« Le Monde » dénonce dans un éditorial la « dérive libanaise »

Dans son édition datée du mercredi 22 août, le quotidien Le Monde a consacré son éditorial aux récents événements au Liban, soulignant, sous le titre «Dérive libanaise», que «sous l’impulsion de Damas, bien sûr, et avec l’assentiment apparent du président Émile Lahoud, le régime de Beyrouth semble se militariser». Estimant que les dirigeants libanais devraient «réfléchir à deux fois avant de s’engager plus avant dans l’inquiétante dérive observée ces dernières semaines», l’éditorialiste du Monde relève que l’on voit mal que le sommet francophone «puisse se tenir dans un pays qui bafoue ouvertement les libertés les plus élémentaires». Nous reproduisons ci-dessous le texte de l’éditorial du Monde : «Dans la peine et la douleur, le Liban, ces dernières années, se reconstruisait. Dans les plus grandes difficultés économiques et politiques, il cherchait à réparer les terribles accrocs laissés par des années de guerres civile et régionale. Lentement, dans un environnement plus que difficile, sous la haute surveillance de la Syrie, il regagnait sa singularité au Proche-Orient : un pays encore attaché à une vie politique démocratique ; un pays où l’espace des libertés publiques tendait, bon an mal an, à s’agrandir. Depuis quelques semaines, tout paraît bouleversé ; cette évolution semble arrêtée : le Liban régresse, dangereusement. Sous l’impulsion de Damas, bien sûr, et avec l’assentiment apparent du président libanais, Émile Lahoud, ancien commandant en chef de l’armée, le régime de Beyrouth semble se militariser. Certains n’hésitent pas à parler d’un coup d’État militaire rampant. Ce qui est sûr, c’est que l’armée et ses services spéciaux jouent depuis quelques semaines un rôle envahissant sur la scène politique, aux dépens du gouvernement de Rafic Hariri et du Parlement. Cette crispation autoritariste, qu’on espère passagère, apparaît début août. Elle se manifeste au lendemain d’une visite triomphale dans la montagne du Chouf du chef de l’Église maronite, le cardinal Nasrallah Sfeir. La manifestation scellait la réconciliation de deux des communautés religieuses du pays, les maronites et les druzes de Walid Joumblatt. Est-ce parce qu’elle a donné lieu à quelques slogans antisyriens ? Est-ce parce que cette visite a laissé transparaître un profond “ras-le-bol” de la tutelle syrienne à un moment où Damas et Beyrouth estiment l’équilibre régional fragilisé par l’affrontement israélo-palestinien ? Toujours est-il que l’armée va, du 5 au 8 août, procéder à des rafles brutales de chrétiens ; elle va tabasser les familles des détenus venues s’enquérir de leur sort ; elle va imposer au Parlement une réforme durcissant le code pénal ; elle va multiplier les mesures d’intimidation contre tous ceux qui osent critiquer la présence syrienne. La plupart des personnes appréhendées début août ont aujourd’hui été libérées ; ne restent en prison qu’une demi-douzaine d’entre elles, soupçonnées d’une improbable “collusion avec l’ennemi israélien”… Tout cela avec l’approbation bruyante de Damas, au moment où le régime syrien se fait plus autocrate que jamais. Avant de s’engager plus avant dans l’inquiétante dérive observée ces dernières semaines, les dirigeants libanais devraient réfléchir à deux fois. L’Union européenne a dénoncé les rafles de chrétiens. Le Liban a besoin de l’Europe pour sortir de la très mauvaise passe économique qu’il traverse. Il y a plus. Beyrouth doit accueillir en octobre le sommet de la francophonie. Ce n’est pas simple affaire linguistique. On voit mal que ce sommet puisse se tenir dans un pays qui bafoue ouvertement les libertés les plus élementaires…».