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Actualités - INTERVIEWS

Interview - « Le gouvernement a démissionné de ses responsabilités », accuse le président du Congrès populaire - Kamal Chatila : Il faut dissoudre le Parlement

Kamal Chatila est le président du Congrès populaire libanais, l’ancienne Union du peuple travailleur d’obédience nassérienne, et ce depuis une trentaine d’années. Après des années d’exil, qu’il a passées entre Le Caire et Paris, Chatila est rentré au Liban l’année dernière, quelques semaines avant les élections législatives, grâce à une médiation menée par le Premier ministre Sélim Hoss auprès des Syriens. «Je suis rentré après un exil de 16 ans, et c’est mon droit. J’avais toujours refusé un retour sans dignité et qui ne respecterait pas ma liberté, et je n’ai pas conclu d’accords dans ce sens», affirme-t-il avec fermeté. Interrogé sur le processus de dialogue, Chatila répond : «Dès mon retour, j’ai repris mon action visant à unifier les rangs des Libanais et pour protéger le pays contre les immixtions israéliennes». Et de mettre en exergue son projet de réforme politique avec «un Sénat au sein duquel toutes les confessions seront représentées». «Ce Sénat sera chargé de préserver le Liban de toute partition ou fusion avec une autre entité. Nous avons également proposé la création d’un Parlement laïque élu sur des bases nationales. Cela équilibrera les communautés de manière à éradiquer graduellement le confessionnalisme, sans porter atteinte aux spécificités du Liban». Mais quelle est sa vision du dialogue ? «Nous avons appelé à une rencontre nationale. En attendant, nous menons des discussions bipartites avec des parties politiques non officielles pour que cette rencontre se déroule dans un climat de maturité nationale». Chatila estime aussi que «réformes politique et économique vont de pair, d’où la nécessité du dialogue, à tous les niveaux, un dialogue qui n’est pas l’apanage de l’État». «Nous ne voulons plus replonger dans la guerre civile. La plupart des Libanais sont d’accord sur les constantes libanaises, mais le problème se pose au niveau de la mise en application complète de la Constitution et de l’accord de Taëf, particulièrement en ce qui concerne les libertés. Or les gens sentent qu’ils sont tenus à l’écart de la prise de décision et que les élections parlementaires sont truquées. La classe politique, qui a quasiment pris le pouvoir par la force en 1992, ne doit plus monopoliser les décisions. Nous avons besoin d’une réforme politique, et il est nécessaire d’amender Taëf». Et Chatila de poursuivre : «Tout cela nécessite une rencontre nationale pour le dialogue, ou un Parlement libre. Contrairement aux propos tenus par MM. Nabih Berry et Rafic Hariri, le Parlement actuel ne saurait se substituer à une telle rencontre. La troïka qui a mené le pays à la banqueroute est celle qui a accédé au Parlement via les autobus et les bulldozers. Plus encore : où est la justice aujourd’hui, à la suite de toutes les accusations graves sur les écoutes téléphoniques, le piratage des communications internationales… Ce Parlement qui reste silencieux, dont la décision est confisquée, ces médias qui sont tenus par le secteur financier… Sommes-nous dans un régime totalitaire au sein duquel les libertés d’opinion et d’expression sont spoliées ?» Un gouvernement irresponsable Les rafles opérées au sein du courant aouniste et des Forces libanaises mettent-elles le dialogue en péril après la réconciliation au Chouf ? «La visite du patriarche Sfeir dans la Montagne était une étape importante sur la voie de la réconciliation nationale et un acte national pour cicatriser les blessures de la guerre et barrer la voie aux complots israéliens. «Concernant les arrestations, nous respectons le rôle de l’armée visant à déjouer les complots israéliens et à renforcer l’unité du Liban, mais nous nous opposons à toutes les arrestations illégales, surtout celles qui constituent une entrave à la liberté d’expression, et