un Zorro, comme d’habitude, que les autres fassent… Il ne fait en cela que suivre tout naturellement ses dirigeants. Un choix somme toute pas très heureux. Ni pour l’un ni pour les autres. «Parfois, le temps d’un éclair, je me réveille et renverse ma chute. À force d’attendre avec angoisse (…), tout d’un coup monte en moi une phrase puissante : “Mais qu’est-ce que je fous là…” Roland Barthes, encore. Inouï de vérité...
«J’attends une arrivée, un retour, un signe promis. Ce peut être futile ou énormément pathétique : chez Schönberg, une femme attend son amant, la nuit, dans la forêt ; moi, je n’attends qu’un coup de téléphone, mais c’est la même angoisse. Tout est solennel : je n’ai pas le sens des proportions». Au travers de ses mots, Roland Barthes laissait volontairement,...