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Actualités - OPINIONS

Opinion - Quand l’État est fragile, - s’instaure la terreur

Carl Gustav Jung soutenait que «le fanatisme est la compensation du doute». On peut tout aussi bien affirmer que l’instauration de la terreur est fille de la fragilité et de la couardise. Tout coup de force est un aveu d’impuissance et de désarroi, surtout quand on manifeste une incapacité évidente à affronter, à mains nues, les normes du fonctionnement démocratique. La faiblesse du pouvoir, compensée par des coups d’éclat, tient de son assise due à une volonté externe – défunte – plutôt qu’à un consensus national. Il en serait de même pour tout individu qui, peu sûr de lui-même, s’affirmerait impulsivement par des décisions arbitraires. Nous assistons, impuissants, à toutes ces manifestations d’excès de zèle et de fidélité, aux dépens des Libanais, ébaubis et ahuris. Comment ne pas évoquer ici cette maxime lapidaire du philosophe français Alain (Émile Chartier) : «Tout pouvoir, parce que pouvoir, abuse et abusera». Ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est l’essence même du régime, sa nature profonde et celle des libertés reconnues et protégées par la Constitution. Le discours d’investiture du chef de l’État, sur lequel il revient constamment peut-être pour mieux en assimiler le contenu ou s’en convaincre, stipule sans ambages que nul n’est au-dessus de la loi. Le même discours est repris par le ministre de l’Intérieur qui promet de châtier les civils matraqueurs et cogneurs de jeunes filles et de jeunes gens, qui mettent prétendument en danger la sécurité de l’État. Oui, personne au-dessus de la loi, sauf ceux qui sont censés l’appliquer ou l’épargner. Or quand la loi est bafouée par ses propres tenants, la vie sociale s’en trouve ébranlée. Et c’est bien ce qui se passe sous nos yeux, avec des prétextes fallacieux inaptes à convaincre le plus inculte des bouseux ou le plus lointain moujik des steppes. Des députés honnêtes et courageux, hommes et femme (au singulier, bien sûr !) ont posé la question pertinente et combien ironique : Qui gouverne le pays ? Qui dirige le Parlement ? Question défi, la réponse pour tous étant évidente : le pays est, depuis plus de deux décennies, téléguidé, télécommandé depuis les bords du Barada, et, sur place, les ficelles sont tirées par des militaires syriens qui s’immiscent dans toutes les affaires libanaises allant des élections législatives jusqu’aux moindres nominations administratives dans les différentes institutions étatiques, en passant par les grosses affaires lucratives, les transactions, etc. Nous devons à ces pouvoirs occultes, qui pourtant opèrent au grand jour, l’avortement de toute tentative de rapprochement entre Libanais, ou de regroupement au sein d’une communauté ; nous leur devons une loi électorale inique et boîteuse qui ne sert que leurs intérêts immédiats au mépris de la volonté du peuple libanais ; nous leur devons la réprimande faite au chef du Législatif et son injonction au silence après son rapprochement de Bkerké ; nous leur devons un vandalisme systématique de notre économie sous couvert de relations fraternelles privilégiées, et j’en passe... Toutes ces prises de position, apparemment aveugles ou absurdes, sont le fruit d’une stratégie clairvoyante propre à toute force d’occupation dont l’objectif est d’affaiblir l’occupé et de l’atteindre essentiellement dans sa dignité. Mais que veut le pouvoir, terme pudique pour désigner le chef de l’État et son entourage ? Tout simplement plonger dans la soumission et l’humiliation tout le peuple libanais et ses représentants, comme il subit lui-même l’emprise des dirigeants étrangers, afin que la honte soit «la chose la mieux partagée du monde». Il ne veut nullement instaurer un régime militaire qu’il sait être peu viable dans un pays où, pour la majorité de l’opinion, liberté et démocratie sont sacrées. Nous faire vivre dans une immense prison, peut-être ? Nous savons que d’avoir refusé une certaine proposition qui aurait fait de notre pays un Goulag hermétique a coûté la vie à un leader d’envergure que fut Kamal Joumblatt. Non, le pouvoir n’aspire qu’à débiliter un Exécutif par trop indépendant ou rebelle, à maintenir un pouvoir civil affaibli qu’il peut manipuler à coups de pièges et de menaces, comme ce fut le cas ces derniers jours, à insulter une Assemblée en l’obligeant à se dédire et à pousser un président du Conseil à voter et faire voter, par son groupe parlementaire, un amendement honni quelques minutes auparavant. Ce dernier a voulu sauver la mise, a-t-il affirmé, ne pas se laisser flouer par les agents de l’ombre et éviter les traquenards des prédateurs assoiffés de sang. L’histoire nous dira si ce courage «prudent» aura été l’évitement adéquat en ces circonstances. Peut-être que devant le danger imminent de l’asphyxie et de la mort, faut-il rester vivant pour porter témoignage ! Qui tient encore, au Liban, le flambeau de la dignité ? Un patriarche parce qu’il sait qu’il incarne l’esprit de la nation ; 8 députés sur 128, parce qu’ils ne doivent leur mandat à personne ; quelques ministres, bien que ministres ; un regroupement naissant d’hommes politiques et de la presse, durs de l’échine ; quelques universitaires, parce qu’ils ont charge de jeunesse et de consciences morales et politiques à éveiller et à maintenir dans les valeurs ; des étudiants qui refusent la vassalisation de leur pays et de ses dirigeants et qui, de ce fait, les protègent, ce n’est pas beaucoup, mais ce n’est pas peu non plus. Le sens critique et la vigilance ont toujours été le fait d’une minorité qui refuse murs et rideaux. C’est l’espace ouvert qui lui convient. «Homme libre, toujours tu chériras la mer», nous rappelle Valéry. La liberté déboulonne les colosses de bronze qui surplombent pendant des décennies les plus vastes places publiques des grandes capitales. C’est aussi la vérité, et elle seule, qui rend libre. Et cette jeunesse dont nous sommes responsables, à qui nous consacrons nos vies, doit conserver, contre vents et marées, sa virulence contestataire pour que l’ordre établi ne croupisse jamais dans l’immobilisme. C’est Bernanos qui nous mettait en garde en prophétisant : «C’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le monde à la température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste du monde claque des dents». Vice-recteur à la recherche scientifique de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth
Carl Gustav Jung soutenait que «le fanatisme est la compensation du doute». On peut tout aussi bien affirmer que l’instauration de la terreur est fille de la fragilité et de la couardise. Tout coup de force est un aveu d’impuissance et de désarroi, surtout quand on manifeste une incapacité évidente à affronter, à mains nues, les normes du fonctionnement démocratique. La...