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Actualités - INTERVIEWS

Interview Express - « Il y a un début de printemps du Liban » - Samir Frangié : Des têtes doivent tomber

Samir Frangié est le porte-parole du groupe de Kornet Chehwane. Pour beaucoup aussi, il représente aujourd’hui l’esprit d’une société civile en pleine reconstitution, ou comme il le dit lui-même, en pleine «mutation». Interrogé sur les événements des derniers jours, le chef de file de la «révolution tranquille» fait tout de suite le lien avec la visite du patriarche au Chouf. Pense-t-il que le dialogue est toujours possible aujourd’hui, après les derniers événements ? «Le comportement des SR de l’armée est une réponse au fait que le dialogue a été couronné de succès. Nous avons assisté au cours de la visite du patriarche maronite Nasrallah Sfeir au Chouf à un événement historique : la réconciliation druzo-chrétienne. Celle-ci marque un tournant dans l’histoire de ce pays. Les arrestations de même que les accusations portées contre les responsables des Forces libanaises et du courant aouniste visaient à annuler les effets de cette réconciliation. L’État libanais n’a tenu aucun rôle au Chouf et était même hostile à cet événement». Et d’ajouter : «La réaction de l’État a été proportionnelle au succès de la réconciliation qu’il y a eu dans la Montagne». Y a-t-il eu des parties spécifiques lésées par la réconciliation ? «L’État. La population, elle, a très bien accueilli l’événement». Cette visite n’a-t-elle pas également mis fin à la tradition de la réconciliation entre Libanais via Damas ? «Certainement. Il y a un changement qui s’est opéré depuis la fin de l’an 2000. On avait l’impression que les Libanais n’avaient le droit de s’entretenir entre eux que sous haute surveillance. Mais les Libanais ont ouvert les cages communautaires et politiques dans lesquelles ils avaient été enfermés et ont entamé un dialogue les uns avec les autres. Évidemment, ça ne fait pas plaisir à tout le monde». Des raisons ridicules Que pense-t-il des raisons avancées par l’État pour justifier les rafles et arrestations ? «La version du ministre de l’Intérieur Élias Murr est ridicule et ne mérite aucune réponse. Mais elle est dangereuse à plusieurs niveaux, parce qu’elle réintroduit le facteur israélien à l’intérieur du corps libanais. À Kornet Chehwane, toutes les parties présentes avaient pris une position radicale d’hostilité à Israël et d’appui à l’intifada palestinienne. À travers ses accusations, M. Murr laisse entendre qu’Israël est de retour. Si le gouvernement se respectait, M. Murr aurait dû être traduit devant la Haute Cour de justice pour haute trahison, parce que, consciemment ou non, il est en train de servir les intérêts israéliens en réintroduisant Israël dans la vie politique libanaise. La tournée dans la Montagne cherchait justement à reconstituer le tissu interne qu’Israël avait réussi à déchirer. Et voilà que M. Murr remet en question l’ampleur de la réconciliation et de l’entente nationale qui s’est manifestée dans la Montagne, un crime pour lequel il devrait être traduit en justice», explique Samir Frangié, d’un ton calme et incisif. «Après une période d’affrontement politique, les Syriens avaient donné des indications, comme l’acceptation par exemple du principe du redéploiement de l’armée syrienne. Les événements de ces derniers jours et le comportement du ministre de l’Intérieur avaient pour but de recréer la tension libano-syrienne et d’impliquer directement les Syriens dans le travail de répression auquel on a assisté. C’est une raison supplémentaire pour démissionner ce ministre», souligne-t-il. Et M. Frangié de réclamer également «le jugement de tous les responsables des services de renseignements». «Les Forces libanaises ont été dissoutes en 1994 et leur chef est en prison. On a souvent entendu des responsables nous dire, ces dernières années, que la paix civile est assurée et que les hostilités sont terminées. Pendant toutes ces années, l’État a financé les SR, leur a donné la possibilité de mettre la main sur tout le pays. Si avec, tout cela, les FL sont encore capables