Rechercher
Rechercher

Actualités - OPINIONS

La religion unique, quand elle est - imposée, est un facteur de division

Si la patrie territoriale, l’origine ethnique, la langue sont communes au Liban, la religion, toutefois, n’est pas la même pour tous les Libanais. Mais la religion, on l’a vu, n’est pas, en politique, un facteur efficient d’unité. La croyance, comme la pensée, est une des libertés naturelles de l’homme ; essentiellement multiforme, elle ne saurait être que le produit de la conscience individuelle. Nous avons vu que nombre de pays, possédant plusieurs religions, forment une unité nationale fortement constituée. Rappelons aussi que la religion unique, quand elle est imposée, est un facteur de division, générateur de haine et de mouvements séparatistes. On a dit que l’État libanais actuel est le résultat d’un «pacte tacite», d’un compromis, entre les diverses confessions religieuses du pays. Quel que soit le nom donné à cet accord, il répond très exactement à la définition même de la nation moderne. Que de groupements divers, ayant une patrie, une langue, une culture et des intérêts communs, consentent volontairement à mettre un terme à leurs vieilles dissensions, à vivre et à coopérer ensemble dans le cadre d’un même État, quel plus éloquent témoignage en faveur de ce vouloir-vivre collectif, de cette solidarité voulue, qui est le fondement et le ciment de la nation ! Sans doute, ces divers groupes confessionnels se sont parfois, dans le passé, comportés en frères ennemis. Des querelles religieuses, des luttes intestines, ont, pendant quelques périodes obscures, assombri l’évolution historique de ce très vieux pays. Mais quel pays peut se flatter de n’avoir pas connu des luttes fratricides ? Tous les peuples ont eu des périodes moyenâgeuses, c’est-à-dire des époques de recul, d’anarchie et d’ignorance, pendant lesquelles l’instinct de la bête s’est relâché. Cependant, comme toutes les choses humaines, ces querelles, en vieillissant, ont perdu de leur véhémence. Les souvenirs qu’elles ont laissés dans la mémoire des générations qui ne les ont pas vécues, ne sont plus assez vivaces pour rallumer des incendies éteints. Aussi, ne doit-on pas se tromper sur la nature des rivalités, dites confessionnelles, qui agitent, de temps à autre, quelques milieux de ce pays. Loin d’être les symptômes d’un mal réel et profond, ces dissensions ne sont, pour un observateur objectif et judicieux, que des mouvements de surface, artificiellement créés par des agitateurs professionnels et intéressés. Ces manifestations sporadiques, colorées de teinte confessionnelle, masquent, en réalité, des intérêts particuliers en concurrence. Ce qu’on prétend défendre, ce sont moins les croyances et les pratiques religieuses, qui ne sont jamais discutées, qu’un dosage confessionnel, qui, à défaut de partis organisés, assure la liberté et l’égalité politiques dans un équilibre des communautés religieuses. Il n’est pour s’en convaincre, que de constater que la question confessionnelle ne surgit, dans la plupart des cas, qu’à l’occasion de la répartition des fonctions et des ressources publiques, occasion où les croyances et les pratiques religieuses ne sont nullement en cause. Le compromis interconfessionnel, qui unit aujourd’hui les Libanais, n’est pas une nouveauté dans notre longue histoire ; des pactes analogues ont continuellement groupé les populations libanaises, dans le passé antique et le passé récent. Les textes de Ras Shamra, rédigés vers 1400 avant notre ère, nous apprennent que, dès ces hautes époques, les populations cananéennes et phéniciennes formaient déjà deux grands groupements religieux, honorant respectivement les deux grands dieux du pays : Baal et El. Ces deux groupements étaient même désignés sous les noms de «peuple de Baal» et «peuple de El». En Syrie intérieure, où les habitants étaient apparentés aux Cananéens et Phéniciens de la côte, la divinité principale était le dieu Dagan. Si l’on se rappelle que les grands dieux antiques avaient plusieurs fonctions divines, et que chaque agglomération mettait l’accent sur l’une ou l’autre de ces fonctions, on aurait une idée de la diversité des sectes religieuses dans le vieux pays cananéen. Et pourtant, c’est dans ce Canaan-Phénicie ou futur Liban, mosaïque de confessions polythéistes, que sont nés les premiers États collectifs, les premières confédérations d’États et les premières républiques du monde. Dans les temps modernes, c’est aussi sur les flancs de la montagne libanaise, au milieu de ses populations hospitalières et tolérantes, héritières des traditions cananéennes ou phéniciennes, que les différentes agglomérations ethnico-religieuses, chrétiennes et musulmanes, ont trouvé, au cours des âges, un abri protecteur ; c’est grâce à l’union spontanée de ces groupements confessionnels, à un compromis passé, analogue au compromis présent, que les Fakhreddine et leurs successeurs avaient restauré un Liban vigoureux, qui s’imposa à l’étranger, maître des pays voisins. Le compromis interconfessionnel actuel n’est donc pas un phénomène exceptionnel, ni passager. Il ne s’agit pas d’une trêve temporaire entre des adversaires fatigués, qui entendent reprendre la lutte à la première occasion. Les facteurs déterminants, qui ont provoqué cet accord, loin d’être occasionnels et transitoires, sont, au contraire, relativement permanents. Aujourd’hui, comme hier et comme demain, les convoitises étrangères, les rivalités internationales, la position géographique du Liban, le caractère libéral des habitants, la complexité de leurs aspirations confuses et enfin les efforts communs et continus, nécessaires à la consolidation de l’indépendance, commanderont constamment aux Libanais l’union dans la sagesse et dans la tolérance. «Les Fondements réels du Liban contemporain»
Si la patrie territoriale, l’origine ethnique, la langue sont communes au Liban, la religion, toutefois, n’est pas la même pour tous les Libanais. Mais la religion, on l’a vu, n’est pas, en politique, un facteur efficient d’unité. La croyance, comme la pensée, est une des libertés naturelles de l’homme ; essentiellement multiforme, elle ne saurait être que le produit...