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Actualités - REPORTAGES

Une invention aux conséquences incalculables

C’est aux Phéniciens qu’on attribue généralement l’invention et la propagation de l’alphabet dont les conséquences devaient être incalculables ; cette opinion a pour elle une ancienne tradition ; Hérodote attribue à Cadmos, un phénicien, l’invention des lettres qu’il aurait propagées dans sa colonisation de l’Occident. Comme Palamède était le héros d’une même légende, on supposa que Cadmos avait apporté en Grèce un alphabet de 18 lettres et que Palamède aurait inventé les autres. La date générale de cette invention devait être placée vers la fin du deuxième millénaire avant J-C (environ 1 200), car aux XVe et XIVe siècles nous voyons par la correspondance de tell el-Amarna, adressée par les rois phéniciens aux Pharaons, que l’écriture usitée en Phénicie et dans toute l’Asie antérieure était le cunéiforme. L’alphabet phénicien se compose de 22 lettres, toutes consonnes, qui rendent admirablement les sons de la langue ; aucune ne figure les voyelles que les Phéniciens n’écrivaient pas. Or, cette application exacte des signes de l’alphabet aux sons de la langue a une grande importance. Quand un peuple emprunte son écriture à un autre peuple de race étrangère, il n’y trouve pas de quoi rendre les sons de sa langue, ou trouve trop de signes pour l’usage qu’il veut en faire. C’est ainsi que les Assyro-Babyloniens sémites, empruntant leur écriture aux sumériens non sémites, ne possèdent pas de signes pour rendre les multiples aspirées particulières au sémitique, et que les Grecs, empruntant aux Phéniciens leur alphabet, employèrent les signes des aspirées, dont ils n’avaient pas besoin pour rendre les voyelles. Pour ce qui est des signes eux-mêmes, on suppose généralement que les Phéniciens les obtinrent en modifiant des signes égyptiens. Il y a trois sortes d’écriture égyptienne : la hiéroglyphique très proche de la représentation des objets eux-mêmes, qui sert aux textes monumentaux, la hiératique, qui est une simplification des hiéroglyphes, enfin la démotique, qui est une simplification de la hiératique. Les Phéniciens auraient dérivé leur alphabet de la seconde variété d’écriture, de la hiératique. On a même voulu préciser la date de l’invention de l’alphabet en faisant remarquer que les signes phéniciens offrent plus d’analogie avec les formes du hiératique en usage avant la XVIIIe dynastie égyptienne (grosso-modo le milieu du XVe siècle), qu’avec les formes du hiératique de la XIXe dynastie (environ le XIIIe siècle). Champollion, Salvolini, Lenormant et Van Drival émirent sous des formes diverses l’hypothèse que l’alphabet phénicien procédait de l’écriture de l’Égypte. Em. De Rougé lut en 1859 à l’académie des Inscriptions un mémoire où il établissait cette filiation, mémoire qui ne fut imprimé qu’en 1874. Il montrait que les 22 caractères de l’alphabet provenaient de 22 caractères de l’écriture hiératique égyptienne. J. Halévy soutint que c’était directement des hiéroglyphes que les Phéniciens avaient dérivé leur alphabet, que cet emprunt n’avait eu lieu que pour 12 ou 13 lettres et que les autres avaient été formées au moyen de traits différentiels. Mais cette démonstration de la filiation des signes égypto-phéniciens est tellement laborieuse, que d’autres savants purent chercher l’origine de l’alphabet phénicien dans l’écriture cunéiforme. Ceux-là encore avaient pour eux le témoignage des anciens en la personne de Pline, qui croit plus à un original assyrien qu’à une source égyptienne. M. Deecke a facilement trouvé dans la masse des caractères cunéiformes 22 signes sur lesquels il pouvait étayer sa thèse, mais il les a empruntés à des écritures d’époques et de lieux très divers, ce qui ôte beaucoup de valeur à ces rapprochements. Ce qui vint compliquer le problème, c’est que nous n’avions pas de documents écrits en phénicien très ancien. Le texte le plus vieux que nous possédons lorsque E. de Rougé proposa sa théorie était l’inscription d’Eshmunazar, qui date du début du Ve siècle ; or les rapprochements qu’il institua sont encore plus problématiques lorsqu’on prend pour point de départ la Stèle de Mesa qu’on découvrit ensuite et qui date de 840 environ ; Mesa régnait sur le pays de Moab vers 850 avant notre ère. Cette stèle, que les Arabes brisèrent en plusieurs morceaux, heureusement presque tous recueillis, lorsqu’ils virent l’intérêt qu’y prenaient les Européens, concorde avec le livre des Rois de la Bible et nous assure de sa valeur historique. Cependant, si les lettres sont semblables aux lettres phéniciennes, la langue de la Stèle est celle du pays de Moab, légèrement différente du phénicien. Le document proprement phénicien le plus ancien jusqu’à ces derniers temps était une inscription tracée sur le bord d’une coupe en bronze, trouvée à Chypre vers 1876, et dédiée au Baal du Liban par un «serviteur de Hiram, roi des Sidoniens». Il doit s’agir de Hiram II, d’après son protocole, ce qui date l’inscription du VIIIe siècle environ. Comme nous savons aujourd’hui que les alphabets sémitiques et même ceux des autres langues dérivent d’une même origine, nous voyons en étudiant la forme des lettres de la Stèle de Mesa et celles de l’inscription de Chypre qu’il y a déjà des différences entre elles ; certaines formes de la Stèle de Mesa font pressentir les variétés d’écriture hébraïque, tandis que la coupe de Chypre offre une écriture plus nettement phénicienne. «La civilisation phénicienne».
C’est aux Phéniciens qu’on attribue généralement l’invention et la propagation de l’alphabet dont les conséquences devaient être incalculables ; cette opinion a pour elle une ancienne tradition ; Hérodote attribue à Cadmos, un phénicien, l’invention des lettres qu’il aurait propagées dans sa colonisation de l’Occident. Comme Palamède était le héros d’une...