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Actualités - INTERVIEWS

entretien - Large tour d’horizon du ministre de la Culture avec « L’Orient-Le Jour » - Salamé : Lahoud ira jusqu’au bout, et Hariri - a de longs mois devant lui

Il a quitté Paris, l’Europe, le monde, ses élèves, l’Institut d’études politiques, pour l’immeuble Starco. Le ministère de la Culture et la francophonie en attached file. Il dit : «Mettre en marche le chantier de la culture au Liban, ça me passionne». Certes. Puisqu’il le dit. Mais comment ne pas voir que ce qui le meut, ce qui lui donne l’envie, ce pour quoi il se lève le matin, sa cocaïne à lui, c’est la politique. De laquelle il a réussi à en faire plus qu’une science : une façon d’appréhender le monde qui l’entoure et qu’il ne doit pas souvent trouver à sa mesure. Parce qu’à l’instar de la flopée de ses concitoyens hommes politiques – tous –, Ghassan Salamé est dévoré d’ambition(s). La seule différence avec la très grande majorité d’entre eux : lui en a les moyens. Le talent. Que ça en devient bien moins agaçant. Presque naturel. Si, sur l’échiquier politique, on ne sait jamais où le placer – il est partout et nulle part, pro et anti l’un, pro et anti l’autre, sincère et roublard à la fois, spontané, instinctif et opportuniste : un homme du métier – lorsqu’il se lance dans l’analyse d’une situation, quelle qu’elle soit, il est simplement brillant. La preuve : voici, dans son intégralité ou presque, l’entretien accordé par Ghassan Salamé à L’Orient-Le Jour. Taëf et l’absence de coutumes Concernant les événements des deux dernières semaines – les rafles, les pouvoirs dynamités, pervertis… –, de nombreuses personnes défendent la thèse de l’élément syrien. Qu’elles privilégient par rapport à l’explication purement libano-libanaise. «Il y a certes une forte interconnection libano-syrienne, et à de nombreux niveaux. Mais je ne crois pas à la relation de cause à effet. Il y a une dimension strictement intérieure liée à une espèce de lutte de légitimation entre deux événements aux résultats en apparence contradictoires. À savoir les élections de 1998 et celles de 2000. Chacun de ces événements fonde un projet politique un peu différent dans sa vision, dans son orientation, dans sa compréhension de la vie institutionnelle. Le premier fonde une ébauche de système plutôt présidentiel, axé sur un ordonnancement issu des rangs de l’armée, et va vers un pouvoir centralisé. Quant aux élections de 2000, elles ont donné l’impression qu’elles pouvaient produire un système politique à contrepoids mutuel. Comme ce que le Liban a connu à plusieurs reprises dans son histoire». Sauf que le Liban, antérieurement, au cours de son histoire, n’avait pas cet «arbitre» suprême brandi et bafoué à tout bout de champ et qui a pour nom Taëf. «Taëf n’est pas un arbitre : c’est une référence. Et une référence qui est bafouée par quelque chose qu’il est très difficile de faire comprendre aux gens. À savoir que Taëf ne serait opérationnel que s’il crée des coutumes. Tous les systèmes politiques fonctionnent par le texte constitutionnel mais aussi par des coutumes. La cohabitation en France est le produit d’une coutume, elle est devenue une coutume. Au Liban, pendant ces dix dernières années qui ont suivi Taëf, nous n’avons pas assisté à cette accumulation de pratiques, qui, de facto, produit une coutume. Depuis l’accord de 1989, il y a eu un président de la République qui a tenté d’ignorer Taëf. Un an plus tard, il y a eu l’adoption des amendements à la Constitution qu’il a essayé également d’ignorer. À partir des élections de 1992 et l’arrivée de Hariri au pouvoir, on a dû accepter une autre coutume : celle d’une plus grande concentration du pouvoir dans les mains du Premier ministre. Et pendant plusieurs