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Actualités - OPINIONS

Conscience-fiction

Longtemps encore, les images surréalistes de ce mardi noir, où l’on a vu le colosse américain tomber à terre sous les coups d’un ennemi invisible, continueront de hanter les mémoires, de heurter les consciences, de raviver la peur immémoriale qui étreint l’homme devant tout ce qui dépasse son entendement. Enfoncés, les scénarios de films-catastrophe les plus délirants : cette fois hélas, il n’y avait pas quelque Arnold Schwarznegger ou James Bond pour neutraliser au tout dernier moment la machine infernale. Après la hallucinante sarabande des Boeing-suicide chargés d’innocents passagers – parmi eux deux jeunes Libanais –, il n’y a plus de limites à l’imagination mise au service du mal, à la sophistication technologique dont se prévaut le fléau, désormais planétaire, du terrorisme. À quand un Jumbo fou fonçant sur une centrale nucléaire ? À quand une bombe atomique bricolée, ou alors un engin bactériologique, que l’on aurait planté dans telle ou telle grande capitale ? Ce n’est peut-être plus là chose impossible. Dès lors, cette terrible journée du 11 septembre 2001 marque la fin d’une ère : le monde ne peut plus désormais rester le même car la règle du jeu a brutalement changé entre les États, drapés (sinon empêtrés) dans leurs attributs mais aussi dans leurs principes et obligations, et la pieuvre de la Terreur qui, à chacun de ses méfaits, fait preuve de moyens plus formidables, de plus d’imagination malade, de plus d’impitoyable audace. Par quel prodige les auteurs de ces attentats ont-ils pu s’emparer, presque au même moment, de quatre avions de ligne promus au sort de bombes volantes ? Où donc a-t-on pu recruter des pilotes acceptant, au nom d’on ne sait quelle idéologie insane, d’aller s’encastrer dans les tours jumelles du World Trade Center ? À ces questions fait écho une non moins angoissante évidence : celle de la vulnérabilité extrême, de la fragilité des États, tous les États jusqu’au plus colossal d’entre eux, face à des hommes résolus au suicide. L’espace d’un matin, l’unique superpuissance, régente du globe, a été atteinte de plein fouet dans les symboles les plus notoires de son hégémonie militaire et financière. Elle a été cruellement saignée, violée, humiliée. Encore hébétée, mais déjà assoiffée de vengeance, l’Amérique vient de subir un traumatisme encore plus grave que celui de Pearl Harbour il y a soixante ans, lequel entraîna son entrée dans la Deuxième guerre mondiale. Car cette fois et en attendant d’y voir plus clair, ce sont des ombres qui ont déclaré la guerre aux États-Unis. La guerre, le président Bush, dont la propre personne était visée par les terroristes, est résolu à la livrer, fort du soutien du Congrès comme de l’opinion publique, et il en est déjà à battre le rappel de ses alliés de l’Otan. Mais cette première guerre du XXIe siècle, il lui faudra la livrer contre quel ennemi précis, sur le territoire de quel(s) pays, contre quelle(s) sulfureuse(s) réincarnation(s) de Milosevic ? Toute la question est là. Avec plus de précision encore que la veille, les doigts accusateurs des Américains se pointaient hier sur l’insaisissable Oussama Ben Laden ; mais quelle organisation, aussi riche et déterminée qu’elle soit, est-elle en mesure d’exécuter en solo des opérations aussi énormes que celles de mardi ? Et comment ne pas envisager l’existence d’une sorte de consortium du Mal réunissant des groupes idéologiques ou religieux anti-occidentaux implantés dans les parties les plus diverses du globe, aux côtés des tout-puissants cartels de la drogue et du blanchiment de fonds ? C’est dire que si une vaste campagne doit être mise sur pied pour éradiquer le terrorisme elle devra être véritablement internationale, non point seulement dans ses composantes mais également dans ses objectifs : cela afin que puissent être empêchées de graves et funestes dérives. La barbarie contre la civilisation et la démocratie, vraiment ? Tout n’est pas aussi simple qu’on veut parfois le faire croire. À chacun, en effet, sa bête noire. Ainsi la Russie de Poutine, qui n’a sans doute pas oublié le temps où Washington soutenait de toutes ses forces la résistance islamique à l’occupation soviétique de l’Afghanistan, se préoccupe en priorité des prolongements tchetchènes de cette Terror Inc. Et l’Israélien Sharon qui foule aux pieds tous les accords passés avec l’Autorité autonome palestinienne, qui exerce une sauvage répression contre la légitime intifada, Sharon, qui pratique à visage découvert le terrorisme d’État en faisant assassiner systématiquement les chefs de ce soulèvement populaire, n’escompte d’une telle levée de boucliers mondiale qu’un surcroît de liberté et d’impunité dans la réalisation de ses criminels desseins. La poussière des Tours jumelles de New York n’était pas encore retombée que de malveillantes propagandes œuvraient déjà à ranger dans le camp des terroristes les Palestiniens, et plus généralement les Arabes. À cette entreprise d’amalgame, désormais classique, entre les préceptes authentiques du Coran et les dévoiements commis par certains groupes extrémistes, des Palestiniens de Cisjordanie ou du Liban ont apporté leur fâcheuse contribution en se livrant à de choquantes réjouissances à l’annonce du cataclysme qui venait de frapper l’Amérique honnie. Le temps est révolu cependant où de plates condamnations verbales du terrorisme pouvaient être opposées aux débordements domestiques, comme à la diffamation ennemie. On ne peut que saluer, à ce propos, le sens des responsabilités et le courage manifestés hier par deux hommes d’État arabes, Yasser Arafat et Rafic Hariri. Non content d‘imposer à l’ensemble de ses troupes une condamnation sans réserve des attentats, le vieux chef palestinien a fait don de son sang pour les victimes, un geste qui vaut bien les témoignages empressés de sympathie qu’a multipliés Israël. Quant au premier ministre libanais, qui s’adressait à la chaîne CNN, il a cautionné d’avance des représailles contre les coupables, pour peu que ces derniers soient clairement identifiés. Oui c’est un monde profondément changé, un nouveau monde sans mauvais jeu de mots, qui émerge des décombres des tours new-yorkaises et du Pentagone. Ce qui change favorablement, c‘est que l’on semble en avoir pris conscience dans la région.
Longtemps encore, les images surréalistes de ce mardi noir, où l’on a vu le colosse américain tomber à terre sous les coups d’un ennemi invisible, continueront de hanter les mémoires, de heurter les consciences, de raviver la peur immémoriale qui étreint l’homme devant tout ce qui dépasse son entendement. Enfoncés, les scénarios de films-catastrophe les plus délirants...