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Actualités - CONFERENCES ET SEMINAIRES

COLLOQUE - Inauguration d’« Ecritures et dialogue des cultures » hier matin à l’USJ - L’Internationale francophone lutte contre la langue unique

Sous le patronage de Marwan Hamadé, ministre des Déplacés et en présence des représentants des ambassades de France et du Canada, a eu lieu hier matin, sur le campus de la faculté de médecine de l’USJ l’inauguration du colloque placé sous le label du Sommet de la francophonie et intitulé «Ecritures francophones et dialogue des cultures». Sous la présidence de Katia Haddad, professeur de littérature française à l’USJ, la première journée s’est déroulée autour des séances inaugurales du père-recteur de l’université Sélim Abou et de Marwan Hamadé, puis autour du mot d’introduction assuré par Marc Augé, directeur de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales de Paris ; des allocutions de : Jean-Louis Joubert, professeur à l’université de Paris XIII, Yannick Resch, de l’Institut d’Etudes politiques d’Aix-en-Provence (autour du thème «Critères de définition») ; Abdelhak Serhane écrivain marocain, Mounir Chamoun, psychologue et professeur à l’USJ (autour du thème «Pathologies et dialogue des cultures»). Nous reproduisons ici l’essentiel des interventions. Sélim Abou : pouvoir de l’écrivain bilingue «Dialogue urgent des cultures certes, mais selon quelles modalités» ? (...) Peut-on pour autant affirmer que les cultures respectives (des États) dialoguent à travers eux ? Sont-ils pleinement représentatifs de leurs populations ? C’est là que se situe le véritable enjeu de la rencontre des cultures et non dans les réunions internationales, quelque soit leur importance. Or qui mieux que les artistes, et singulièrement les écrivains, porte en soi la double dimension du collectif et de l’individuel ? (...) (Le poète Claude Esteban) a écrit : «Je devais à ma condition de bilingue, sinon quelque chose du pouvoir (de ceux qui communiquent avec le sacré), du moins le pressentiment de ce qu’il pouvait être – une remise en cause des catégories de l’intelligible, un commerce comme illicite avec l’unité primitive, avec l’âme inentamée du cosmos». Cette expérience dont Esteban nous fait part, pour personnelle qu’elle soit, est peut-être généralisable à l’ensemble des individus bilingues et biculturels. Elle en induit une autre, celle de la rencontre de l’écrivain, porteur de sa culture multiple, avec l’ensemble de ses lecteurs qui sont, dans leur très grande majorité, monolingues et monoculturels. Ici aussi, un processus particulier entre vraisemblablement en action : un lecteur peut-il longtemps faire d’une œuvre multiculturelle une lecture équivoque ? Cette œuvre n’agit-elle pas sur lui ? Ne sème-t-elle pas en lui les germes d’une autre forme encore du dialogue des cultures ? (...)». Marwan Hamadé : Pour une amicale des cultures Voici, dans ses grandes lignes, l’intervention du ministre des Déplacés : «Voilà un siècle que de sombres prophètes annoncent la disparition prochaine des religions. Voilà un demi-siècle que d’autres prédicateurs affirment la suprématie absolue de la science sur toutes les consciences. Pour les recalés de la technologie que nous sommes en ce tiers-monde, plus ou prou d’espoir de rattrapage. Voilà enfin une bonne décennie qu’un nouveau diagnostic prévoit le laminage des cultures, l’érosion des particularismes et l’intégration de notre monde au nouvel ordre dominé par une seule puissance, véhiculé dans une seule langue, articulé sur une seule culture. Plus modestement, un courant dit francophone prêche, au-delà du partage d’une langue, l’ouverture et l’élargissement du débat à tous ceux, athées, agnostiques ou mécréants pour qui la cause de l’homme est une cause sacrée, débat pouvant aboutir à la constitution d’une véritable «amicale de cultures», favorisant le brassage plutôt que l’exclusion, prônant la participation au