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Actualités - REPORTAGES

HISTOIRE - Quand les savants maronites initiaient Madrid aux manuscrits arabes - L’orientalisme en Espagne -

Les racines de l’orientalisme en Espagne sont très profondes. Elles remontent, dans le temps, à la toute première époque de l’invasion de Tareq ibn Ziad au VIIe siècle. Il serait plus juste ici de parler d’«arabisation». Les autochtones durent apprendre la langue du conquérant et adopter ses us et ses coutumes. Puis vint l’étape des Mozarabes, à savoir les chrétiens qui s’arabisèrent et vécurent à l’ombre du pouvoir musulman, surtout à Tolède. Ils y acquirent une notoriété culturelle et sociale sans précédent qui culmina aux XIIe et XIIIe siècles. Ils furent même les pionniers de l’orientalisme européen. Citons parmi eux l’archevêque de Tolède Ximenes de Rada (1170 – 1247) qui écrivit, en latin, une Histoire des Arabes (Historia Arabum); ainsi que l’évêque saint Pedro Pascual auteur d’une Réfutation de la religion de Mahomet en langue espagnole ancienne. Ces deux ouvrages parurent à l’époque des grandes controverses entre l’islam et le christianisme. Ils relataient la vie du Prophète et étaient émaillés de citations tirées du Coran et de quelques récits, tels que le voyage nocturne de Mahomet. C’est à travers ces deux ouvrages que ces histoires entrèrent dans le patrimoine littéraire occidental et qu’on a retrouvées dans l’œuvre de Dante, comme l’ont démontré les études modernes. À la même époque débuta l’ère du prosélytisme religieux et des missions. Les moines en furent les fers de lance. En effet, tous les ordres religieux se perfectionnèrent dans les langues sémitiques principalement l’arabe et l’hébreu. Le plus illustre de ces moines fut le dominicain Ramon Marti (1230 – 1286), élève de saint Albert le Grand à Paris et camarade de saint Thomas d’Aquin. Outre qu’il fut un grand théologien et un grand philosophie, il maîtrisait à la perfection l’arabe, l’hébreu et le chaldéen. Il publia en latin La défense de la foi contre les Arabes et les juifs, on y percevait l’influence d’Ibn Roshed et de Ghazali, tout comme ce même ouvrage influença à son tour un grand nombre de théologiens et de philosophes chrétiens. Il fut aussi le premier à publier un dictionnaire arabe-latin. Le franciscain Raymond Llull (1235 – 1316), qui écrivait et parlait couramment l’arabe, fonda une école arabe dans l’île de Majorque dont il était originaire. Il obtint du pape Honorius IV la permission d’ouvrir à Rome un institut pour l’enseignement des langues orientales. Il obtint aussi du concile de Vienne l’autorisation de fonder des chaires de langues orientales à Paris, à Oxford, à Bologne et à Salamanque, pour, disait-il, comprendre la langue des musulmans et des juifs, ce qui facilitera plus tard leur conversion. Il fut martyrisé en Afrique alors qu’il s’employait à semer la bonne parole. Les études qui tournent aujourd’hui autour de cette personnalité hors du commun prouvent combien il connaissait Ibn Arabi et son œuvre et combien il eut de l’influence sur les penseurs européens. Cette époque se caractérisa aussi par une ouverture culturelle, tous azimuts, à commencer par un grand chantier de traduction des œuvres des penseurs de l’Orient de tous les temps, le principal centre de traduction fut la ville de Tolède. Réunis autour de l’archevêque de la ville, plusieurs savants traduisirent la somme des connaissances encyclopédiques des Grecs, des Hébreux et des Arabes en langue latine. Les méfaits de l’Inquisition Le deuxième chantier culturel fut celui initié par le roi Alphonse X le sage au XIIIe siècle, qui connaissait à merveille la langue arabe. Les savants qu’il groupa autour de lui à sa cour achevèrent l’œuvre des précurseurs. Les fondements de l’orientalisme espagnol et international étaient jetés. Mais très vite la ruche culturelle de l’Espagne allait entrer en léthargie, car