cela indépendamment de la ligne politique à laquelle appartiennent les personnes interpellées». Et Chatila de souligner : «Certains comportements du gouvernement desservent le camp modéré islamo-chrétien. Le gouvernement a démissionné de ses responsabilités en ce qui concerne la réactivation du dialogue à l’échelle nationale et le règlement de la crise socio-économique. Il prend des mesures qui finissent par renforcer les extrémistes et le voilà qui se plaint de cette radicalisation !» Y a-t-il une tentative de militarisation du régime ? «Dans mon mot d’ouverture lors du Congrès populaire à Tripoli en juillet 2001 pour commémorer la révolution de Gamal Abdel Nasser, j’avais fait allusion aux rumeurs sur une militarisation du régime. Il est incorrect d’envisager la question sous cet angle. Les milices gouvernent le pays indirectement depuis 1993. Le conflit se situe ailleurs : entre le peuple, toutes catégories confondues, qui réclame des réformes, et des corrupteurs de toutes les communautés. Nous refusons tous les abus de l’armée, mais, par ailleurs, nous ne voulons pas assister au retour des milices. Nous refusons un régime militaire, mais l’armée doit être forte face à Israël qui rêve de diviser de nouveau le Liban». Que pense-t-il des efforts accomplis par Kornet Chehwane et le Forum démocratique au niveau du dialogue ? «Je respecte ce groupe et le document qu’il a publié. Il a tiré les leçons de la guerre, et a mis l’accent sur l’entente nationale et sur les fondements du Liban. Nous avons déjà entamé le dialogue avec Boutros Harb, entre autres. Plus de dynamique est requise, surtout dans le suivi des comités. «Le Forum démocratique est un groupe de gauche qui prend des positions démocratiques, et c’est le droit de tout le monde. «Ce sont des actes positifs au niveau du dialogue, mais ça ne suffit pas. Kornet Chehwane doit s’élargir à travers les comités et englober une large frange de la société civile». Que pense-t-il des initiatives du président Lahoud dans ce sens ? «Je n’ai toujours pas vu d’initiatives concrètes du président Lahoud en faveur du dialogue national. C’est surtout au niveau de la société civile que l’on peut aller de l’avant». Comment perçoit-il les relations libano-syriennes ? «Il y a des liens historiques et géographiques, des intérêts économiques et une lutte commune contre Israël. Mais l’essentiel c’est de baser notre relation avec nos frères syriens sur des fondements solides. Nous payons le prix fort en prenant des positions hostiles à la Syrie, souvent au profit d’Israël. Parallèlement, nous voulons notre indépendance, notre souveraineté et notre libre décision, et c’est notre droit en tant que Libanais. Comment concilier la souveraineté du pays avec les relations libano-syriennes ? La réponse ne réside pas dans des campagnes irréfléchies contre la Syrie, ou favorables à l’union pansyrienne et à la sujétion. La question est plus complexe. «Tous les putschs qui ont lieu en Syrie avaient pour point de départ le Liban. D’autre part, nous devons assurer les Syriens que le sionisme ne pourra plus se frayer un passage par Beyrouth pour frapper la Syrie, prétexte sur base duquel ils pourraient prolonger indéfiniment leur présence au Liban. Nous devons assurer la sécurité de la Syrie et il faut un consensus libanais autour de cela. C’est à ce moment-là que nous pourrons ouvrir les dossiers de la sécurité, des immixtions dans les élections, de l’agriculture et de l’économie. Il convient également de souligner qu’il y a beaucoup de Libanais qui prennent le chemin de Damas pour des considérations et des intérêts personnels. La Syrie a tort de leur prêter attention. Nous devons avoir un peu plus confiance en nous-mêmes pour régler nos problèmes tout seuls». Et le redéploiement syrien ? «Les précisions que nous avons entendues provenaient de l’armée libanaise. Je me souviens quand même d’une déclaration de Assem Kanso à la presse selon laquelle le redéploiement syrien est nécessaire puisqu’il