années. Ce qui n’est pas plus dans l’esprit de Taëf que la tentative d’ignorer Taëf qui l’a précédé. En 1998, la coutume a été cassée : la concentration du pouvoir a glissé vers le palais présidentiel, avec un gouvernement qui ressemblait étrangement à ceux que l’on avait à l’époque chéhabiste. C’est-à-dire une espèce d’extension du pouvoir présidentiel. Que les élections de 2000 sont venues remettre en cause en imposant presque l’idée et la nécessité des contrepoids. C’est-à-dire qu’en l’espace de dix ans, il y a eu quatre ou cinq interprétations de Taëf qui n’étaient pas conformes l’une à l’autre ni conformes à Taëf. Ce qui fait que chacun pense qu’à l’occasion de tel ou tel évenement, il peut reformuler le système politique». Quelle est alors la solution ? «Dans ce cas-là, elle serait d’accepter qu’une interprétation des accords de Taëf puisse fonctionner sur plusieurs années. Pour que cette coutume puisse naître. C’est pourquoi nous avons aujourd’hui, paradoxalement, une chance. Due au fait que nous avons à la fois une présidence issue des élections de 98, et un gouvernement très marqué par celles de 2000. On peut ainsi, peut-être, arriver à mettre en place un système durable. Qui passe par l’acceptation de l’esprit de Taëf : un Exécutif collégial». Pour combler ce déficit de coutumes de plus en plus prononcé, est-ce que l’application stricto sensu de Taëf suffit, ou est-ce qu’il faut penser à aller plus loin que cet accord, arriver à un nouveau consensus puisque consensus, apparemment, il n’y a plus ? «Lorsque Taëf a été trouvé, que les uns et les autres ont été consultés, la question qui se posait alors n’était pas : “quel est le système idéal pour le pays ?”. La question était de savoir quelle était la formule magique capable de convaincre les différentes milices de déposer les armes et de cesser la guerre. Dans cette logique, Taëf a réussi. Et on ne le dit pas assez. Mais à aucun moment l’on a songé à Taëf comme une formule indépassable. Cela dit, la question se pose aujourd’hui. Est-il possible d’ouvrir un chantier constitutionnel pour transformer radicalement la formule de Taëf ? Le pays pourrait-il gérer tout cela ou ouvrirait-on la voie à d’autres impasses ? Ma réponse est claire : Le temps n’est pas encore mûr pour trouver une solution alternative à Taëf. Parce que l’on a perdu beaucoup de temps et d’énergie à ne pas appliquer cet accord, aujourd’hui». Donc appliquons Taëf, faisons-en une coutume, et puis voyons ensuite ce qu’on peut faire ? «Voilà. On verra ensuite comment on peut le faire évoluer vers un régime plus adéquat avec les attentes des jeunes Libanais». Le gouvernement trop représentatif pour être efficace Soit. Maintenant en pratique, ce que l’on a vu ces derniers jours est historique. Un véritable putsch contre le Parlement, un gouvernement dynamité, scindé, et une question posée à plusieurs reprises : qui gouverne ? Donc : qui gouverne ? Et comment pourrait-on gouverner ainsi ? «Le pouvoir est émietté, il n’est pas concentré. Il ne faut pas croire que ce qui s’est passé a créé une nouvelle structure de pouvoir». Non, mais il en a confirmé une, qui était plus ou moins masquée… «En réalité, le problème est le suivant : au cours des dix dernières années, on a fait pire que de déformer Taëf. On a favorisé un des deux aspects de tout gouvernement aux dépens de l’autre. C’est-à-dire qu’on a favorisé la représentativité en ignorant l’efficacité. Le Parlement est fondé sur le principe de représentation, ce qui est tout à fait logique pour un Parlement. Mais malheureusement, on a étendu ce principe au gouvernement. Et tout à l’avenant : la commission de contrôle des banques, par exemple. Bientôt, on formera l’équipe nationale de football sur le même principe. C’est le principe de représentativité, poussé