lieu de l’hégémonie. Rien d’étonnant, donc, mesdames messieurs, à ce que votre colloque se tienne à Beyrouth. Ni qu’il aborde le thème «Ecritures francophones et dialogue des cultures». Le lieu, le sujet, les participants avaient été choisis ou sollicités bien avant que ne s’écroule, avec les tours jumelles de New York, l’illusion du nouvel ordre et ce dans la perspective que le 9e sommet des chefs d’État et de gouvernement ayant le français en partage, placé précisément sous l’étendard du dialogue prônerait, à partir de nos rives, l’urgence de faire chemin culturel ensemble mais sans se fondre ni se confondre. Face à l’uniformité imposée par un seul système d’idées et de références, y aurait-il encore une place pour la variété des tons, la diversité des croyances, la pluralité des approches ? Ou serions-nous paradoxalement, au nom des libertés si chèrement acquises, prisonniers d’un nouveau parti unique géré par de nouveaux apparatchiks et dont les «golden boys» du politburo et le comité central se recruteraient au sein des places financières et des multinationales (...). Quel rôle des écritures, quelle mission pour les écrivains dans ce dialogue annoncé. Peuvent-elles, peuvent-ils substituer aux conflits ouverts ou potentiels une autre thérapeutique que l’inopérant cocktail de violence et d’injustice, couramment prodigué sur notre planète ? (...). Si la culture a donc un rôle à jouer, c’est d’abord celui de dissiper ce malentendu. Hélas, c’est souvent le contraire qui se produit et la culture médiocre, superficielle finit par consolider le malentendu qu’elle devait dissiper. On a souvent cru que la globalisation de l’information forcerait les communicateurs et leurs instruments à une approche plus équilibrée et plus juste des grands dossiers contemporains, dont celui, particulièrement sensible, des relations Nord-Sud et Est-Ouest où s’introduisent les frictions et les incompréhensions qui affectent entre elles, les cultures et les religions au point de déclencher ce que certains prétendent, un peu vite, être une troisième guerre mondiale. Or il est bien établi que le choc n’est pas entre les civilisations, il est à l’intérieur de chacune d’elles. Le bien et le mal ne peuvent faire l’objet d’un manichéisme simpliste. La terreur peut être blanche, noire, jaune ou basanée ; elle peut être d’État ou privée, de gauche ou de droite, du Nord ou du Sud. Nous sommes bien placés pour le savoir et le temps est venu de l’admettre. Pris, pendant vingt ans, entre les feux croisés de l’expansionnisme sioniste, du fondamentalisme musulman et de l’isolationnisme chrétien, le Liban ne s’en est sorti qu’en résistant au premier et en jugulant les deux autres. Dans cette opération de sauvetage national, qui n’est d’ailleurs pas achevée, les écrivains ont posé les premiers jalons, les combattants et les politiques ont suivi. La littérature francophone y a, elle aussi, contribué avec des retours de flamme significatifs vers l’œuvre de Michel Chiha, le théâtre de Georges Shéhadé, les poèmes de Nadia Tuéni (...). Or, l’écriture francophone, porteuse du meilleur de la pensée francophone, est le plus performant véhicule du dialogue. Ce n’est pas la langue seule, aussi séduisante soit-elle, qu’elle nous offre ainsi en partage, mais plutôt l’image, bien développée et contrastée d’une certaine forme de civilisation. Des idéaux de 1789, à la courageuse décolonisation gaullienne, de l’équilibre des approches sociales et des comportements économiques, à la relation privilégiée avec l’islam et chaleureuse avec l’Afrique et l’Asie, c’est tout un style de pensée et de vie que la francophonie nous propose désormais. Nous pouvons largement y puiser, dans le conscient et le subconscient, dans l’écrit, le parler ou même la vision, sans rien altérer à notre spécificité propre. Il en est ainsi de notre engagement francophone qui s’accommode fort bien de notre appartenance arabe. Il en est ainsi de la