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Actualités - CHRONOLOGIES

Vie politique - Joumblatt face à son premier test de leader national après sa rencontre, hier, avec Lahoud - L’opposition et la démocratie prises en otage par la situation économique

L’étape – l’interminable étape – par laquelle passe le Liban aujourd’hui ressemble à un mauvais, un très mauvais roman. Ou bien à un cauchemar : un jour sans fin, 24 heures qui se reproduisent à chaque fois suivant le même schéma. C’est selon. C’est résolument kafkaïen. À peine loue-t-on le ciel que ceux qui ne l’avaient pas encore fait admettent désormais qu’en ce qui concerne la situation économique, c’était la véritable alerte rouge – presque un point de non retour –, que l’on se rend compte qu’il y a un nouveau malheur. Pire encore. Ces mêmes personnes, depuis leur palais, ne comprennent pas, le pourront-ils un jour, que pour sortir l’économie libanaise des profondeurs abyssales dans lesquelles elle se meurt, il faut – condition sine qua non – assainir la situation politique. Redéfinir la conception de la praxis politique, réapprendre le respect de la Constitution, se souvenir des principes de la démocratie. Tendre vers la civilisation pour faire en sorte d’éviter qu’un pays dans son ensemble ne dépose son bilan. Ça, à Damas comme à Baabda, on ne l’a, semble-t-il, toujours pas compris. Aujourd’hui c’est clair, après que les quatre rencontres majeures de la semaine ont eu lieu, qu’Émile Lahoud a vu Nasrallah Sfeir, qui a vu Kornet Chehwane, et que, surtout, Walid Joumblatt a vu Émile Lahoud et Bachar el-Assad. En gros, que l’opposition a vu le pouvoir. Ghassan Salamé fait bien de souligner que la crise qui continue de secouer et de bouleverser le Liban depuis une dizaine de jours est une crise véritablement «moderne». Qui touche les institutions, leur fonctionnement, les libertés publiques… Qui a discrédité le Parlement – ça, ça peut se réparer avec le temps –, mais qui a surtout achevé de diviser définitivement le gouvernement. Sauf que cette «crise moderne», au lieu de déboucher sur un changement, sur quelque chose de foncièrement positif, débouche, aujourd’hui, sur du rien. Sur un trait de crayon. On oublie tout et on continue… Concrètement : les responsables, politiques, militaires, ou des services, de la ratonnade du jeudi 9 août, celle qui a révulsé l’opinion publique libanaise et internationale, ne seront pas sanctionnés. Tout aussi concrètement : il n’y aura pas de remaniement ministériel. La raison de tout cela ? Le pouvoir dit : Parce que la situation économique est catastrophique. Ce n’est plus seulement kafkaïen : c’est inouï. Le déjeuner de Baabda Il est clair que tout le monde attendait avec impatience la rencontre entre le chef de l’État et Walid Joumblatt. Et elle a eu lieu, pendant une heure et demie, elle a même été qualifiée par Baabda de «très positive». Walid Joumblatt a dû certainement demander à Émile Lahoud d’être l’auteur d’un premier coup d’éclat : sanctionner publiquement les coupables. Pour que les Libanais sachent, reprennent espoir, retrouvent la foi en le régime, en sa nouvelle crédibilité. Et selon des sources proches de Moukhtara, la réponse a été catégorique, négative : «L’honneur de l’armée doit primer». Même si le locataire de Baabda aurait promis de veiller personnellement au bon déroulement de la punition. Off the record, évidemment. Deuxième coup d’éclat qu’aurait demandé Walid Joumblatt : un remaniement ministériel. Pour que se produise un véritable choc psychologique. Salutaire, aussi, pour le pays, le régime. Et parce que le seigneur de Moukhtara s’est rendu compte, dit-on, comme la majorité de ses concitoyens, de l’énormité de certaines erreurs de casting au sein du gouvernement. Réponse idem : c’est niet. Le jeu d’équilibre, mené de main de maître par le Dr Bachar, lui-même secondé avec une grande maestria par le n°1 de l’État, n’envisage pas ce genre de soubresauts. Leur nouveau leitmotiv ? «Il faut calmer le jeu». Cinq mots que Bachar el-Assad a répété, mardi dernier, à Walid Joumblatt – avec lequel il a beaucoup parlé Palestine –, cinq mots qu’Émile Lahoud aurait, lui aussi, répété, inlassablement, à son visiteur. Lequel, ajoute la même source, aurait été rassuré par le fait que son hôte n’a pas été gêné par la réconciliation de la Montagne. Ni par le fait que le chef du PSP lui ait rappelé à quel point il fallait renforcer la justice. Ni par le refus de ce dernier de jouer les go-between. «L’entretien était très positif. Je pense que les solutions économiques et politiques nécessitent une cohésion gouvernementale maximale. Et qu’il est impératif de résorber le choc qui s’est produit avec la plus grande des cohésions. Parce que le pays s’apprête à entrer dans une phase délicate qui demande du calme et de la coopération». Ces mots sont ceux dits par Walid Joumblatt à l’issue de son entretien. Appelons un chat un chat : ce dernier a… calmé le