entre dans le cadre des accords de Taëf”». Est-il de ceux qui réclament le retrait de la Syrie? «Non, pas pour le moment. En raison de l’affaire des hameaux de Chebaa dont nous avons soulevé la question il y déjà 30 ans, et de la présence dangereuse d’Ariel Sharon au pouvoir en Israël. Le danger de la phase actuelle nous incite à faire passer certaines revendications avant les autres». Organiser des élections libres Quel est l’état de ses relations avec Walid Joumblatt ? «Il n’y a pas eu de dialogue entre nous et Joumblatt et nous ne pouvons par conséquent nous aligner sur ses positions. Nous devons d’ailleurs donner un coup de fouet à notre relation avec le PSP». Et Amal et Hezbollah ? «Nous avons discuté avec le Hezbollah lors de mon retour. Il y a des visites, mais pas de coordination, et c’est regrettable. En ce qui concerne Amal, nous n’avons aucun contact». Qu’en est-il du Premier ministre Hariri ? «Nous avons cessé de mener campagne contre lui. Entre 92 et 95, il a mené une véritable guerre contre nous. Avec l’avènement de l’ère Lahoud, nous avons remarqué qu’il y avait un épuration des hommes de Hariri, alors que d’autres groupes n’ont pas été touchés. Nous avons arrêté de le critiquer et nous n’avons pas mené une campagne contre lui durant les élections. Hariri a été élu parce qu’il n’a eu à affronter personne. Il a d’ailleurs été le seul à ne pas réclamer mon retour. Nous l’avons invité à plusieurs occasions, mais il n’a jamais répondu. Il empêche toute aide de l’État à nos associations civiles et invite les médias à ne pas couvrir nos activités. Pourtant, je ne me pose pas en tant qu’alternative à Hariri, si c’est cela qui le pousse à adopter cette position». Si le dialogue n’aboutit pas et si la rencontre nationale n’a pas lieu, quelle est alors l’alternative ? «La seule solution pour rendre espoir aux Libanais et pour entamer les réformes, c’est de dissoudre le Parlement et d’organiser des élections libres de toutes immixtions, qu’elles proviennent de l’étranger ou du pouvoir politique et économique. Pourquoi ne pas demander à la Ligue arabe de venir surveiller le processus électoral, avec l’aide des commissions des droits de l’homme ? Il est temps que les Libanais élisent librement leurs représentants». Est-ce une position réaliste ? «Même si c’est une solution idéaliste, le problème réside réellement dans les fraudes électorales. Quand le Parlement exprime les aspirations du peuple, il devient le pilier de l’unité nationale. C’est à ce moment-là que la Constitution est amendée et que les lois sont appliquées. Il faut que le peuple exerce une pression pour la dissolution du Parlement et l’organisation d’élections libres. C’est la clé de tout». Y a-t-il eu des pressions exercées sur lui depuis son retour? «Vous voulez dire la Syrie ?», demande-t-il en souriant. «Nous avons des relations protocolaires. Les pressions sont indirectes. On demande à des forces politiques ou aux médias de ne pas me rencontrer. Notre projet national et laïque de salut est mal vu par la classe politique». Pourtant, on dit que votre retour s’est effectué via la Syrie… «C’est M.Hoss qui a soulevé le problème avec les Syriens et ils n’ont pas refusé. Voilà tout». Kamal Chatila se veut enfin dépositaire d’un message au peuple libanais : «Nous sommes en train d’œuvrer pour le regroupement du plus grand nombre possible de segments de la société civile pour exercer une pression démocratique et pacifique dans la rue afin de mettre un terme la crise». Et de conclure : «On pourrait avoir recours à la désobéissance civile pour des élections libres. Dans ce cas-là, nous n’hésiterons pas».
Kamal Chatila est le président du Congrès populaire libanais, l’ancienne Union du peuple travailleur d’obédience nassérienne, et ce depuis une trentaine d’années. Après des années d’exil, qu’il a passées entre Le Caire et Paris, Chatila est rentré au Liban l’année dernière, quelques semaines avant les élections législatives, grâce à une médiation menée par...