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Actualités - REPORTAGES

Le renouveau de l’Europe

Les rapports plus intimes entretenus avec le monde arabe ont en effet favorisé les progrès dans deux ordres de connaissances : une science abstraite d’abord, les mathématiques, que Gerbert, dès la fin du Xe siècle, avait étudiée en Catalogne, qui peu à peu s’intègre dans les programmes d’enseignement en usage dans les écoles chartraines et laonnaises, et dont l’étude approfondie a soutenu les efforts des théoriciens de la musique et rendu possibles les découvertes architecturales des maîtres d’œuvre romans ; une technique ensuite, la médecine, dont les recettes, empruntées aux commentateurs musulmans d’Hippocrate, sont répandues par des écoles spéciales établies au voisinage des confins islamiques, celles de Salerne, célèbres dès le Xe siècle, celles de Montpellier, fondées au début du XIIe.Autres recherches, qui débordent le cadre du trivium et du quadrivium, celles des juristes. Suscitées à la fois par le développement des échanges commerciaux et la croissance des villes, qui ont soulevé des difficultés juridiques que la coutume féodale ou banale ne permettait pas de résoudre, et par la Querelle des Investitures, qui provoqua la refonte des collections canoniques et un inventaire général des décrétales pour asseoir les prétentions pontificales, elles sont menées surtout en Italie et s’orientent dans deux directions : vers l’étude de droit romain, par le commentaire du Digeste, poursuivre surtout en Romagne, dans la province latine restée le plus longtemps soumise à la domination byzantine, à Ravenne d’abord, puis dans les écoles de Bologne qu’illustre au début du XIIe siècle le glossateur Irnerius ; vers l’établissement définitif du droit canonique, par l’harmonisation des propositions discordantes contenues dans les diverses collections de décrétales, effort de conciliation qui aboutit vers 1140 au décret de Gratien. Mais le plus remarquable des progrès qui s’accomplissent à cette époque dans le domaine intellectuel est celui de la logique, de la spéculation rationnelle appliquée aux problèmes théologiques. Dans la première partie du XIe siècle, la philosophie est encore un simple exercice de formation, inclus dans la dialectique et destiné à assouplir le raisonnement des étudiants ; c’est ainsi que, dans les écoles de Chartres, on commente devant eux quelques textes où se reflète la pensée platonicienne, des pages de Sénèque, des traités de Boèce et de Jean Scot ; et, élevant le débat, on pose le problème qui passionne les penseurs du temps, celui des «universaux», de la réalité des idées générales. Mais ces jeux de l’intelligence sont encore strictement séparés des préoccupations religieuses : c’est essentiellement par l’amour, et non par un effort de la raison, que le chrétien cultivé d’alors, nourri de la lecture de la Bible, cherche à se rapprocher de Dieu. Toutefois, du fait de l’enrichissement des connaissances et de l’agilité croissante des facultés intellectuelles, le moment vient, vers 1070, où se fait sentir le besoin, non pas certes de discuter le contenu de la révélation, mais de l’approfondir par le raisonnement : pour les clercs de la nouvelle génération, Dieu n’est plus seulement amour, il est aussi vérité, et c’est sur la raison qu’est fondée la ressemblance de l’homme avec lui ; ils entreprennent par conséquent la méditation rationnelle du dogme ; leur foi est en quête d’intelligence. Fides quaerens intellectum, l’expression est de saint Anselme (1033 – 1109), maître à l’abbaye du Bec, puis archevêque de Canterbury, qui ouvre la voie à la théologie raisonnante, étroitement associée à la philosophie, dont la tâche est de concilier la révélation et la raison. Dès lors, les méthodes de la dialectique sont appliquées à la lecture de la divina pagina, des livres saints et des écrits des Pères, et en modifient progressivement le caractère. Peu à peu s’élargit la part de la réflexion personnelle ; le lecteur se fonde toujours sur les autorités, mais il prend plus de liberté avec elles ; à la glose, au commentaire littéral se substitue, avec Anselme de Laon, disciple de saint Anselme et écolâtre de grand renom, la «sentence», c’est-à-dire le recueil systématique de tous les passages de l’Écriture et des Pères se rapportant à tel point important du dogme. De la sentence sort la quaestio : lorsque, sur un problème, les autorités confrontées se révèlent en discordance, il appartient à la logique d’essayer de les concilier et cette fois la raison, placée toujours, bien sûr, au service de la Foi, remplit dans la recherche de la vérité une fonction essentielle. En deux générations, la méthode scolastique était fondée. Aussitôt, les dangers de cette libération des facultés humaines apparaissent, et particulièrement dans l’enseignement parisien de Pierre Abélard et dans son recueil de «questions» intitulé Sic et Non. Le respect des textes sacrés, la foi même ne sont-ils pas maintenant menacés par la hardiesse de certains maîtres séculiers, sûrs de leur raisonnement et de ses possibilités ? Déjà s’esquissent les premières réactions contre la dialectique : un saint Bernard, un Hugues de Saint-Victor – des «réguliers», représentants éminents de ceux qui recherchent l’humilité, la pauvreté, de corps et d’esprit, qui souhaitent retrouver la spiritualité de l’Église primitive, revenir à la vie apostolique, et qui, pour cela, se réfèrent à l’ancien Testament, à saint Augustin et aux Pères grecs – opposent aux théologiens rationnels la démarche mystique, reconnaissant dans la charité la vraie voie qui mène à Dieu et, sur ce chemin de contemplation, trouvent une aide dans la dévotion à la Vierge médiatrice. En 1140, l’abbé de Clairvaux fait censurer au concile de Sens certaines propositions trop audacieuses d’Abélard qui, brisé, abandonne le monde ; au concile de Reims, en 1148, il amène, après de longues discussions, le maître parisien Gilbert de La Porée à se rétracter. Mais ces victoires de l’esprit monastique, ces sanctions, ces soumissions, ces sacrifices des penseurs les plus vigoureux à l’unité de l’Église ne diminuent pas l’ardeur pour les recherches logiciennes. Toujours plus nombreux, les étudiants se pressent dans les écoles de Paris, où décidément sont réunis les dialecticiens les plus habiles et où s’achève de se construire le premier des grands systèmes philosophiques d’Occident. Édouard Perroy : «Histoire générale des civilisations T. III, P.V.F., Paris»
Les rapports plus intimes entretenus avec le monde arabe ont en effet favorisé les progrès dans deux ordres de connaissances : une science abstraite d’abord, les mathématiques, que Gerbert, dès la fin du Xe siècle, avait étudiée en Catalogne, qui peu à peu s’intègre dans les programmes d’enseignement en usage dans les écoles chartraines et laonnaises, et dont l’étude...