Rechercher
Rechercher

Actualités - REPORTAGES

DÉTENUS - Une soixantaine de prisonniers libérés à Roumié - Crâne rasé et moral au top, les jeunes étreignent leurs parents

Le rideau est enfin tombé sur un drame qui dure depuis 15 jours et que les Libanais ne sont pas prêts d’oublier, malgré le happy end d’hier soir. De mémoire de gardien de prison, c’est du jamais vu à Roumié : les sinistres grilles qui s’ouvrent à une heure du matin pour laisser sortir une soixantaine de jeunes au crâne rasé et au moral au top, dans une furie de klaxons rythmés, la scène est carrément incroyable. Les parents voudraient retenir leurs larmes et les jeunes clamer devant les caméras leur détermination à poursuivre leur lutte, tous souhaiteraient prolonger ces instants magiques, mais les éléments des FSI un peu dépassés préfèrent éloigner tout le monde, pour que la prison retrouve son atmosphère morose, troublée par les retrouvailles. L’initiative du ministre de l’Intérieur Élias Murr d’ouvrir exceptionnellement les portes de la prison après 5h de l’après-midi a créé une véritable confusion. À peine la décision de libérer tous les détenus de ces derniers jours (sauf bien sûr les 5 dont les dossiers parlent de contact avec Israël) annoncée à la télévision que des dizaines de parents se précipitent à la prison de Roumié pour accueillir leurs enfants arrêtés il y a plus de dix jours. Hélas, une fois sur place, un agent des FSI bégayant cherche désespérément à leur expliquer qu’il faut d’abord payer une caution de 3 millions de livres puis revenir avec l’autorisation de remise en liberté. Finalement, ce sont les journalistes immédiatement arrivés sur les lieux qui se chargent des explications et les proches repartent vers le tribunal militaire après avoir collecté auprès des amis, des oncles et autres parents la somme nécessaire. Nombreux sont ceux qui ont fait usage de leur carte bancaire – qui malheureusement ne permet de retirer qu’un million et demi. À partir de 20h30, la file est déjà longue devant le tribunal, les parents se reconnaissent, car depuis quinze jours, ils se rencontrent régulièrement, mais le préposé ne commence à encaisser qu’à partir de 21h et la procédure est longue. Les familles se divisent en deux : les femmes à Roumié et les hommes à la caisse du tribunal pour être partout et ne rien rater de l’événement. Mais devant l’entrée de la prison, sous le puissant projecteur qui donne au lieu l’air d’une chambre d’interrogatoire, l’attente est longue. Marie est la fiancée de Fadi Abou Jamra et elle essaie de prendre son mal en patience. Hanné ne dort plus depuis 15 jours et ne parvient pas à croire qu’elle va enfin serrer son fils dans ses bras. Wadih fume cigarette sur cigarette et hoche la tête avec colère : «Plus jamais, je ne veux plus jamais voir mon fils derrière les barreaux. Lui, il s’en tire bien, mais c’est moi qui ai subi la pire humiliation de ma vie en lui rendant visite en prison, à travers un double grillage, essayant de me faire entendre de lui alors que vingt autres parents faisaient la même chose. C’est terrible». La saveur du taboulé... Pendant les longues heures d’attente, chacun raconte son histoire et les drames se ressemblent. Sur les 65 détenus à Roumié, 9 seulement appartiennent aux Forces libanaises et les autres sont aounistes. Les familles des FL sont discrètes ne souhaitant qu’en finir, mais les aounistes eux ne se privent pas de commenter la situation, critiquant la décision de libérer les détenus «car elle est dictée par le déjeuner du président avec le patriarche et non par un réveil de conscience» et calculant les sommes perçues ce soir en guise de cautions : «Cela fait 150 000 dollars. S’ils les déposent dans une banque cela fera un intérêt considérable, une façon comme une autre de combler le déficit budgétaire». Et lorsqu’on leur fait remarquer qu’il s’agit d’une caution, ils répliquent : «Les procès ne commenceront pas avant plusieurs mois. D’ici là, il se sera passé tellement de choses…». C’est que la décision hâtive annoncée par le procureur Adnane Addoum – décidément l’homme le plus critiqué par les parents qui attendent la libération de leurs enfants – n’interrompt pas la procédure judiciaire. Elle permet simplement de libérer les détenus sous caution, en attendant l’ouverture de leur procès. Ce qui est déjà un pas énorme vers une plus grande humanisation de la justice. Mais cela, les parents ne peuvent pas encore l’apprécier. Il faut d’abord qu’ils voient leurs enfants... L’attente s’éternise et les téléphones portables ne cessent