convivialité, victorieuse au Liban de toutes les tentatives de démembrement. Il en est ainsi de l’expérience, chaque jour renouvelée, d’une vie commune entre 17 rites qui ont su malgré les phases de friction résister à la fatalité de la partition. Quand le Liban vous sera conté, vous trouverez à travers les pages et les chapitres la meilleure projection du monde de demain. Or personne n’a aussi bien conté ce miracle libanais que les écrivains francophones. Ils l’ont disséqué, analysé, chanté, magnifié défait et reconstruit, mais dans le souci du dialogue et de l’ouverture. Car quand rien n’est définitif, immuable, figé, et quand leur sujet se situe au confluent de deux cultures, les écrivains sont, chaque instant, sollicités, fixant les limites à ne pas dépasser, arrondissant les angles, inventant les compromis, dépassant les contradictions (...). C’est en effet au Liban que se sont le mieux tissées les relations très particulières (je serais même tenté de dire les liaisons parfois dangereuses) entre l’écriture francophone et la véritable vocation du pays. C’est en français qu’ont été véhiculées les idées empruntées à la France pour mettre fin au mandat de la France. C’est en français qu’a été rédigé notre première Constitution copiée sur celle de la Troisième République. C’est à la France, et en français que seront promulgués les premiers codes civil, pénal ou de procédure du Grand Liban. C’est en français et soutenus par la majorité des Français, que nous larguerons, par traités successifs, nos amarres militaires et financières avec la France. C’est peut-être pourquoi nous sommes le seul pays arabe qui peut se targuer d’avoir conservé, sans difficultés ni complexes une grande partie de ces valeurs que la Francophonie et la France nous ont léguées. Désormais ceux d’entre nous qui pensent en arabe, écrivent en français et croient au dialogue des cultures se sentent en paix avec leur francophonie et leur arabité dès qu’elles ne sont plus antinomiques. Nous croyons fermement, je l’ai dit à Beyrouth, soutenu à Ryad et répété au Caire à une sorte de dialectique absolument bienfaisante pour les deux cultures, en cela que l’Arabisme devrait puiser dans les valeurs véhiculées par la Francophonie de quoi lui permettre d’aborder le IIIe millénaire dans un esprit d’ouverture et de modernité. À l’opposé, la Francophonie peut trouver dans l’espace arabophone la meilleure caisse de résonance à ses valeurs. On constate ainsi combien cette notion de francophonie qui était mal perçue et qui apparaissait à l’élite arabe comme la survivance d’un orientalisme suranné, trouve aujourd’hui des atomes crochus avec le monde arabe et islamique. Même, là où la langue faisait défaut les traducteurs ont comblé le vide. Le livre étant un de nos principaux produits d’exportation, de nombreux éditeurs présents ce matin parmi nous peuvent témoigner de l’ampleur de cette diffusion. Idem pour les éducateurs : dans la palette très riche des langues étrangères proposées, ils constateront que le français résiste fort bien aux avancées de l’anglais. À la base de ce phénomène, la constatation bien étayée que la formation francophone facilite l’accès aux autres langues, aux autres cultures. Le contraire n’est pas établi (...). Pour cela un principe de base : la liberté. C’est un mot que chérissent tous ceux qui partagent chez nous et avec vous les écritures et les valeurs francophones. Aussi faudra-t-il pour la préserver, alimenter cette demande universelle de culture française sans arrêt rehaussée par des écrivains de tous les continents. Il faudra tout autant éviter que ne s’étiolent les institutions francophones pléthoriques, tentaculaires et immobiles. Attention au prochain sommet. Qu’il se tienne cette année ou dans quelques mois, il devra trancher le débat culturel et politique. Ecrire en français c’est plaider pour le divers, opter pour la tolérance, lutter pour la liberté. Si les lois du marché parlent aujourd’hui