à l’extrême, qui handicape l’Exécutif. Ce dernier a besoin de marier plus harmonieusement le principe de représentativité avec celui de l’efficacité. Et pour cela, il faut des gouvernements plus ramassés. Avec plus de ministres soucieux d’efficacité, pour qu’ils puissent corriger cette obsession de représentativité, partie en toute logique du Parlement, qui est venue infecter les structures les plus exécutives et techniques du gouvernement». Soit. Mais aujourd’hui, qui prend les décisions ? Le chef de l’État ? Les SR ? Un «quatrième pouvoir» ? La Machine ? «Il y a plusieurs Machines. Il y a des Machines qui fonctionnent parfois plus rapidement ou plus visiblement que d’autres. Il n’y a pas une seule Machine. En réalité, la crise que nous venons de passer et dont la facture est très lourde – les gens l’ont senti intuitivement – a démontré quelque chose d’assez grave : non seulement le pouvoir est émietté, mais chaque miette de pouvoir exige que ce dont elle a la charge ait la priorité sur tout le reste. C’est-à-dire que ceux qui ont la charge de la sécurité ont tendance à tout lire en termes de sécurité. Ceux qui ont la charge de l’économie ont l’obsession des effets économiques d’une telle crise, etc. Or, la politique ne peut pas équivaloir à un émiettement des tâches. Avec chaque groupe ou chaque institution chargés d’une tâche particulière qui disent : “Non, c’est ça l’essentiel !”. Si chacun continue à s’agripper à la tâche qui est la sienne en clamant que c’est à elle que doit revenir la priorité, ce sera une espèce de lutte interminable pour le pouvoir, où les différentes fonctions du gouvernement se stérilisent mutuellement plutôt que de s’épauler». Donc vous prônez un traitement horizontal – en simultané – des priorités. Chose que le gouvernement auquel vous appartenez ne fait pas, puisqu’il a décidé d’accorder la première des priorités à l’économique… «Voilà. La distribution des tâches à des organes différents va contre la logique d’un bon gouvernement. Un bon gouvernement est celui qui a la charge de l’ensemble des activités de gouvernement et qui, tous les jours, revoit ses priorités en foncion des défis qui lui sont lancés». Donc vous faites partie d’un mauvais gouvernement ? «Je fais partie d’un gouvernement trop marqué par le sceau de la représentativité pour être efficace». Il faut changer de gouvernement ? «Il faudrait maintenant trouver un véritable nouveau consensus. Ça se fera. Et en termes pratiques, je crois qu’il faut que ceux qui pensent pouvoir écourter le mandat du général Lahoud revoient leur copie. Et que ceux qui pensent pouvoir se débarrasser de Hariri de sitôt revoient leur copie. Une forme de cohabitation forcée est devant nous, il faudra savoir la gérer. Et une des raisons des débordements auxquels nous avons assisté ces derniers temps est que certains ont pensé, à tort ou à raison, être visés par des putsch et des contre-putsch. Je pense que le général Lahoud ira à son terme et que Hariri a de longs mois devant lui. Les uns et les autres devront accepter cela. Sinon, on peut considérer qu’ils prennent leurs rêves pour des réalités. Et prendre ses rêves pour des réalités en de telles circonstances, c’est non seulement faire de la mauvaise politique mais c’est aussi attenter sérieusement aux intérêts du pays». Les complots… On a beaucoup utilisé le mot «complot» ces derniers jours. Les uns comme les autres. Pour parler de volonté de mettre en péril la nation avec l’aide d’Israël d’un côté, et de militarisation du régime, de «quatrième pouvoir» de l’autre. «Non. Je ne pense pas. Dans le premier cas, je ne pense pas que l’élément israélien soit capital dans la crise actuelle. Du tout. Et s’il existe, il est tout à fait marginal. Qu’il est monté en épingle dans la lutte politique