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Actualités - ANALYSES

Répression - L’amorce de dialogue et de réconciliation internes ignorée par le régime - La société civile face à une caste militaro-sécuritaire

Le ministre de l’Intérieur Élias Murr aurait peut-être mieux fait de visionner le film In the name of the father avant d’avaliser la thèse du «complot» avancée par le commandement de l’armée pour justifier les rafles dans les rangs du courant aouniste et des Forces libanaises. Le film en question relate l’histoire (véridique) d’une famille irlandaise victime d’une machination machiavélique montée de toutes pièces par les «Services» britanniques au début des années 70 afin d’apaiser une opinion publique agacée par l’inefficacité des autorités face à une vague d’attentats perpétrée par l’IRA. Il n’est sans doute pas nécessaire de remonter si loin pour reconnaître que «les Services sont en mesure de fabriquer des dossiers et d’inventer des chefs d’accusation», comme l’a souligné fort à propos Mme Nayla Moawad, qui réagissait ainsi à la déclaration du ministre Murr. Une rapide rétrospective des agissements des «Services» et de l’appareil militaire après la fin des combats internes laisse apparaître sur ce plan un fil conducteur : des poursuites (contre l’opposition chrétienne) fondées le plus souvent sur des procès d’intention ; des arrestations et des rafles menées de façon continue, à des intervalles plus ou moins réguliers, et justifiées à chaque fois par de vagues accusations sans consistance, axées sur une prétendue collusion avec Israël ou sur une volonté de jouer la carte de la déstabilisation. Les méthodes utilisées, l’approche suivie et les prétextes invoqués sont pratiquement les mêmes depuis le début des années 90, de sorte que l’on a la nette impression que ce comportement répressif – caractéristique des Services de renseignements – est commandité par un même cerveau, un même noyau occulte, qui, du reste, ne fait pas preuve de beaucoup d’imagination. Ce n’est désormais un secret pour personne que ces dix dernières années, un pouvoir parallèle militaro-sécuritaire (soutenu au-delà des frontières) a agi pour son propre compte, en faisant fi du pouvoir politique civil. Les dernières arrestations qui ont visé les militants des FL et du courant aouniste, au lendemain de la visite du patriarche maronite au Chouf et à Jezzine, s’inscrivent, cette fois-ci dans un contexte radicalement différent de celui qui marquait les assauts répétés contre les milieux de l’opposition ces dernières années. Avant la nouvelle phase politique dans laquelle s’est engagé le pays après le retrait israélien, ces rafles successives étaient perçues comme une volonté du pouvoir occulte de consolider son autorité face au militantisme gênant des jeunes aounistes et FL. Mais depuis plus d’un an, l’enjeu dépasse largement le cadre étroit de ces deux courants d’opposition. Pour la première fois depuis le début de la guerre, un dialogue véritable s’est amorcé en effet entre fractions qui étaient hier dans des camps adverses. Un dialogue réel, puisqu’il se produit non pas uniquement entre les leaders et les hauts responsables, mais aussi, et surtout, entre les bases respectives des parties concernées. Récemment, un camp de travail étalé sur trois jours a regroupé à Baakline plus de trois cents jeunes venant d’horizons aussi différents que les FL, le PSP, le mouvement aouniste, le PNL, le PCL, les Kataëb et même des représentants du courant haririen. Durant tout un week-end, ces jeunes ont organisé des tables rondes, des cercles de discussion, portant sur les grands thèmes de l’actualité locale. Ce brassage d’idées s’accompagne depuis près d’un an de nombreuses rencontres informelles entre les frères ennemis d’hier : entre FL et aounistes, entre le PSP et des étudiants de l’opposition chrétienne, ou aussi entre ces derniers et divers courants gauchistes. À un tel dialogue au niveau des cadres et de la base, vient s’ajouter une position politique commune qui se dégage entre les directoires de ces diverses fractions au sujet de dossiers fondamentaux, tels que les libertés publiques, le respect des pratiques démocratiques, le rééquilibrage des relations avec la Syrie et la nécessité d’un redéploiement des troupes de Damas. Cette configuration nouvelle est la première du genre depuis le début des années 70. Elle s’est traduite par des actes politiques majeurs : les alliances qui ont marqué les dernières élections législatives au Chouf et à Aley ; la mise en place du vaste rassemblement de Kornet Chehwane (qui a établi la jonction entre l’opposition chrétienne représentée par les FL, les aounistes et le PNL, d’une part, et des figures de proue parlementaires et de la société civile, d’autre part) ; le document du Forum démocratique qui, pour la première fois, a associé des personnalités mahométanes de premier plan à un appel au redéploiement syrien et à une redéfinition des rapports avec Damas. La principale étape de ce lent processus a évidemment été la visite historique du patriarche maronite au Chouf, et plus particulièrement à Moukhtara. C’est par de tels actes politiques mûrement préparés que l’on consolide la paix civile. Dans un pays pluraliste comme le Liban, l’intégration nationale et l’idée de nation unie ne peuvent se concrétiser que si les composantes sociocommunautaires parviennent à se retrouver autour de certaines valeurs communes, autour d’un projet politique susceptible de transcender les clivages internes et les calculs politiciens. C’est précisément une telle osmose qui a été enclenchée il y a un peu plus d’un an, sous l’impulsion du patriarche maronite, de M. Joumblatt et des diverses fractions de l’opposition chrétienne. Dans une certaine mesure, c’est ce même élan qui a constitué la cible de la répression sauvage lancée en début de semaine par le pouvoir parallèle contre les aounistes et les FL. Le président Émile Lahoud a souligné, au lendemain de ces arrestations, que «l’intérêt national doit prévaloir sur celui des groupes ou des fractions». Soit. Mais en l’occurrence, «l’intérêt national» réside-t-il dans la préservation du pouvoir et des privilèges socio-économiques de la nouvelle caste militaro-sécuritaire, ou se trouve-t-il, plutôt, dans le renforcement et la consolidation de cette amorce d’osmose à laquelle nous assistons depuis un an ? Le conseil des évêques maronites a d’ailleurs soulevé ce point en soulignant, dans son dernier communiqué, que le comportement des «Services» au lendemain de la visite du patriarche maronite au Chouf laisse penser que l’État semble gêner par la réconciliation entre chrétiens et druzes. La voracité du pouvoir parallèle a eu pour effet de placer le pays devant l’équation suivante : le rassemblement de fractions et de personnalités d’horizons divers autour de valeurs communes et d’un projet politique national est perçu (par ce même pouvoir occulte) comme une menace pour le maintien et les privilèges de la caste militaro-sécuritaire. D’où la férocité de la réaction des «Services» contre l’activisme débordant – et justifié – des porte-étendards du recouvrement de l’indépendance du Liban. Mais par leur comportement (qui n’est pas sans rappeler celui d’une armée d’occupation), ces «Services» risquent de subir un effet boomerang. Car leur débordement ne fait que renforcer les opposants tout en élargissant encore plus le fossé qui se creuse entre la société civile et un pouvoir dont la myopie galopante frôle la cécité.
Le ministre de l’Intérieur Élias Murr aurait peut-être mieux fait de visionner le film In the name of the father avant d’avaliser la thèse du «complot» avancée par le commandement de l’armée pour justifier les rafles dans les rangs du courant aouniste et des Forces libanaises. Le film en question relate l’histoire (véridique) d’une famille irlandaise victime d’une...