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Actualités - INTERVIEWS

Interview - Le dialogue devrait porter sur une modification des institutions, selon l’ancien gouverneur de la BDL - Edmond Naïm : « Instituer le référendum dans les législations »

Edmond Naïm a été gouverneur de la Banque du Liban entre 1985 et 1991, mais il est surtout juriste, ancien doyen de la faculté de droit de l’Université libanaise (UL) et ancien recteur de l’UL. Lorsqu’il prend position, on peut dire, à juste titre, que c’est le verbe par le droit soutenu qui s’exprime. Son point de vue concernant la réconciliation au Chouf concrétisée par la rencontre entre le patriarche maronite Nasrallah Sfeir et le président du Parti socialiste progressiste (PSP), Walid Joumblatt, illustre bien sa pensée : «Les bases qui viennent de ressusciter à la suite de la visite du patriarche Sfeir dans la Montagne sont instables. Pour qu’elles soient solides, il faut qu’il y ait une législation qui les détermine pour qu’on ne les viole plus à la légère». Quelle serait cette législation ? «Elle déterminerait exactement comment les institutions constitutionnelles devraient être établies et comment elles devraient fonctionner. Elles détermineraient aussi les limites de la compétence de chaque bloc, groupe confessionnel ou autre, et comment chacun de ces blocs devrait exister et manifester ses attributions». Cela donnerait quoi, concrètement ? «Il y a une question, consacrée par la modification constitutionnelle de 1990, qui m’intéresse en ce qui concerne le partage égalitaire des sièges du gouvernement entre les deux communautés chrétienne et musulmane. Le principe existe dans la Constitution, mais la loi électorale ne l’a pas confirmé, ce qui fait qu’il y a un déséquilibre entre les deux confessions au sein du Parlement. Les membres des confessions chrétiennes, dans une très grande majorité, font leur entrée au Parlement grâce au vote de la partie musulmane des collèges électoraux». Faut-il réformer la Constitution ? «Il faut que la loi électorale confirme ce qui est contenu dans la Constitution, c’est-à-dire que les communautés chrétiennes aient une volonté dans le choix des députés de leur confession chrétienne. Mais je ne dis pas qu’il faut nécessairement qu’elles élisent elles-mêmes leurs représentants. «J’ai moi-même un projet que je défends depuis six ou sept ans : quelle que soit la circonscription électorale choisie, c’est du pareil au même. Au niveau du choix du candidat, la loi électorale attribue à chaque communauté un nombre déterminé de sièges dans chaque circonscription. Dans un premier temps, chaque communauté présente ses candidats. Pour chaque siège prévu par la loi, la communauté présente deux, trois, quatre ou cinq candidats. Une fois ces candidats déterminés, on passe aux élections proprement dites, lesquelles se font par un collège unique islamo-chrétien. Ce collège élit lui-même ceux qu’il préfère parmi les candidats pour représenter le peuple libanais au Parlement». Et d’ajouter : «Une fois que vous avez cette procédure dans la Constitution, vous pouvez dormir tranquilles». Une visite « inutile » M. Naïm qualifie d’«inutile» la visite du patriarche au Chouf. Selon lui, le problème est institutionnel. Mais la réconciliation dans la Montagne n’est-elle pas le signe d’un rapprochement des mentalités ? Cela ne renforce-t-il pas les institutions ? «Évidemment, cela aide à leur formation, à celle des textes constituant ces institutions. Mais vivre tout le temps dans les sentiments pour sauver un État, ce n’est pas possible». Sur un tout autre plan, l’amendement voté lundi dernier au Parlement est-il anticonstitutionnel ? «Il y a eu une loi votée par le Parlement contrairement aux desiderata du président Lahoud. Il a renvoyé le texte au Parlement pour une nouvelle lecture et une modification si possible. La Chambre a confirmé le texte. «Le texte a été envoyé au Journal officiel après promulgation. Sept jours plus tard, le Parlement, sur proposition de loi (par les députés), a modifié le code qui venait d’être voté et promulgué. Cette proposition de loi pouvait-elle être faite ? Certains soutiennent que la Consitution ne permet pas qu’au cours de la même session parlementaire, on présente une proposition de loi d’un texte déjà voté. «Or, l’article 38 de la Constitution mentionne qu’une proposition de loi rejetée ne peut être présentée une deuxième fois au Parlement au cours de la même session. C’est donc la proposition de loi qui devrait être rejetée et pas le projet de loi. Mais il n’y a pas eu une première proposition de loi, ce qui fait