que se mènent différents milieux entre eux. Un écran de fumée, oui, dans une grande mesure». Est-ce que ce n’est pas extrêmement dangereux, voire pernicieux, de la part du chef de l’État, des services, de la Machine, etc, que de ramener à l’ordre du jour, cette pseudo-collusion chrétienno-israélienne ? «Ce n’est pas seulement dangereux. En réalité, faire une description globale des chrétiens comme ayant la nostalgie de je ne sais quelle relation avec Israël est à la fois factuellement faux, et politiquement criminel. Il me semble que jamais dans son histoire, depuis son indépendance, le Liban n’a eu des idées aussi unanimes sur le fait qu’il n’y a rien à attendre de bon du côté israélien. Je ne sens aucun retour d’un élément israélien, ni parmi les chrétiens ni parmi les musulmans. Et c’est criminel, parce qu’il s’agit de procès d’intention politiques contre l’ensemble d’une communauté, exactement au moment où des représentants de cette communauté – le patriarche, Kornet Chehwane… – prennent des positions extrêmement avancées sur ce chapitre. Invitant des groupes hérités de la guerre civile – les aouniens, les FL – à les rejoindre sur ce terrain consensuel et modéré. Quant à la militarisation du régime, il y a effectivement eu des débordements en ce sens. Plusieurs facteurs m’ont inquiété personnellement. Voir, durant onze minutes sur CNN, des militaires en civil tabasser des jeunes, ce n’est pas courant. Voir le secret de l’instruction levé par des fuites très organisées, ce n’est pas très démocratique. Voir de surcroît une nette volonté d’utiliser un cas individuel ou un autre pour noircir toute une catégorie de la population, c’est inquiétant. Voir des fonctionnaires de l’État – militaires, judiciaires, militaro-judiciaires – agir en toute autonomie par rapport à leur ministère de tutelle, ce n’est vraiment pas rassurant. Voir enfin tel ministre parler de complot, de partition, de fédération, etc. et un autre de ses collègues, habituellement sur la même ligne, parler de quelques fauteurs de troubles qui ont fait un peu de bruit, ce n’est pas non plus très rassurant. Un régime encore plus marqué par le militarisme ne sied pas à la texture de la société libanaise. Et de surcroît réalisé par ceux qui voudraient le voir exister avec un doigté minimal, énormément de couacs et de gâchis dans son déroulement… Ce qui est, là, rassurant. Il me semble que les Libanais n’ont pas l’habitude de ce genre de glissements, de débordements, auxquels je faisais allusion». À vous écouter parler, on a l’impression que votre place est beaucoup plus à Kornet Chehwane qu’au gouvernement… «Non. Le gouvernement est représentatif. Par une sensibilité démocratique également…». Ghassan Salamé représente Kornet Chehwane au gouvernement ? «Pas du tout. Je n’étais pas au courant des conciliabules de Kornet Chehwane et je n’ai pas lu leur manifeste à Cotonou». Lahoud et les chrétiens Parlons si vous le voulez bien de la relation entre le chef de l’État et sa communauté – chrétienne. Il y a un schisme total aujourd’hui entre eux, et la responsabilité est commune. «Je crois que le projet politique du général Lahoud tentait à faire remplacer le jeu interconfessionnel classique par un jeu où la probité personnelle et le manque d’attaches confessionnelles avait pour but justement de détacher le président de cette assise-là…». Ça a complètement échoué. «Effectivement, le pays aujourd’hui est très marqué confessionnellement. Mais je dois noter – et c’est l’un des aspects les plus prometteurs de cette dernière crise – que celle-ci a ceci de particulier à mes yeux, qu’elle est extrêmement politique. Et je dis ça avec un sourire. Elle n’est pas très confessionnelle – même si c’est vrai que la grande majorité de ceux qui ont été arrêtés sont chrétiens. Le