l’anglo-américain, les lois de l’éthique et de la culture peuvent et doivent conserver, elles, leur accent français. Avec la justice et l’égalité pour ciment les alliances sacrées contre le terrorisme seront alors bien plus larges et bien plus solides». Voltaire et la langue parfaite Quant à Marc Augé, il retient deux éléments fondamentaux de «la langue au singulier et des cultures au pluriel» : tout d’abord, c’est «le respect et la compréhension qui mènent à l’universel» et que «la littérature à venir se doit de s’élaborer à partir de la construction de soi et de la rencontre des autres». Jean-Louis Joubert, en guise de définition de la francophonie, se reporte au tout premier usage de la notion effectué par Voltaire, dans sa correspondance avec Frédéric, futur roi de Prusse, c’est-à-dire en 1739, et qui évoque, dès l’année suivante et bien avant Rivarol, l’«universalité de la langue française», et celle-ci devient peu à peu une véritable «mystique francophone». Il rappelle que c’est la littérature créole francophone qui rompt le mythe de la clarté parfaite du français. Yannick Resch creuse le voie tracée par le conférencier précédent et évoque à grands traits ce qu’elle appelle, dans l’histoire de la littérature québécoise, «la sortie de la québécité» : celle-ci s’est lentement mais sûrement effectuée à partir des années 60 jusqu’à arriver aux années 80 où une «véritable mise en question des critères met en cause le discours de la fondation» de cette littérature, au point qu’il ne s’agit plus d’identité mais d’«identitaire». Maison en bois et exil de glace Pour la section des «Pathologies et dialogue des cultures», l’écrivain marocain Abdelhak Serhane a préféré évoquer de manière très symbolique et narrative son entrée dans le français jusqu’à devenir écrivain dans cette langue. D’une enfance dans une maison en bois construite par son père menuisier et tapissée de journaux français pour colmater les brèches en hiver jusqu’à la rédaction de son premier manuscrit et de sa publication en 1982, Abdelhak Serhane confie que le français s’est imposé à lui de manière quasi naturelle. Sans commentaire, mais de bonnes raisons de découvrir une œuvre composée aujourd’hui de 15 volumes. Enfin, Mounir Chamoun a clôturé la séance du matin en évoquant à sa manière «les risques de l’acculturation», un thème qui lui est cher et qu’il a découpé pour l’occasion en trois sections : «le sur-moi culturel», un des grands leitmotivs freudiens ; «les injonctions paradoxales», concernant particulièrement les individus découvrant un nouveau pays et une nouvelle culture ; enfin, «les souffrances identitaires» menant souvent à des comportements paranoïaques, dus à la «pensée libre», c’est-à-dire celle qui est délivrée des garde-fous jalonnant son chemin dans son pays natal et qu’elle ne retrouve plus dans son pays d’adoption. Le programme et les intervenants d’aujourd’hui – 9h-10h20 : Dialogue des imaginaires, dialogue des langues, dialogue des cultures : Salah Stétié, Richard Millet, Robert Solé et Samir Marzouki. – 11h-12h20 : La langue, entre conflit et négociation : Lina Choueiri, Boris Boubacar Diop et Ahmadou Kourouma. – 14h-14h20 : Aspiration à l’universel : Jean-Luc Outers. – 15h30-16h : Edition, choix éditoriaux et dialogue des cultures : Ghassan Tuéni et Karim Ben Ismaïl. – 16h15 : La production théâtrale et cinématographique et le dialogue des cultures : Gabriel Boustany. – 16h30, synthèse par Katia Haddad. Toutes les conférences se donneront à l’amphithéâtre C du campus de la faculté de médecine, rue de Damas. Entrée libre.
Sous le patronage de Marwan Hamadé, ministre des Déplacés et en présence des représentants des ambassades de France et du Canada, a eu lieu hier matin, sur le campus de la faculté de médecine de l’USJ l’inauguration du colloque placé sous le label du Sommet de la francophonie et intitulé «Ecritures francophones et dialogue des cultures». Sous la présidence de Katia...