que ce n’est pas la situation mentionnée par l’article 38. En évoquant l’article 38, Edmond Rabbath avait considéré que le terme “proposition de loi” devait être entendu de façon extensive et devait recouvrir le projet de loi. Mais si on attaque cette modification de la loi devant le Conseil constitutionnel, il va s’attacher au sens restrictif des termes et rejeter le recours». Que pense-t-il de l’arrestation de Toufic Hindi et de Nadim Lteif ? «Apparemment, il y a abus de la part du procureur général et des éléments de l’armée qui ont opéré les arrestations. Je doute fort que l’accusation contre Hindi soit fondée, mais je ne peux juger de son exactitude sans avoir lu les dossiers. La vidéo qui a été présentée m’a donné l’impression que ceux qui l’ont filmé sont en train de suivre les traces du KGB». Et au niveau procédural ? «En ce qui concerne l’enquête, que la procédure soit judiciaire ou extrajudiciaire, il n’est pas permis à une autorité de violer le secret de l’information. Toute personne qui concourt à une procédure d’enquête ou d’instruction est tenue au secret sauf disposition contraire de la loi et sans préjudice des droits de la défense», dit-il, citant le Juris-classeur de procédure pénale. Et les autres arrestations, dans les rangs aounistes et FL ? «Elles ont été effectuées de manière brutale : c’est le mot le plus clément que l’on puisse employer». Les dangers du compromis En tant qu’avocat de Samir Geagea, Edmond Naïm réclame sa libération, invoquant le principe de l’égalité de tous devant la loi. Selon lui, tous les chefs de milice devraient être traités de la même façon. Il invoque le même principe concernant le cas Michel Aoun : «En droit pur, il peut rentrer au Liban. S’ils l’en empêchent, ce serait illégitime et vil». Cette répression brutale des derniers jours empêche-t-elle la progression du dialogue ? «Le dialogue est toujours possible. Il est nécessaire». Mais on parle aujourd’hui de répression militaire… «On peut mettre les militaires dans leur camp et leur refuser la possibilité d’intervenir dans la vie des civils». Ne craint-on pas un gouvernement de militaires ? «Bien sûr. Je ne peux les blâmer. Je blâme le pouvoir civil qui n’exerce pas ses prérogatives et son autorité». Et les compromis obtenus au sein du gouvernement, puis à la Chambre ? «Il y a des matières dans lesquelles il ne faut pas admettre de compromis. Le compromis met parfois en échec la solidité des institutions libanaises». Qui est le responsable de la vague d’arrestations, du point de vue juridique ? «Le gouvernement. C’est lui qui est censé donner l’ordre à l’armée de rentrer dans ses casernes». Croyez-vous au principe de la résistance à l’oppression proclamé par la Charte des droits de l’homme ? «Oui, j’y crois beaucoup». Est-ce une solution ? «Oui, mais dans ce domaine, il faut que ceux qui décident de désobéir sachent bien quel est leur poids face à l’autorité qui veut imposer la loi. S’ils sont capables de réussir face à ce pouvoir abusif et tyrannique, qu’ils se soulèvent, la Charte leur en donne le droit». Mais, pour Edmond Naïm, la question dépasse ces contingences. Il faut, selon lui, «absolument déterminer si la base sur laquelle l’État libanais est érigé ne doit pas être modifiée de telle sorte que chaque communauté à l’intérieur du Liban ait une compétence quelque peu autonome des attributions des autres communautés». Et de rappeler que le Grand Liban n’a pas été édifié par voie d’accord, mais «par un décret signé par un seul homme, ne représentant pas la nation libanaise en 1920». «Il faut discuter tout cela pour savoir si nous pouvons vivre sur ces fondations ou si nous devons les modifier pour le meilleur», insiste-t-il. Edmond Naïm conclut sur la question de l’appartenance au Liban. «Il y a toujours eu des gens au Liban qui étaient tournés vers la Syrie et d’autres vers le Liban», affirme-t-il. «La meilleure formule pour savoir si les choses ont changé, c’est le référendum, qu’il faut instituer dans les législations libanaises». Mais n’est-ce pas un projet à très long terme, impensable à l’heure actuelle ? La réponse est simple, réaliste : «S’il y a au Parlement des députés qui attaquent les institutions régulièrement, la question serait d’actualité».
Edmond Naïm a été gouverneur de la Banque du Liban entre 1985 et 1991, mais il est surtout juriste, ancien doyen de la faculté de droit de l’Université libanaise (UL) et ancien recteur de l’UL. Lorsqu’il prend position, on peut dire, à juste titre, que c’est le verbe par le droit soutenu qui s’exprime. Son point de vue concernant la réconciliation au Chouf...