de sonner sur des airs de chansons aounistes. Ceux qui font le guet à Roumié suivent ainsi minute par minute ce qui se passe au tribunal militaire. «Ils sont déjà neuf à avoir payé…». Les nouvelles circulent d’un groupe à l’autre, longuement commentées pour passer le temps. L’association de bienfaisance Justice et charité qui a ouvert un kiosque à l’entrée de la prison décide alors de mettre à la disposition des parents et des journalistes chaises en plastique et bouteilles d’eau. Et les minutes n’en finissent pas de s’éterniser. Les jeunes aounistes venus attendre leurs compagnons racontent des aventures héroïques vraies ou imaginaires aux journalistes comme s’ils se sentaient vaguement coupables d’être là alors que les autres sont détenus, alors que les parents écoutent d’une oreille discrète, imaginant déjà les retrouvailles avec leurs chéris. Une mère se lamente de n’avoir pas eu le temps de préparer le taboulé. «Je lui en ai amené un samedi dernier. Mais celui qu’il mangera libre aura une tout autre saveur...». La barre de fer qui ferme le barrage s’ouvre enfin, c’est l’aumônier de la prison qui sort, la mission pour la journée achevée. Il rassure d’abord les parents : «Les enfants se portent bien. Ils savent qu’ils vont être libérés...», puis se lance dans une longue discussion avec les jeunes pour les pousser au calme et à la tolérance. L’aumônier annonce aussi que 5 détenus ne seront pas libérés : Rabih Dib, Paul Bassil, Tony Harb, Tony Orient et Maroun Nassif ont déjà été condamnés à un mois et demi de prison. Ils ne peuvent donc être relâchés avec les autres. Pour leurs proches, la déception est grande, mais on leur promet que leur situation sera réglée au plus tôt. Les autres compatissent, car une profonde solidarité semble lier ces parents qui vivent le même drame. Le téléphone de Patrick Khoury, le plus enthousiaste des aounistes qui attendent, sonne soudain. C’est Michel Metni, le premier détenu à avoir été libéré. La voix ferme et claire, ce dernier raconte qu’il avait été emmené dans la matinée de Roumié au tribunal militaire parce qu’il avait une audience. Les soldats lui annoncent vers midi qu’il sera libéré. Ils lui rendent ses affaires et il est ainsi le premier à sortir de prison. «Je n’ai aucun sentiment de rancœur. Je ne prends pas ce qui m’est arrivé comme une atteinte personnelle. J’ai agi parce qu’il me semblait que tout le Liban était prisonnier et je souhaite continuer à défendre mon pays». Entre-temps, tout le monde s’est agglutiné autour de Patrick qui a mis le haut-parleur et écoute religieusement. La décision de libérer les détenus est devenue soudain une chose concrète et personne ne cherche plus à cacher son émotion. Mais il est déjà minuit et les grilles sont encore fermées. Selon les informations transmises, 2 familles n’ont pas réussi à rassembler la somme requise et leurs enfants ne seront pas libérés ce soir. Chacun est triste pour eux, mais il est difficile de trouver du cash en libanais en soirée… Minuit trente. Deux jeeps et une 4x4 des FSI traverse la foule massée devant le barrage et pour avoir son petit effet, le conducteur de la tout-terrain ne peut s’empêcher de faire crisser ses pneus, suscitant des commentaires peu flatteurs chez des gens excédés par la trop longue attente. En fait, ces officiers apportent les permis de remise en liberté qui doivent encore être signés par le colonel Moghabghab, responsable de la prison. Les formalités semblent ne devoir jamais finir et dehors, parents et amis n’en peuvent plus. Finis les projets de festins et de feux d’artifice, chacun ne songe plus qu’à enfermer sa joie dans son foyer. Riches, pauvres, aounistes, FL, ils ne sont plus que des humains fatigués qui n’aspirent qu’à retrouver ceux qu’ils aiment en remerciant Dieu de cette aubaine. La seule qui ne songe pas à modifier ses projets est une femme qui a promis d’emmener son fils libre chez saint Charbel pour le bénir. La nouvelle tombe soudain comme un nouvel élan d’espoir : le brigadier Lteif (détenu à Jisr el-Bacha) est en route pour son domicile à Ajaltoun. Les autres ne doivent plus tarder. La prison de Roumié n’a jamais vu un tel bonheur à ses grilles...
Le rideau est enfin tombé sur un drame qui dure depuis 15 jours et que les Libanais ne sont pas prêts d’oublier, malgré le happy end d’hier soir. De mémoire de gardien de prison, c’est du jamais vu à Roumié : les sinistres grilles qui s’ouvrent à une heure du matin pour laisser sortir une soixantaine de jeunes au crâne rasé et au moral au top, dans une furie de klaxons...