discours sur cette crise a utilisé les valeurs de libertés, a dénoncé le camouflet reçu par le Parlement, le disfonctionnement du gouvernement. Nous avons entendu un discours à la fois constitutionnel et politique. Et tout cela est très prometteur. L’avenir dira que c’est une crise moderne que nous avons vécue. Une crise concernant les institutions, leur fonctionnement, et les libertés publiques. Et ça c’est très bien. Que le pays ait pu maintenir un discours politique alors même que les arrestations n’ont touché qu’un seul camp. Il y a une maturité qui commence à apparaître et qui est à l’origine de la résistance de la société civile aux débordements du système politique». Revenons à ce divorce entre les chrétiens et leur président, l’un des principaux alliés de la Syrie… «Je ne crois pas que le président Hraoui était particulièrement populaire dans les milieux chrétiens. Cela dit, il y a un pas à faire de part et d’autre. En réalité, le ton entendu en milieu chrétien ces dix dernières années ne me plaisait pas beaucoup. Tant celui du chef de l’État que celui de la rue. Les chrétiens ont eu l’impression d’avoir perdu la guerre et regardaient avec beaucoup de scepticisme les efforts d’une minorité de politiques chrétiens qui ont tenté de rafistoler le système et de le faire marcher. “À quoi bon maintenant tenter de participer à la reconstruction du système ?”. Certes les chrétiens ont eu des avanies. Vous me parliez du Hezbollah qui continue à porter ses armes, et qui est plus fort que jamais. Ça c’est une phrase que vous auriez pu dire l’année dernière. Et s’il continue de porter les armes, c’est parce que c’est un mouvement de résistance soutenu par le Liban et par la Syrie. En tant qu’acteur politique, il vaut ce que vaut le nombre de ses députés au Parlement. Et il n’est même pas représenté au gouvernement…». Heureusement pour lui, apparemment… «Laissez-moi dire quelque chose. Il est évident que ces dix dernières années, les chrétiens n’ont pas été traités d’une manière luxueuse». Équitable, même… «J’en conviens. Mais jusqu’à ce qu’un discours politique moderne commence à faire son apparition en milieu chrétien, est-ce que les chrétiens n’étaient pas complètement désabusés par rapport à leur participation à la reconstruction… Il faut que les chrétiens investissent dans les leaderships modernes alternatifs qu’ils ont eu tendance très souvent à bouder. Il faut qu’ils abandonnent les rêves de revanche, la nostalgie d’une époque révolue, qu’ils cessent de se complaire dans une espèce… On dirait qu’ils ont volé aux chiites leurs lamentations karbalaesques. Les chrétiens doivent s’identifier à des dirigeants nouveaux issus de l’après-guerre…». Comme Kornet Chehwane par exemple ? «Oui, peut-être. Et à l’extérieur, aussi, pourquoi pas…». Mais quel est le moyen de réconcilier aujourd’hui la communauté chrétienne avec le chef de l’État ? Et faire de ce dernier le président de tous les Libanais ? «Lui voudrait être le président de tous les Libanais en étant équidistant de toutes les confessions et en les ignorant. C’est une méthode de gouvernement, c’est une vision». Elle échoue pour l’instant. 95 % des chrétiens le disent, le hurlent et en souffrent. Ils aimeraient bien que leur président les regarde, eux aussi. «Peut-être qu’il y a d’autres moyens de faire que de demander cela au chef de l’État. Peut-être qu’en investissant davantage dans le gouvernement, notamment dans les ministres chrétiens, peut-être qu’en investissant davantage dans les réconciliations, comme celle que la Montagne a connue récemment, et qui devraient se répéter dans les différentes parties du Liban…». Ce que fait Nasrallah Sfeir La rue chrétienne ne peut pas cautionner, c’est un fait, des ministres qui appuient la mainmise politique syrienne sur