dès le début du XVe siècle l’Inquisition allait étouffer toute velléité de pensée et d’expression. Tout le monde le sait, la répression n’a jamais conduit à l’ouverture des esprits, à l’opulence, au bien-être et à la tolérance. D’un autre côté, la découverte du nouveau monde à la fin de ce XVe siècle allait occuper pendant deux ou trois siècles l’Église, les États européens et leurs peuples à asseoir leurs dominations sur ces nouveaux territoires. Le renaissance orientalisque de l’Espagne va reprendre de la vigueur et un nouveau souffle à partir du XVIIIe siècle. Mais cette fois-ci, c’est de l’étranger que vont venir ceux qui, par leur science et leur érudition, vont faire revivre les vieux textes des anciens. En effet, et de l’avis des historiens espagnols eux-mêmes, c’est aux savants maronites : Germanos Farhat (1670 – 1732) qui a initié les Espagnols aux manuscrits arabes, au père Élias Chidiac qui était l’interprète officiel du palais royal de Madrid, au père Boulos Khodr qui fouilla dans les vestiges arabes de l’Espagne et du Portugal, et enfin et surtout au père Mikhaël el-Ghaziri (Miguel Casiri) (1710 – 1791). Nommé en premier lieu interprète des langues orientales à la cour de Carlos III et directeur de la bibliothèque royale, on lui confia par la suite le soin d’archiver les manuscrits orientaux de l’Escurial. Il y passa dix ans de sa vie à préparer les deux volumes de sa Bibliotheco Arabico – Hispanica Escurialensis (1710 – 1770). Il mit ainsi à la portée des spécialistes ce fabuleux trésor, car chaque manuscrit recensé était accompagné d’une introduction et de notes explicatives sur son contenu. On doit aussi à ce savant une recension complète des termes, et des noms des villes, et des villages de l’Espagne qui sont d’origine arabe. Tout comme il étudia soigneusement les inscriptions épigraphiques sur les murs du palais de l’Alhambra à Grenade, du palais de Seville et de la mosquée de Cordoue. Renouveau de l’orientalisme Il éveilla par ce biais, à nouveau, la curiosité des Espagnols sur leur ancienne histoire et au fabuleux héritage de leur riche culture. La richesse de leur langue émaillée de termes arabes, les noms de leurs villages et de leurs villes principales partant des noms arabes ou phéniciens, les noms des principales mosquées transformées en églises et de leurs palais couverts d’inscriptions épigraphiques tirées du Coran, et des poèmes arabes, l’opulence de leurs bibliothèques qui regorgent de manuscrits arabes et orientaux. Ce travail ingrat mais utile des maronites allait donner un nouvel essor à l’orientalisme qui ne va cesser de s’épanouir jusqu’à nos jours. Au XVIIIe siècle, les Espagnols vont de nouveau s’intéresser à l’orientalisme. Le père Patricio de la Torre apprit l’arabe et l’enseigna à l’Escurial. Il mit au point un dictionnaire espagnol-arabe qui ne fut jamais publié ; mais l’orientaliste Dozy affirme l’avoir compulsé et en avoir profité. Le franciscain Thomas Obicini écrivit en latin une encyclopédie qu’il intitula Le trésor de la langue arabe. Francisco Canes (1730 – 1789) nous laissa trois ouvrages : un dictionnaire espagnol-arabe, une encyclopédie espagnole-arabe et un dictionnaire espagnol-latin-arabe. Le jésuite Juan Andes étudia La musique arabe. Manuel Lassalo traduisit en latin Les histoires de Loqman le sage, avec une introduction et des notes. Marcos Dobelio, quant à lui, traduisit L’Histoire d’Abou-l-Fida. Et enfin, le père José Banqueri édita dans les deux langues arabe et espagnole Le traité d’agronomie d’Ibn al-Awwam.
Les racines de l’orientalisme en Espagne sont très profondes. Elles remontent, dans le temps, à la toute première époque de l’invasion de Tareq ibn Ziad au VIIe siècle. Il serait plus juste ici de parler d’«arabisation». Les autochtones durent apprendre la langue du conquérant et adopter ses us et ses coutumes. Puis vint l’étape des Mozarabes, à savoir les chrétiens...