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Actualités - OPINIONS

Solitude de rois

Au début des années 70, les frères Rahbani composaient l’une de leurs plus célèbres opérettes, La gardienne des clés, racontant l’histoire d’un roi qui se livre à de tels débordements qu’il finit par être totalement délaissé par son peuple et se retrouve ainsi seul, abandonné, à la tête d’un royaume désert, boycotté par ses sujets. Le régime risque fort bien de s’engager sur cette même voie si les agissements actuels ne sont pas répudiés. La gravité des événements qui ont secoué le pays au lendemain de la tournée du patriarche maronite dans les villages de la montagne ne se limite pas en effet au seul aspect – crucial – des libertés publiques. Elle réside surtout dans le fait que c’est le moral des Libanais et leur confiance dans leur pays (ou ce qu’il en reste), dans les institutions et les fondements de l’État, qui ont été dangereusement ébranlés par le comportement du régime ces derniers jours. Comment les jeunes peuvent-ils encore espérer en un avenir meilleur lorsqu’ils voient leurs camarades d’université, leurs amis, leurs cousins ou leurs frères sauvagement piétinés par des SR en civil sans que les responsables officiels ne prennent la peine de réagir sur-le-champ ? Comment les Libanais peuvent-ils encore avoir quelque confiance dans un régime qui accepte de jeter des centaines de jeunes en prison, «pour atteinte aux bonnes relations avec la Syrie», à seule fin de marquer aisément des points contre ses adversaires politiques au sein du pouvoir ? Comment est-il possible d’avoir confiance dans les institutions étatiques lorsque le Conseil des ministres et le Parlement avouent leur impuissance et baissent les bras face à la force occulte militaro-sécuritaire ? Peut-on encore croire dans les slogans du régime sur l’édification de «l’État de droit» lorsque des responsables politiques, des jeunes et des avocats sont gardés au secret pendant plusieurs jours et soumis à des interrogatoires dans les sous-sols de Yarzé, en violation flagrante des lois en vigueur, comme ne cessent de le relever les Ordres des avocats de Beyrouth et de Tripoli ? Indépendamment de toute considération politicienne et de l’opinion que l’on peut avoir de telle ou telle fraction politique, il est une réalité qu’il est difficile d’occulter : c’est, en définitive, le militantisme de ces mêmes jeunes sur lesquels ne cesse de s’acharner le régime qui pourrait redonner aux générations montantes l’espoir en un avenir meilleur ; c’est, de même, l’action combinée de redressement menée par le patriarche maronite, le leader du PSP, le Rassemblement de Kornet Chehwane et d’autres groupements de la société civile qui pourrait inciter les Libanais à espérer, à nouveau, en un Liban indépendant et souverain. En combattant cette action nationale – la première du genre depuis le début de la guerre – et en lançant les SR à l’assaut du militantisme des jeunes, le régime est en train d’étouffer l’espoir qui commence, malgré tout, à renaître au sein de la population. S’il ne prend pas conscience de cette réalité, il pourrait, à plus ou moins brève échéance, se retrouver dans la même situation que le roi de l’opérette. Au risque de n’avoir plus pour seul soutien que «la gardienne des clés».
Au début des années 70, les frères Rahbani composaient l’une de leurs plus célèbres opérettes, La gardienne des clés, racontant l’histoire d’un roi qui se livre à de tels débordements qu’il finit par être totalement délaissé par son peuple et se retrouve ainsi seul, abandonné, à la tête d’un royaume désert, boycotté par ses sujets. Le régime risque fort...