le Liban et la présence des forces armées de Damas. «Les chrétiens sont divisés par deux lignes, qui se sont fait la guerre longtemps. Il y a la ligne souverainiste, qui dit que la souveraineté du Liban est le meilleur cadeau que les chrétiens se sont donné à eux-mêmes et à leurs concitoyens musulmans. Elle consiste à dire que le chrétien doit être prêt à revoir en permanence sa place dans le système politique libanais en vue d’assurer l’adhésion de son concitoyen musulman pour établir la souveraineté du Liban. Que la vraie garantie des chrétiens, c’est la souveraienté du pays tout entier. Et non pas, le rôle, la place ou le poids que les chrétiens y exercent. La voilà la ligne du patriarche Sfeir, qui l’a amené à accepter Taëf, à le cautionner, à se faire tabasser et insulter… Et cette ligne est aujourd’hui majoritaire grâce au charisme du patriarche. Qui était minoritaire, il y a 4 ou 5 ans, parmi les chrétiens. Qui suivaient bien plus l’autre ligne, celle qui consiste à occulter le concitoyen musulman, au profit des prérogatives que des chrétiens exercent dans le système politique. Et si, pour donner aux chrétiens une place de choix dans le système politique libanais, il faut transiger avec la souveraienté du pays, eh bien ils étaient disposés à le faire. Avant la guerre, les chrétiens confondaient les deux lignes. La guerre a eu pour effet de les obliger à choisir. De répondre à la question suivante : qu’est-ce qui est prioritaire ? Le poids des chrétiens dans le système politique ou la souveraienté du pays ? Et ils ont donné à cette question fondamentale posée par la guerre deux réponses contradictoires. Le patriarche tire aujourd’hui son influence politique en milieu chrétien d’une seule chose : ce qui compte aujourd’hui, c’est la souveraineté du Liban. Et aujourd’hui ces deux lignes restent plus que jamais présentes. Et tout peut changer dans six mois…». Passons à Rafic Hariri. Vous avez reconnu les limites du gouvernement auquel vous appartenez, où est-ce que vous vous situez par rapport au Premier ministre ? «Je ne vois pas à l’heure actuelle de Premier ministre alternatif. Et il me semble que le Hariri nouveau, celui du quatrième gouvernement, a des qualités que les trois premiers Hariri n’avaient pas. La patience, la capacité à absorber les chocs, en scrutant beaucoup plus le long terme… Des chocs, il en reçoit. Mais il me semble qu’il a développé, pendant sa courte, courte traversée du désert, des qualités qu’il n’avait pas auparavant. Une meilleure idée de l’urgence des réformes économiques. Voilà où je suis en phase avec lui. Qu’il ne peut pas croire en la bonne étoile du pays, comme il a cru en la sienne, que les pays ne fonctionnent pas grâce à une bonne étoile, mais qu’ils ont besoin de réformes. Peut-être qu’il manque de moyens politiques pour y aboutir aussi rapidement que je le souhaite…». Qu’est-ce que vous lui reprochez aujourd’hui ? «Qu’il sous-estime ses propres moyens. Qu’il a des moyens de résistance aux chocs plus grands que ce qu’il pense avoir. J’aurais aimé qu’il soit à la tête d’un gouvernement plus réduit, plus soucieux d’efficacité. Lui-même est un homme trop soucieux de représentativité à mon goût. Parce qu’il pense que ça lui donne une plus large marge de manœuvre. Avec le gouvernement qu’il a, il essaie de faire ce qu’il peut, et je ne suis pas sûr que le coup qu’il a subi – parce qu’il a subi un coup – soit fatal».
Il a quitté Paris, l’Europe, le monde, ses élèves, l’Institut d’études politiques, pour l’immeuble Starco. Le ministère de la Culture et la francophonie en attached file. Il dit : «Mettre en marche le chantier de la culture au Liban, ça me passionne». Certes. Puisqu’il le dit. Mais comment ne pas voir que ce qui le meut, ce qui lui donne l’envie, ce pour quoi il se...