de provoquer une partition du pays et sont capables de frapper l’armée libanaise et l’armée syrienne, tous les responsables de la sécurité d’après-guerre devraient être traduits en justice pour incompétence. Si les FL sont capables de faire tout ce dont ils sont accusés, alors ils constituent une invincible armada à laquelle il faudrait donner le pouvoir au Liban et en Syrie». Et de souligner : «On ne peut juger les gens pour des délits d’opinions qu’ils n’ont même pas exprimées, comme l’a fait M. Murr. Cela est digne des purges staliniennes. On est en train de frapper préventivement des gens qui n’ont rien fait. Suivant cette logique, pourquoi ne pas incarcérer tous les Libanais ? D’ailleurs le comportement des SR devant le Palais de justice nous rappelle le Chili de 1973 ou les colonels grecs». « Exiger un changement politique » Que peut-on attendre aujourd’hui comme position du groupe de Kornet Chehwane ? «Nous avons déjà fait beaucoup. Cette bataille pour la liberté et la démocratie n’a pas seulement été menée par Kornet Chehwane, mais aussi par Walid Joumblatt et par un grand nombre de soldats inconnus, de journalistes, d’intellectuels et de gens qui ont pris position. Il y a un début de printemps du Liban qui se manifeste. La réaction ne s’est pas fait attendre. Ce qui s’est passé à la MTV est un phénomène nouveau. Les gens n’ont pas eu peur et n’ont pas attendu. Ils ont vite réagi». Et de poursuivre : «Il y a une crise ouverte au niveau du pouvoir, et il est important de mener la bataille face aux solutions militaires que préconise une partie de ce pouvoir. Une alliance entre tous les démocrates est nécessaire face à la tentative de militarisation du pouvoir. Nous pourrions alors assister à la formation d’un courant national libanais qui pourrait sortir le pays de la crise». La répression risque-t-elle de se poursuivre et de toucher toute la société civile ? «L’inintelligence des SR n’a pas de limites. Ils peuvent commettre toutes les erreurs possibles. Il y a des journalistes et des hommes politiques qui sont quotidiennement pris en filature. Mais la volonté des Libanais de s’élever contre ces pratiques n’a jamais été aussi forte qu’aujourd’hui. Cet État inconsistant, factice, fantoche et virtuel va bientôt devoir faire marche arrière. Il n’a pas le choix. Tout ce qu’on a vu, ce recours à la force brute, à des voyous pour battre les étudiants, est un signe de faiblesse. Ce n’est plus un État, c’est un sous-produit de milice». Les images brutales de ces arrestations annoncent-elles un changement ? «Nous devons exiger un changement politique. Il faut que des têtes tombent et que les responsables de la politique de ces dernières années soient jugés, pour qu’on n’ait pas à réclamer plus que ça. La justice a beaucoup de travail à faire. Il faut en priorité mettre fin aux poursuites et libérer les prisonniers, mais ça ne suffit pas. Le pays a été placé une semaine en état de siège, parce que certains ont jugé bon de le faire. Mais on ne peut impunément capturer 300 personnes et les mettre en prison dans un pays qui se veut démocratique. Et les chefs des SR ne sont que des fonctionnaires, ils ne peuvent assumer tout seuls la responsabilité de ce qui s’est passé». Si Frangié pense que «l’État a mis un terme au dialogue», il est confiant toutefois «qu’au niveau de la société civile, ce qui se passe est incroyable. Nous sommes en train de défendre les fondements mêmes de la nation, et nous sommes intransigeants. Nous n’accepterons aucun compromis sur la liberté. Il y a une volonté de mener cette bataille jusqu’au bout. Il s’agit d’une véritable révolution tranquille pour sortir de la dépression collective». Les Libanais sont-ils en train de la gagner cette révolution tranquille ? «Certainement».
Samir Frangié est le porte-parole du groupe de Kornet Chehwane. Pour beaucoup aussi, il représente aujourd’hui l’esprit d’une société civile en pleine reconstitution, ou comme il le dit lui-même, en pleine «mutation». Interrogé sur les événements des derniers jours, le chef de file de la «révolution tranquille» fait tout de suite le lien avec la visite du patriarche...