jeu. Même chose plus tard dans la soirée, après la réunion avec le bloc parlementaire. Et c’est là que se posent de très nombreuses questions. Walid Joumblatt a préféré mettre en veilleuse ses principes fondamentaux, ceux pour lesquels il milite, ceux pour lesquels il est plébiscité, au profit de l’apaisement. Il a joué le jeu retors du pouvoir, en calmant les choses. Il a baissé la nuque, et avec lui, son bloc. Montrant ainsi au pouvoir que ce dernier pouvait, désormais, tout se permettre. Voilà ce qu’un très grand nombre de Libanais, toutes catégories confondues, a dû se dire, spontanément, hier, vers 19 heures. Surtout après qu’ils aient pris connaissance du communiqué de Kornet Chehwane, qui a, lui, réclamé des sanctions contre les responsables des rafles. Sauf que ces mêmes personnes ont réfléchi, et puis ils ont compris. Ils se sont rappelés que le chef druze a décidé, il y a plus de neuf mois, de participer au gouvernement. Suite logique de son alliance électorale avec Rafic Hariri. Posant par là, et à l’inverse d’un Hezbollah par exemple, un véritable acte citoyen et politique : celui d’œuvrer, sur le terrain, en pratique, pour le sauvetage du pays. Walid Joumblatt a, sans doute, par la force des choses, par la bipôlarité même de l’Exécutif, un pied dans le gouvernement, un autre dans l’opposition. Ils ont compris, après s’être souvenus de tous les mots du chef du PSP – ceux, mémorables, en plein hémicycle, lors de l’amendement du code de procédure pénale, et sa sortie avant le vote, ceux aussi au Carlton, lors du Congrès national pour la défense des libertés –, ils ont compris que Walid Joumblatt n’a pas mis à la poubelle tous ses principes, mais qu’il a pris, en optant pour un court wait and see, une véritable décision de leader national. Celle de ne pas vouloir être accusé par les innombrables gens de mauvaise foi d’avoir contribué, d’une façon ou d’une autre, à un effondrement de l’économie libanaise. En décidant de rester, pour l’instant, au gouvernement, même lâché officiellement par Rafic Hariri, même avec le sentiment qu’il y a «quelque chose qui cloche», Walid Joumblatt donne une chance au pays. Et rappelle par là au Premier ministre ses responsabilités premières. Rabibocher, en attendant une nouvelle crise Un Premier ministre auquel on reproche aujourd’hui sa bouderie sarde. Auquel on a reproché hier sa pas très honorable volte-face au Parlement. Il aurait, dit-on, convoqué la veille du vote le commandant en chef de l’armée Michel Sleimane pour discuter de l’envoi de renforts au Liban-Sud. Pour combler certains vides dans certains secteurs. Ameutant ainsi Damas, qui lui aurait rappelé que voter contre l’amendement équivaudrait à voter contre lui. Et avant-hier en Sardaigne, devant Marwan Hamadé, Fouad el-Saad et Ghazi Aridi, Rafic Hariri aurait demandé le limogeage des trois hauts responsables de la sécurité, la démission du ministre de l’Intérieur. Sachant pertinemment qu’il ne les obtiendrait pas, mais pour avoir 100 dollars, on en demande 200, n’est-ce pas… Dans tous les cas, le Premier ministre revient dimanche. Et le Premier ministre, souhaitons-le, trouvera le moyen de rebondir : il a la résilience. Et il ne démissionnera pas, même s’il le voulait : il y a Washington, Paris, Ryad, derrière. Restent le patriarche maronite et Kornet Chehwane (KC). La voici la véritable opposition aujourd’hui : Kornet Chehwane. Et comment penser demander à Walid Joumblatt ce que l’on attend de KC ? Le premier est au pouvoir, le second ne l’est pas. Le premier n’a pas été directement visé par les événements des derniers jours, le second si. Au premier de prendre les décisions difficiles, de privilégier la realpolitik, au second d’exiger. Et de dialoguer, aussi. Différemment. Avec plus de véhémence, aujourd’hui. On en revient encore et toujours à ce fameux tandem. Cette bicyclette à deux places qui permet à l’un de s’arrêter de pédaler – pour se reposer, reprendre des forces, recalculer sa stratégie, sa tactique – pendant que l’autre double les efforts, augmente le rythme. Aujourd’hui, l’heure est au rabibochage. Il faut remettre de l’ordre, recoller les morceaux, replâtrer d’urgence. C’est l’heure de la triste et fameuse «lamlamé». En attendant le retour de Rafic Hariri. Qui en principe devra suivre le mouvement. Pour cause non plus de raison d’État, mais de survie économique et financière. Tout cela est bien triste : dans quelques jours, dans quelques semaines, une nouvelle crise viendra secouer le pays. C’est ainsi lorsque l’on occulte à ce point le fond du problème. À moins d’un vrai coup d’éclat.
L’étape – l’interminable étape – par laquelle passe le Liban aujourd’hui ressemble à un mauvais, un très mauvais roman. Ou bien à un cauchemar : un jour sans fin, 24 heures qui se reproduisent à chaque fois suivant le même schéma. C’est selon. C’est résolument kafkaïen. À peine loue-t-on le ciel que ceux qui ne l’avaient pas encore fait admettent désormais...